J'étais en train de feuilleter le Phuket Weekly, que j'avais trouvé dans un salon de l'hôtel, lorsque j'aperçus Valérie qui longeait la plage. Un peu plus loin, il y avait un groupe d'Allemands qui se baignaient nus. Elle eut un instant d'hésitation, puis se dirigea vers moi. Le soleil était éblouissant; il était à peu près midi. D'une manière ou d'une autre, il fallait que je réussisse à jouer le jeu. Babette et Léa passèrent devant nous; elles portaient des sacs en bandoulière, mais sinon elles aussi étaient complètement nues. J'enregistrai l'information sans réagir. Valérie, par contre, les suivit longuement des yeux, avec curiosité et sans gêne. Elles s'installèrent non loin des Allemands. «Je vais me baigner, je crois… dis-je. – J'irai plus tard…» répondit-elle. J'entrai dans l'eau sans le moindre effort. Elle était chaude, transparente, délicieusement calme; de petits poissons argentés nageaient tout près de la surface. La pente était très douce, j'avais encore pied à cent mètres du rivage. Je sortis ma queue de mon slip de bain, fermai les yeux en visualisant le sexe de Valérie, tel que je l'avais aperçu ce matin, à demi découvert par sa culotte de dentelle. Je bandais, c'était déjà quelque chose; ça pouvait constituer une motivation. Par ailleurs il faut vivre, et avoir des relations humaines; j'étais trop tendu, en général, et depuis trop longtemps. J'aurais peut-être dû faire des activités le soir, du badminton, du chant choral ou autre chose. Les seules femmes dont je parvenais à me souvenir, c'était quand même celles avec qui j'avais baisé. Ce n'est pas rien, ça non plus; on constitue des souvenirs pour être moins seul au moment de la mort. Je ne devais pas penser comme ça. «Think positive» me dis-je avec affolement, «think différent». Je revins lentement vers le rivage en m'arrêtant toutes les dix brasses, respirant à fond pour me décontracter. La première chose dont je pris conscience en posant le pied sur le sable, c'est que Valérie avait enlevé son haut de maillot. Pour l'instant elle était couchée sur le ventre, mais elle allait se retourner, c'était aussi inéluctable qu'un mouvement planétaire. Où est-ce que j'en étais exactement? Je m'assis sur mon drap de bain en me voûtant légèrement. «Think différent» me répétai-je. J'avais déjà vu des seins, j'en avais caressé et léché; pourtant, cette fois encore, je fus sous le choc. Je me doutais déjà qu'elle avait des seins magnifiques; mais c'était encore pire que ce que j'avais pu imaginer. Je ne parvenais pas à détacher mon regard des mamelons, des aréoles; elle ne pouvait pas ignorer mon regard; pourtant elle se tut, pendant quelques secondes qui me parurent longues. Qu'est-ce qu'il y a, exactement, dans la tête des femmes? Elles acceptent si facilement les termes du jeu. Parfois, lorsqu'elles s'observent, nues, en pied, dans une glace, on distingue dans leur regard une sorte de réalisme, une évaluation froide de leurs propres capacités de séduction, qu'aucun homme ne parviendra jamais à atteindre. Je fus le premier à baisser les yeux.
Il s'écoula ensuite un laps de temps que je ne parvins pas à définir; le soleil était toujours vertical, la lumière extrêmement vive. Mon regard était fixé sur le sable, blanc et pulvérulent. «Michel…» dit-elle doucement. Je relevai la tête brusquement, comme frappé par un coup. Ses yeux très bruns plongèrent dans les miens. «Qu'est-ce que les Thaïes ont de plus que les Occidentales?» demanda-t-elle distinctement. Cette fois encore, je ne parvins pas à soutenir son regard; sa poitrine bougeait au rythme de sa respiration; les mamelons me paraissaient durcis. Là, à ce moment précis, j'avais envie de répondre: «Rien». Puis une idée me vint; une idée pas très bonne.
«Il y a un article là-dessus, une sorte de publi-reportage…»; je lui tendis le Phuket Weekly. «Find jour longlife companion… Well educated Thaï ladies, c'est ça? – Oui, plus loin il y a une interview.» Cham Sawanasee, souriant, costume noir et cravate sombre, répondait aux dix questions qu'on était en droit de se poser («Ten questions you could ask») sur le fonctionnement de l'agence Heart to Heart, qu'il dirigeait.
«There seems to be, notait Mr Sawanasee, a near-perfect match between the Western men, who are unappreciated and get no respect in their own countries, and thé Thaï women, who would be happy to find someone who simply does his job and hopes to come home to a pleasant family life after work. Most Western women do not want such a boring husband.
«One easy way to see this, continuait-il, is to look at any publication containing "personal" ads. The Western women want someone who looks a certain way, and who has certain "social skills", such as dancing and clever conversation, someone who is interesting and exciting and seductive. Now go to my catalogue, and look at what the girls say they want. If s all pretty simple, really. Over and over they state that they are happy to settle down FOREVER with a man who is willing to hold down a steady job and be a loving and understanding HUSBAND and FATHER. That will get you exactly nowhere with an American girl!
«As Western women, concluait-il non sans culot, do not appreciate men, as they do not value traditional family life, marriage is not the right thing for them to do. l'm helping modern Western women to avoid what they despise.»
«Ça se tient, ce qu'il raconte… nota Valérie avec tristesse. Il y a un marché, c'est sûr…» Elle reposa le magazine et demeura songeuse. À ce moment Robert passa devant nous, il longeait la plage, les mains croisées derrière le dos, le regard sombre. Valérie se tourna brusquement pour regarder de l'autre côté. «Je n'aime pas ce type… soufflat-elle avec agacement.
– Il n'est pas bête… j'eus un geste assez indifférent.
– Il n'est pas bête, mais je ne l'aime pas. Il fait son possible pour choquer les autres, pour se rendre antipathique; je n'aime pas ça. Vous, au moins, vous essayez de vous adapter.
– Ah bon? je lui jetai un regard surpris.
– Oui. Évidemment on sent que vous avez du mal, vous n'êtes pas fait pour ce type de vacances; mais au moins vous faites un effort. Au fond, je crois que vous êtes un garçon plutôt gentil.»
A ce moment j'aurais pu, et j'aurais dû, la prendre dans mes bras, caresser ses seins, embrasser ses lèvres; stupidement, je m'abstins. L'après-midi se prolongea, le soleil avançait au-dessus des palmiers; nous prononcions des paroles insignifiantes.
Pour le dîner du réveillon Valérie avait mis une robe longue d'un tissu vert très fluide, légèrement transparent, avec un bustier qui dégageait largement ses seins. Après le dessert il y eut un orchestre sur la terrasse, avec un vieux chanteur bizarre qui nasillait des adaptations slow-rock de Bob Dylan. Babette et Léa s'étaient apparemment intégrées au groupe d'Allemands, j'entendais des exclamations qui venaient de leur côté. Josette et René dansaient tous les deux, tendrement enlacés, comme de gentils bidochons. La nuit était chaude; des phalènes s'agglutinaient sur les lampions multicolores accrochés à la balustrade. Je me sentais oppressé, je buvais whisky sur whisky. «Ce que disait ce type, l'interview dans le journal…