C'était une erreur, elle ne tarda pas à s'en rendre compte. Le niveau de sa classe de BTS lui parut extrêmement bas, elle réussissait ses contrôles continus sans aucun effort, et pouvait raisonnablement s'attendre à obtenir son diplôme sans même y avoir pensé. Parallèlement, elle s'inscrivit à des cours qui lui permettraient d'avoir l'équivalence du DEUG «Lettres et sciences humaines». Une fois son BTS passé, elle s'inscrivit en maîtrise de sociologie. Là aussi, elle fut rapidement déçue. Le domaine était intéressant, il devait y avoir des découvertes à faire; mais les méthodes de travail proposées, les théories avancées lui paraissaient d'un simplisme ridicule: tout cela puait l'idéologie, l'imprécision et l'amateurisme. Elle arrêta en cours d'année, sans terminer ses certificats, et trouva un emploi d'agent de comptoir dans une succursale Kuoni à Rennes. Au bout de deux semaines, au moment où elle envisageait de louer un studio, elle en prit conscience: le piège s'était refermé; elle était désormais dans le monde du travail.
Elle était restée un an à l'agence Kuoni de Rennes, où elle s'était révélée une très bonne vendeuse. «Ce n'était pas difficile, dit-elle, il suffisait de faire un peu parler les clients, de s'intéresser à eux. C'est très rare, en fin de compte, les gens qui s'intéressent aux autres.» La direction lui avait alors proposé une place d'assistante-forfaitiste au siège parisien. Il s'agissait de participer à la conception des circuits, de prévoir l'itinéraire et les visites, de négocier les prix avec les hôteliers et les prestataires locaux. Là aussi, elle s'en était plutôt bien sortie. Six mois plus tard, elle répondit à une annonce Nouvelles Frontières qui proposait un poste du même ordre. C'est alors que sa carrière avait véritablement décollé. On l'avait mise en équipe avec Jean-Yves Frochot, un jeune diplômé d'HEC qui ne connaissait à peu près rien au tourisme. Tout de suite il l'avait beaucoup appréciée, lui avait fait confiance, et, bien qu'il soit théoriquement son chef, lui avait laissé une grande marge d'initiative.
«Ce qui est bien, avec Jean-Yves, c'est qu'il a eu de l'ambition à ma place. Chaque fois qu'il a fallu négocier une promotion ou une augmentation, c'est lui qui l'a fait. Maintenant, il est responsable produits pour le monde – c'est lui qui supervise la conception de l'ensemble des circuits; et je suis toujours son assistante.
– Tu dois être bien payée.
– Quarante mille francs par mois. Enfin, maintenant, il faut compter en euros. Un peu plus de six mille euros.»
Je regardai Valérie avec surprise. «Je ne m'attendais pas à ça… dis-je.
– C'est parce que tu ne m'as jamais vue en tailleur.
– Tu as un tailleur?
– Ça ne sert pas à grand-chose, je travaille presque uniquement par téléphone. Mais s'il le faut, oui, je peux me mettre en tailleur. J'ai même des porte-jarretelles. On essaiera une fois, si tu veux.»
C'est alors que je pris conscience, avec une incrédulité douce, que j'allais revoir Valérie, et que nous allions probablement être heureux. C'était trop imprévu, cette joie, j'avais envie de pleurer; il fallait que je change de sujet. «Il est comment, Jean-Yves?
– Normal. Marié, deux enfants. Il travaille énormément, il emmène des dossiers le week-end. Enfin c'est un jeune cadre normal, plutôt intelligent, plutôt ambitieux; mais il est sympa, pas du tout caractériel. Je m'entends bien avec lui.
– Je ne sais pas pourquoi, mais je suis content que tu sois riche. En fait ça n'a aucune importance, mais ça me fait plaisir.
– C'est vrai que j'ai réussi, j'ai un bon salaire; mais je paie 40 % d'impôts, et j'ai un loyer de dix mille francs par mois. Je ne suis pas certaine de m'être si bien débrouillée que ça: si mes résultats baissent, ils n'hésiteront pas à me virer; c'est arrivé à d'autres. Si j'avais des actions, là, oui, je serais vraiment devenue riche. Au départ, Nouvelles Frontières était surtout un discounter de vols secs. S'ils sont devenus le premier tour-opérateur français, c'est grâce à la conception et au rapport qualité-prix de leurs circuits; en grande partie grâce à notre travail, à Jean-Yves et à moi. En dix ans, la valeur de l'entreprise a été multipliée par vingt; comme Jacques Maillot détient toujours 30 % des parts, je peux dire qu'il a fait fortune grâce à moi.
– Tu l'as déjà rencontré?
– Plusieurs fois; je ne l'aime pas. En surface c'est un catho démagogue branché à la con, avec ses cravates bariolées et ses scooters; mais en profondeur c'est un salaud hypocrite et impitoyable. Avant Noël, Jean-Yves a été contacté par un chasseur de têtes; il a dû le rencontrer ces jours-ci, il doit en savoir plus, j'avais promis de l'appeler en rentrant.
– Appelle-le, alors, c'est important.
– Oui…» Elle avait l'air d'en douter un peu, l'évocation de Jacques Maillot l'avait assombrie. «Ma vie aussi, c'est important. En fait, j'ai encore envie de faire l'amour.
– Je ne sais pas si je vais réussir à bander tout de suite.
– Alors, lèche-moi. Ça va me faire du bien.»
Elle se leva, ôta sa culotte, s'installa confortablement dans le canapé. Je m'agenouillai devant elle, écartai largement ses lèvres, commençai à donner de petits coups de langue sur le clitoris. «Plus fort…» murmura-t-elle. Je mis un doigt dans son cul, approchai la bouche et embrassai le bouton, le malaxant entre mes lèvres. «Oh, oui…» fit-elle. J'augmentai encore la force de mes baisers. Elle jouit d'un seul coup, sans que je m'y attende, avec un grand frisson de tout le corps.
«Viens près de moi…» Je m'assis sur le canapé. Elle se pelotonna contre moi, posa sa tête sur mes cuisses. «Quand je t'ai demandé ce que les Thaïes avaient de plus que nous, tu ne m'as pas vraiment répondu; tu m'as juste montré l'interview d'un directeur d'agence matrimoniale.
– Ce qu'il disait était vrai: il y a beaucoup d'hommes qui ont peur des femmes modernes, parce qu'ils veulent juste une gentille épouse qui tienne leur ménage et s'occupe de leurs enfants. Ça n'a pas disparu, en fait, mais c'est devenu impossible en Occident d'avouer ce genre de désirs; c'est pour ça qu'ils épousent des Asiatiques.
– D'accord…» Elle réfléchit un instant. «Mais toi, tu n'es pas comme ça; je vois bien que ça ne te dérange pas du tout que j'aie un poste de responsabilité, un salaire élevé; je n'ai pas du tout l'impression que ça te fasse peur. Pourtant tu es quand même allé dans les salons de massage, alors que tu n'as pas essayé de me draguer. C'est ça que je ne comprends pas. Qu'est-ce qu'elles ont, les filles là-bas? Elles font vraiment l'amour mieux que nous?»
Sa voix s'était légèrement altérée sur ces dernières paroles; j'étais plutôt ému, je mis une minute avant de parvenir à lui répondre. «Valérie, dis-je finalement, je n'ai jamais rencontré personne qui me fasse l'amour aussi bien que toi; ce que j'ai ressenti depuis hier soir est presque incroyable.» Je me tus un instant avant d'ajouter: «Tu ne peux pas t'en rendre compte, mais tu es une exception. C'est vraiment rare, maintenant, les femmes qui éprouvent du plaisir, et qui ont envie d'en donner. Séduire une femme qu'on ne connaît pas, baiser avec elle, c'est surtout devenu une source de vexations et de problèmes. Quand on considère les conversations fastidieuses qu'il faut subir pour amener une nana dans son lit, et que la fille s'avérera dans la plupart des cas une amante décevante, qui vous fera chier avec ses problèmes, vous parlera de ses anciens mecs – en vous donnant, au passage, l'impression de ne pas être tout à fait à la hauteur – et qu'il faudra impérativement passer avec elle au moins le reste de la nuit, on conçoit que les hommes puissent préférer s'éviter beaucoup de soucis en payant une petite somme. Dès qu'ils ont un peu d'âge et d'expérience, ils préfèrent éviter l'amour; ils trouvent plus simple d'aller voir les putes. Enfin pas les putes en Occident, ça n'en vaut pas la peine, ce sont de vrais débris humains, et de toute façon pendant l'année ils n'ont pas le temps, ils travaillent trop. Donc, la plupart ne font rien; et certains, de temps en temps, se paient un petit peu de tourisme sexuel. Et encore, ça, c'est dans le meilleur des cas: aller voir une pute, c'est encore maintenir un petit contact humain. Il y a aussi tous ceux qui trouvent plus simple de se branler sur Internet, ou en regardant des pornos. Une fois que la bite a craché son petit jet, on est bien tranquille.