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– Je vois… dit-elle après un long silence. Je vois ce que tu veux dire. Et tu ne penses pas que les hommes ou les femmes puissent changer?

– Je ne pense pas que les choses puissent revenir en arrière, non. Ce qui va probablement se passer, c'est que les femmes deviendront de plus en plus semblables aux hommes; pour l'instant, elles restent très attachées à la séduction; alors que les hommes, au fond, s'en foutent de séduire, ils veulent surtout baiser. La séduction n'intéresse que quelques types qui n'ont pas vraiment de vie professionnelle excitante, ni d'autre source d'intérêt dans la vie. À mesure que les femmes s'attacheront davantage à leur vie professionnelle, à leurs projets personnels, elles trouveront plus simple, elles aussi, de payer pour baiser; et elles se tourneront vers le tourisme sexuel. Les femmes peuvent s'adapter aux valeurs masculines; elles ont parfois du mal, mais elles peuvent le faire, l'histoire l'a prouvé.

– Donc, en général, c'est plutôt mal parti.

– Très mal parti… confirmai-je avec une satisfaction sombre.

– Donc, on a eu de la chance.

– J'ai eu de la chance de te rencontrer, oui.

– Moi aussi… dit-elle en me regardant dans les yeux. Moi aussi, j'ai eu de la chance. Les hommes que je connais c'est vraiment une catastrophe, il n'y en a plus aucun qui croie aux rapports amoureux; alors ils vous font tout un cinéma sur l'amitié, la complicité, bref tous ces trucs qui n'engagent à rien. J'en suis arrivée à un point où je n'arrive même plus à supporter le mot d'amitié, ça me rend carrément malade. Ou alors il y a l'autre cas, ceux qui se marient, qui se casent le plus tôt possible, et qui ne pensent plus qu'à leur carrière. Tu n'étais pas dans ce cas-là, évidemment; mais j'ai tout de suite su, aussi, que tu ne me parlerais jamais d'amitié, que tu ne serais pas vulgaire à ce point. J'ai tout de suite espéré qu'on coucherait ensemble, et qu'il se passerait quelque chose de fort; mais il pouvait aussi ne rien se passer, c'était même le plus probable.» Elle s'interrompit, eut un soupir d'agacement. «Bon… fit-elle avec résignation, je vais quand même appeler Jean-Yves.»

Je m'habillai dans la chambre pendant qu'elle passait son coup de fil. «Oui, très bonnes vacances…» entendis-je. Un peu plus tard, elle s'exclama: «Combien?…» Quand je revins dans la pièce elle tenait le combiné à la main, et paraissait songeuse; elle ne s'était pas encore rhabillée.

«Jean-Yves a vu le type du cabinet de recrutement, dit-elle; on lui propose cent vingt mille francs par mois. Ils sont prêts à m'engager aussi; d'après lui, ils peuvent monter jusqu'à quatre-vingt mille. Il a rendez-vous demain matin pour discuter du poste.

– C'est pour travailler où?

– À la division loisirs du groupe Aurore.

– C'est une entreprise importante?

– Plutôt, oui; c'est le premier groupe hôtelier mondial.»

2

Comprendre le comportement du consommateur

afin de pouvoir le cerner, lui proposer le bon produit au bon moment, mais surtout le convaincre que le produit

qui lui est proposé est adapté à ses besoins: voilà ce dont rêvent toutes les entreprises.

Jean-Louis Barma – A quoi rêvent les entreprises

Jean-Yves se réveilla à cinq heures du matin, jeta un regard à sa femme qui dormait encore. Ils avaient passé un week-end infect chez ses parents – sa femme ne supportait pas la campagne. Nicolas, son fils de dix ans, détestait lui aussi le Loiret, où il ne pouvait pas emmener son ordinateur; et il n'aimait pas ses grands-parents, il trouvait qu'ils sentaient mauvais. C'est vrai que son père baissait, il se négligeait de plus en plus, et ne s'intéressait plus guère qu'à ses lapins. Le seul élément supportable de ces week-ends c'était sa fille, Angélique: à trois ans, elle était encore capable de s'extasier devant les vaches et les poules; mais en ce moment elle était malade, elle avait passé une grande partie de ses nuits à pleurer et à gémir. Une fois rentrés, après trois heures d'embouteillage, Audrey avait décidé de sortir avec des amis. Il s'était préparé des surgelés en regardant un film américain médiocre qui racontait l'histoire d'un sérial killer autiste – le scénario s'inspirait paraît-il d'un fait divers réel, l'homme avait été le premier malade mental exécuté dans le Nebraska depuis plus de soixante ans. Son fils n'avait pas voulu dîner, il s'était aussitôt lancé dans une partie de Total Annihilation - ou peut-être de Mortal Kombat II, il les confondait. De temps en temps, il allait dans la chambre de sa fille pour essayer de calmer ses hurlements. Elle s'était endormie vers une heure; Audrey n'était pas encore rentrée.

Elle avait fini par rentrer, songea-t-il en se préparant un café avec la machine à expresso; cette fois-ci tout du moins. Le cabinet d'avocats pour lequel elle travaillait avait Libération et Le Monde parmi ses clients; elle s'était mise à fréquenter un milieu de journalistes, de présentateurs de télévision, d'hommes politiques. Ils sortaient beaucoup, parfois dans des endroits bizarres – une fois, en feuilletant un de ses livres, il était tombé sur la carte d'un bar fétichiste. Jean-Yves soupçonnait qu'elle devait coucher avec un type de temps à autre; en tout cas, ils ne couchaient plus ensemble. Curieusement, de son côté, il n'avait pas d'aventures, fl savait pourtant qu'il était beau, d'un type blond aux yeux bleus plus courant chez les Américains; mais il n'avait pas vraiment envie de profiter des occasions qui auraient pu se présenter – de toute façon assez rares, il travaillait douze à quatorze heures par jour, et à son niveau de responsabilité on ne rencontrait plus tellement de femmes. Bien sûr, il y avait Valérie; mais il n'avait jamais songé à la considérer autrement que comme une collègue. C'était assez curieux, d'ailleurs, de voir les choses sous ce nouvel angle; mais il savait que c'était une rêverie sans conséquence: ça faisait cinq ans qu'il travaillait avec Valérie, et dans ce domaine les choses se font tout de suite – ou elles ne se font jamais. Il avait beaucoup d'estime pour Valérie, sa capacité d'organisation surprenante, sa mémoire sans failles; il savait que, sans elle, il ne serait pas parvenu à ce niveau – pas si vite. Et, aujourd'hui, il allait peut-être franchir une étape décisive, il se brossa les dents, se rasa avec soin avant de choisir un complet plutôt strict. Puis il poussa la porte de la chambre de sa fille: elle dormait, toute blonde comme lui, dans son pyjama orné de poussins.

Il se rendit à pied jusqu'au Gymnase-Club République, qui ouvrait à sept heures; ils habitaient rue du Faubourg-du-Temple, un quartier plutôt branché qu'il détestait. Son rendez-vous au siège du groupe Aurore n'était qu'à dix heures. Pour une fois, Audrey pourrait s'occuper d'habiller les enfants et de les conduire à l'école, il savait que ce soir en rentrant il aurait le droit à une demi-heure de reproches; en avançant sur le trottoir humide, parmi les cartons vides et les épluchures, il prit conscience qu'il s'en foutait. Il prit également conscience, pour la première fois aussi nettement, que son mariage avait été une erreur. Ce type de prise de conscience, il le savait, précède en moyenne le divorce de deux à trois ans – ce n'est jamais une décision facile à prendre.