«Bon, aventure pour l'Egypte…» conclut sobrement Jean-Yves. Il s'excusa d'interrompre ma narration, mais il fallait aborder le cas du Kenya. Cas difficile. «Je serais assez tenté de le mettre en "Aventure"… suggéra-t-il après avoir consulté ses fiches.
– C'est dommage… soupira Valérie, elles sont bonnes, les femmes au Kenya.
– Comment tu sais ça?
– Enfin pas seulement au Kenya, en Afrique en général.
– Oui, mais des femmes tu en as partout. Au Kenya tu as quand même des rhinocéros, des zèbres, des gnous, des éléphants et des buffles. Ce que je propose c'est de mettre le Sénégal et la Côte-d'Ivoire en "Aphrodite", et de laisser le Kenya en "Aventure". En plus c'est une ancienne colonie anglaise, c'est mauvais pour l'image érotique; pour l'aventure, ça va.
– Elles sentent bon, les Ivoiriennes… observai-je rêveusement.
– Qu'est-ce que tu veux dire par là?
– Elles sentent le sexe.
– Oui… Il mordilla machinalement son feutre. Ça pourrait donner lieu à une pub. "Côte-d'Ivoire, côte des senteurs", le genre. Avec une fille en sueur, un peu échevelée, en pagne. Il faut le noter.
– "Et des esclaves nus tout imprégnés d'odeurs…" Baudelaire, c'est dans le domaine public.
– Ça ne passera pas.
– Je sais bien.»
Les autres pays africains posèrent moins de problèmes. «Avec les Africains, d'ailleurs, observa Jean-Yves, il n'y a jamais de problèmes. Ils baisent même gratuitement, y compris les grosses. Il faut juste mettre des préservatifs dans les clubs, c'est tout; de ce point de vue là, ils sont parfois un peu têtus.» Il souligna deux fois PRÉVOIR PRÉSERVATIFS sur son carnet.
Le cas de Ténérife nous retint encore moins longtemps. La destination obtenait des résultats moyens, mais elle était, selon Jean-Yves, stratégique sur le marché anglo-saxon. On pouvait facilement ficeler un circuit aventure potable avec une ascension du pic de Teide et une excursion en hydroglisseur à Lanzarote. L'infrastructure hôtelière était correcte, fiabilisée.
Nous en vînmes aux deux clubs qui devaient constituer les atouts majeurs de la chaîne: Boca Chica à Saint-Domingue, Guardalavaca à Cuba. «On pourrait prévoir des lits king size… suggéra Valérie. – Accordé, répondit aussitôt Jean-Yves. – Des jacuzzis privés dans les suites… suggérai-je. – Non, trancha-t-il. On reste milieu de gamme.» Tout s'enchaînait naturellement, sans hésitations et sans doutes; il faudrait voir avec les chefs de village pour normaliser les tarifs de la prostitution locale.
Nous fîmes une pause rapide pour aller déjeuner. Au même moment, à moins d'un kilomètre, deux adolescents de la cité des Courtilières éclataient la tête d'une sexagénaire à coups de battes de base-bail. En entrée, je pris des maquereaux au vin blanc. «Vous avez prévu quelque chose en Thaïlande? m'informai-je.
– Oui, on a un hôtel en construction à Krabi. C'est la nouvelle destination à la mode, après Phuket. On pourrait très bien accélérer les travaux pour que ça soit prêt le 1er janvier; ce serait bien de faire une inauguration de prestige.»
Nous consacrâmes l'après-midi à développer les différents aspects innovants des clubs Aphrodite. Le point central, naturellement, était l'autorisation d'accès aux prostituées et prostitués locaux, n n'était évidemment pas question de prévoir de structure d'accueil pour les enfants; le mieux était même sans doute d'interdire l'accès des clubs aux moins de seize ans. Une idée ingénieuse, suggérée par Valérie, fut d'indiquer comme tarif catalogue de base celui des chambres individuelles, et d'appliquer une réduction de 10 % aux chambres partagées en couple; d'inverser, en somme, le mode de présentation habituel. Je crois que c'est moi qui ai proposé de mettre en avant une politique gayfriendly, et de faire circuler la rumeur selon laquelle le taux de fréquentation d'homosexuels dans les clubs s'élevait à 20 %: ce genre d'information suffisait, en général, à les faire venir; et pour installer une ambiance sexe dans un endroit, ils s'y entendaient. La question du slogan de base de la campagne publicitaire nous retint plus longtemps. Jean-Yves avait trouvé une formule basique et efficace: «Les vacances, c'est fait pour s'éclater»; mais c'est finalement moi qui ralliai les suffrages avec: «Eldorador Aphrodite: parce qu'on a le droit de se faire plaisir». Depuis l'intervention de l'OTAN au Kosovo, la notion de droit était redevenue porteuse, m'expliqua Jean-Yves d'un ton mi-figue mi-raisin; mais il était en fait sérieux, il venait de lire un article là-dessus dans Stratégies. Toutes les campagnes récentes qui s'étaient basées sur le thème du droit avaient été des réussites: le droit à l'innovation, le droit à l'excellence… Le droit au plaisir, conclut-il tristement, était un thème nouveau. Nous commencions en fait à être un peu fatigués, il nous déposa au 2 +2 avant de rentrer chez lui. C'était un samedi soir, il y avait pas mal de monde. Nous fîmes la connaissance d'un couple de Noirs sympa: elle était infirmière, lui batteur de jazz – ça marchait bien pour lui, il enregistrait régulièrement des disques. Il faut dire qu'il travaillait beaucoup sa technique, sans arrêt en fait. «Il n'y a pas de secret…» dis-je un peu bêtement, mais bizarrement il acquiesça, j'avais touché sans le vouloir une vérité profonde. «Le secret, c'est qu'il n'y a pas de secret» me répéta-t-il avec conviction. Nous avions terminé nos verres, nous nous dirigeâmes vers les chambres. Il proposa à Valérie une double pénétration. Elle accepta, à condition que ce soit moi qui la sodomise – il fallait s'y prendre très doucement avec elle, j'avais plus l'habitude. Jérôme acquiesça, s'allongea sur le lit. Nicole le branla pour maintenir son érection, puis lui enfila un préservatif. Je retroussai la jupe de Valérie jusqu'à la taille; elle ne portait rien en dessous. Elle s'empala d'un seul coup sur la queue de Jérôme, puis s'allongea sur lui. J'écartai ses fesses, la lubrifiai légèrement, puis commençai à l’enculer par petits coups prudents. Au moment où mon gland était totalement enfoncé, je sentis se contracter ses muscles rectaux. Je me raidis d'un seul coup, respirai profondément; j'avais bien failli jouir. Au bout de quelques secondes, je m'enfonçai plus profond. Lorsque je fus à mi-distance elle commença à bouger d'avant en arrière, frottant son pubis sur celui de Jérôme. Je n'avais plus rien à faire; elle commença à pousser un long gémissement modulé, son cul s'ouvrait, je m'enfonçais en elle jusqu'à la racine, c'était comme glisser sur un plan incliné, sa jouissance vint étrangement vite. Puis elle s'immobilisa, pantelante, heureuse. Ce n'était pas forcément plus intense, m'expliqua-t-elle un peu plus tard; mais quand tout se passait bien il y avait un moment où les deux sensations fusionnaient, ça devenait quelque chose de très doux et d'irrésistible, comme une chaleur globale.