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b) vous êtes sûr d’avoir reçu la panoplie du justicier, type Cluedo, en plus mystérieux

c) vous faites le bilan en réécrivant votre vie dans le livre ci-joint (l’épingle à chapeau vous sert à vous creuser la tête), vous l’attachez à une ficelle pour être sûr qu’il ne puisse plus bouger, vous testez sa rigidité avec la pince avant de vous décider à l’achever avec les six balles qui restent.

d) vous comprenez que cette arme est un moyen d’assassiner vos pensées parasites, vos sales petits secrets ; vous pourrez ainsi les inscrire sur les papiers à cigarettes, dégoupiller les balles en vous aidant de la pince, bourrer les petits papiers à l’intérieur grâce à l’épingle à chapeau, puis refermer le tout, choisir un endroit désert pour cracher votre Valda et enfin passer à l’acte…

Je refermai le carnet. De l’autre côté de la table, Alice guettait ma réaction.

— Tu n’aurais pas pu me donner ça avant ?

— C’était dans la boîte à chaussures, sous le livre, dit-elle doucement. C’est toi qui ne l’as pas vu. Depuis le temps, je croyais que tu savais…

— Que je savais, que je savais… je maugréai au lieu de lui casser la gueule. Bon Dieu, ton jeu a vraiment mal commencé, Alice…

À croupetons sur sa chaise, elle se réchauffait les bras.

— Ça consiste en quoi exactement, ton truc ? relançai-je. Une confession sur papier ?

— Si on veut… Ça te fait peur ?

Je ne répondis pas. Pas tout de suite. À vrai dire, l’idée d’envoyer des petits papiers au diable ne me plaisait qu’à moitié.

— Tu aurais mieux fait de m’offrir un tir au pigeon, grognai-je pour faire bonne figure. C’est con comme la lune mais c’est moins dangereux…

Alice sourit du bout des lèvres.

Oscillant entre la colère et une forme de soulagement, je relus la première page du carnet : Activité ludique à hauts risques pour un été maussade ou Rachetez-vous une âme en six coups.

Le mode d’emploi du revolver.

Je jetai un regard noir à la fille qui grelottait sur sa chaise :

— C’est ça que tu appelles s’envoyer en l’air ?

4

Un arrière-goût de Fuego

Une campagne monotone défilait derrière les verres fumés. Luis conduisait la BM, un cure-dent à la bouche mastiqué depuis le Pays basque. Assis à ses côtés, Martial consultait la carte détaillée de la région. C’était bien le diable s’ils avaient échangé deux mots depuis l’échangeur et l’Espagnol ne semblait guère disposé à épiloguer sur les raisons qui les avaient menés là. Bon sang, se disait Martial, qu’est-ce qui avait bien pu passer par la tête d’Alice ?

Au départ, Luis ne devait rester que quelques jours en planque chez lui, à Bayonne : après l’opération de la semaine dernière, il valait mieux se mettre au vert et attendre les nouvelles avant de repartir pour l’Espagne. Dès son arrivée, Martial avait été impressionné par son calme, sa silhouette de matador, ses longs doigts manucurés et le gros revolver qu’il tenait dans son bagage. Les deux hommes ne s’étaient jamais rencontrés.

Luis, prudent, avait seulement déclaré être originaire de Donastia — San Sebastian pour les autres. Il était rarement sorti du pavillon et toujours pour des raisons non évoquées, gardant le silence sur ses activités, ses contacts à l’extérieur, jusqu’à l’arrivée de sa sœur.

Elle qui ne passait presque jamais chez lui trouva ce moment précis pour venir lui empoisonner l’existence. Martial avait bien tenté de lui expliquer qu’elle ne pouvait pas rester, qu’il hébergeait quelqu’un d’important, Alice fit comme d’habitude son petit numéro.

L’Espagnol n’avait pas tardé à se détendre, puis à s’intéresser, voire à carrément se laisser aller : ils avaient bu une première bouteille quand il lui proposa de dîner en leur compagnie. Martial n’était pas chaud mais Luis avait prononcé plus de mots en une heure qu’en trois jours avec lui. À table, et à sa plus grande surprise, Alice parla de ses amis de Jaraï, l’organisation de jeunesse des radicaux, et de l’exposition qu’elle préparait en vue de défendre la « cause ». L’autre opinait du chef, appréciant visiblement ses connaissances, le vin de pays et ses beaux yeux bleus.

À la deuxième bouteille, les siens brillaient comme des pleines lunes. Martial les abandonna à la troisième et partit se coucher en maudissant sa sœur.

Il ne sut jamais ce qui s’était passé après le repas, ce qu’ils avaient bu ou fait, mais au matin, Luis s’était réveillé sans son arme. Et ça, ça ne lui avait pas du tout plu. « Retrouve-la, et vite », avait-il dit dans ce qu’il fallait bien prendre comme un ultimatum. À trois semaines d’une opération préparée depuis des mois, il était en effet hors de question de laisser son revolver dans la nature — et encore moins d’en informer ses supérieurs…

Aujourd’hui encore, Martial se demandait pourquoi Alice s’était enfuie avec le revolver d’un activiste, et ce qu’il faisait là, lui, à la poursuivre, alors qu’il n’avait jamais rien compris à sa sœur.

Rien.

Elle et lui avaient été séparés à la mort de leur mère. Quand leur tante s’était décidée à la rapatrier, il avait déjà ses habitudes au pays et à dix ans, elle était déjà irrécupérable : Alice n’en faisait qu’à sa tête. Le genre d’élève à se retrouver, la même année, à la fois première et dernière de classe — avec le sourire par-dessus le marché. Plus tard, à vingt ans, alors que Martial se demandait si elle n’était pas lesbienne, Alice était tombée brusquement enceinte : bien qu’on ne l’ait jamais vue boire auparavant, elle s’était alors pris une cuite de quatre jours et quatre nuits avec le premier venu jusqu’à ce que mort s’ensuive, puis elle était brusquement partie en Thaïlande pour, paraît-il, construire des cerfs-volants, avant de revenir deux ans plus tard sans plus d’explications, mais toujours avec le sourire.

Alice semblait depuis vivre de l’air du temps mais sous ses airs d’ange en cavale, Martial s’en méfiait. Car si lui ne comprenait rien à sa sœur, Luis, très à cheval sur l’honneur et la famille, le tenait en partie responsable du vol.

— Retrouve-la, avait sifflé Luis, et vite.

Pas besoin d’être neuropsychiatre pour saisir la menace.

Après une fouille minutieuse de l’appartement de sa sœur, Martial avait interrogé ses amis, sans succès : Alice semblait avoir quitté la ville.

Ils dénichèrent sa piste trois jours plus tard — un aller simple pour Rennes, pris l’avant-veille en gare de Biarritz…

La BM roulait maintenant à vive allure sur la quatre-voies. Encore quelques kilomètres et ils arriveraient dans la capitale bretonne. Muré dans ses pensées, ses longues mains à plat sur le volant, Luis mâchouillait les restes de son cure-dent.

Il aimait bien sa BM. C’était une 520 i grise, avec six cylindres qui ronronnaient à ses pieds. Confortable, spacieuse, puissante, la berline avait en prime des papiers en règle et une excellente tenue de route. Luis ralentit à l’abord des grandes surfaces qui délimitaient les faubourgs de la ville et, pour la première fois depuis Niort, se tourna vers le passager.

— Et si ta sœur n’est pas chez le type ?

Martial esquissa une grimace d’impuissance. Évidemment, il avait songé à cette issue.

— J’ai retrouvé du courrier à lui chez elle, dit-il. À ma connaissance, c’est la seule personne qu’elle connaisse ici.