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Seigneur, Dieu tout-puissant, quand je veux te comprendre, Ta grandeur m'éblouit et vient me le défendre. Quand ma raison s'élève à ton infinité Dans le doute et la nuit je suis précipité, Et je ne puis saisir, dans l'ombre qui m'enlace Qu'un éclair passager qui brille et qui s'efface. Mais j'espère pourtant, car là-haut tu souris ! Car souvent, quand un jour se lève triste et gris, Quand on ne voit partout que de sombres images, Un rayon de soleil glisse entre deux nuages Qui nous montre là-bas un petit coin d'azur ; Quand l'homme doute et que tout lui paraît obscur, Il a toujours à l'âme un rayon d'espérance ; Car il reste toujours, même dans la souffrance, Au plus désespéré, par le temps le plus noir, Un peu d'azur au ciel, au cœur un peu d'espoir.

Des vers (1880)

Edition originale

Le mur

Les fenêtres étaient ouvertes. Le salon Illuminé jetait des lueurs d'incendies, Et de grandes clartés couraient sur le gazon. Le parc, là-bas, semblait répondre aux mélodies De l'orchestre, et faisait une rumeur au loin. Tout chargé des senteurs des feuilles et du foin, L'air tiède de la nuit, comme une molle haleine, S'en venait caresser les épaules, mêlant Les émanations des bois et de la plaine À celles de la chair parfumée, et troublant D'une oscillation la flamme des bougies. On respirait les fleurs des champs et des cheveux. Quelquefois, traversant les ombres élargies, Un souffle froid, tombé du ciel criblé de feux, Apportait jusqu'à nous comme une odeur d'étoiles.
Les femmes regardaient, assises mollement, Muettes, l'œil noyé, de moment en moment Les rideaux se gonfler ainsi que font des voiles, Et rêvaient d'un départ à travers ce ciel d'or, Par ce grand océan d'astres. Une tendresse Douce les oppressait, comme un besoin plus fort D'aimer, de dire, avec une voix qui caresse, Tous ces vagues secrets qu'un cœur peut enfermer. La musique chantait et semblait parfumée ; La nuit embaumant l'air en paraissait rythmée, Et l'on croyait entendre au loin les cerfs bramer. Mais un frisson passa parmi les robes blanches ; Chacun quitta sa place et l'orchestre se tut, Car derrière un bois noir, sur un coteau pointu, On voyait s'élever, comme un feu dans les branches, La lune énorme et rouge à travers les sapins. Et puis elle surgit au faîte, toute ronde, Et monta, solitaire, au fond des cieux lointains, Comme une face pâle errant autour du monde.
Chacun se dispersa par les chemins ombreux Où, sur le sable blond, ainsi qu'une eau dormante, La lune clairsemait sa lumière charmante. La nuit douce rendait les hommes amoureux, Au fond de leurs regards allumant une flamme. Et les femmes allaient, graves, le front penché, Ayant toutes un peu de clair de lune à l'âme. Les brises charriaient des langueurs de péché.
J'errais, et sans savoir pourquoi, le cœur en fête. Un petit rire aigu me fit tourner la tête, Et j'aperçus soudain la dame que j'aimais, Hélas ! d'une façon discrète, car jamais Elle n'avait cessé d'être à mes vœux rebelle : « Votre bras, et faisons un tour de parc », dit-elle. Elle était gaie et folle et se moquait de tout, Prétendait que la lune avait l'air d'une veuve : « Le chemin est trop long pour aller jusqu'au bout, Car j'ai des souliers fins et ma toilette est neuve ; Retournons. » Je lui pris le bras et l'entraînai. Alors elle courut, vagabonde et fantasque, Et le vent de sa robe, au hasard promené, Troublait l'air endormi d'un souffle de bourrasque. Puis elle s'arrêta, soufflant ; et doucement Nous marchâmes sans bruit tout le long d'une allée. Des voix basses parlaient dans la nuit, tendrement, Et, parmi les rumeurs dont l'ombre était peuplée, On distinguait parfois comme un son de baiser. Alors elle jetait au ciel une roulade ! Vite tout se taisait. On entendait passer Une fuite rapide ; et quelque amant maussade Et resté seul pestait contre les indiscrets.
Un rossignol chantait dans un arbre, tout près, Et dans la plaine, au loin, répondait une caille.
Soudain, blessant les yeux par son reflet brutal, Se dressa, toute blanche, une haute muraille, Ainsi que dans un conte un palais de métal. Elle semblait guetter de loin notre passage. « La lumière est propice à qui veut rester sage, Me dit-elle. Les bois sont trop sombres, la nuit. Asseyons-nous un peu devant ce mur qui luit. » Elle s'assit, riant de me voir la maudire. Au fond du ciel, la lune aussi me sembla rire ! Et toutes deux d'accord, je ne sais trop pourquoi, Paraissaient s'apprêter à se moquer de moi.
Donc, nous étions assis devant le grand mur blême ; Et moi, je n'osais pas lui dire : « Je vous aime ! » Mais comme j'étouffais, je lui pris les deux mains. Elle eut un pli léger de sa lèvre coquette Et me laissa venir comme un chasseur qui guette.
Des robes, qui passaient au fond des noirs chemins, Mettaient parfois dans l'ombre une blancheur douteuse.
La lune nous couvrait de ses rayons pâlis Et, nous enveloppant de sa clarté laiteuse, Faisait fondre nos cœurs à sa vue amollis. Elle glissait très haut, très placide et très lente, Et pénétrait nos chairs d'une langueur troublante.
J'épiais ma compagne, et je sentais grandir Dans mon être crispé, dans mes sens, dans mon âme, Cet étrange tourment où nous jette une femme Lorsque fermente en nous la fièvre du désir ! Lorsqu'on a, chaque nuit, dans le trouble du rêve, Le baiser qui consent, le « oui » d'un œil fermé, L'adorable inconnu des robes qu'on soulève, Le corps qui s'abandonne, immobile et pâmé, Et qu'en réalité la dame ne nous laisse Que l'espoir de surprendre un moment de faiblesse !