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Ma gorge était aride ; et des frissons ardents Me vinrent, qui faisaient s'entrechoquer mes dents, Une fureur d'esclave en révolte, et la joie De ma force pouvant saisir, comme une proie, Cette femme orgueilleuse et calme, dont soudain Je ferais sangloter le tranquille dédain !
Elle riait, moqueuse, effrontément jolie ; Son haleine faisait une fine vapeur Dont j'avais soif. Mon cœur bondit ; une folie Me prit. Je la saisis en mes bras. Elle eut peur, Se leva. J'enlaçai sa taille avec colère, Et je baisai, ployant sous moi son corps nerveux, Son œil, son front, sa bouche humide et ses cheveux !
La lune, triomphant, brillait de gaieté claire.
Déjà je la prenais, impétueux et fort, Quand je fus repoussé par un suprême effort. Alors recommença notre lutte éperdue Près du mur qui semblait une toile tendue. Or, dans un brusque élan nous étant retournés, Nous vîmes un spectacle étonnant et comique. Traçant dans la clarté deux corps désordonnés, Nos ombres agitaient une étrange mimique, S'attirant, s'éloignant, s'étreignant tour à tour. Elles semblaient jouer quelque bouffonnerie, Avec des gestes fous de pantins en furie, Esquissant drôlement la charge de l'Amour. Elles se tortillaient farces ou convulsives, Se heurtaient de la tête ainsi que des béliers ; Puis, redressant soudain leurs tailles excessives, Restaient fixes, debout comme deux grands piliers. Quelquefois, déployant quatre bras gigantesques, Elles se repoussaient, noires sur le mur blanc, Et, prises tout à coup de tendresses grotesques, Paraissaient se pâmer dans un baiser brûlant.
La chose étant très gaie et très inattendue, Elle se mit à rire. – Et comment se fâcher, Se débattre et défendre aux lèvres d'approcher Lorsqu'on rit ? Un instant de gravité perdue Plus qu'un cœur embrasé peut sauver un amant !
Le rossignol chantait dans son arbre. La lune Du fond du ciel serein recherchait vainement Nos deux ombres au mur et n'en voyait plus qu'une.

Un coup de soleil

C'était au mois de juin. Tout paraissait en fête. La foule circulait bruyante et sans souci. Je ne sais trop pourquoi j'étais heureux aussi ; Ce bruit, comme une ivresse, avait troublé ma tête. Le soleil excitait les puissances du corps, Il entrait tout entier jusqu'au fond de mon être, Et je sentais en moi bouillonner ces transports Que le premier soleil au cœur d'Adam fit naître. Une femme passait ; elle me regarda. Je ne sais pas quel feu son œil sur moi darda, De quel emportement mon âme fut saisie, Mais il me vint soudain comme une frénésie De me jeter sur elle, un désir furieux De l'étreindre en mes bras et de baiser sa bouche ! Un nuage de sang, rouge, couvrit mes yeux, Et je crus la presser dans un baiser farouche. Je la serrais, je la ployais, la renversant. Puis, l'enlevant soudain par un effort puissant, Je rejetais du pied la terre, et dans l'espace Ruisselant de soleil, d'un bond, je l'emportais. Nous allions par le ciel, corps à corps, face à face. Et moi, toujours, vers l'astre embrasé je montais, La pressant sur mon sein d'une étreinte si forte Que dans mes bras crispés je vis qu'elle était morte…

Terreur

Ce soir-là j'avais lu fort longtemps quelque auteur. Il était bien minuit, et tout à coup j'eus peur. Peur de quoi ? je ne sais, mais une peur horrible. Je compris, haletant et frissonnant d'effroi, Qu'il allait se passer une chose terrible… Alors il me sembla sentir derrière moi Quelqu'un qui se tenait debout, dont la figure Riait d'un rire atroce, immobile et nerveux : Et je n'entendais rien, cependant. Ô torture ! De sentir qu’il se baisse à toucher mes cheveux, Qu’il est prêt à poser sa main sur mon épaule, Et que je vais mourir si cette main me frôle !… Il se penchait toujours vers moi, toujours plus près ; Et moi, pour mon salut éternel, je n'aurais Ni fait un mouvement ni détourné la tête… Ainsi que des oiseaux battus par la tempête, Mes pensers tournoyaient comme affolés d'horreur. Une sueur de mort me glaçait chaque membre, Et je n'entendais pas d'autre bruit dans ma chambre Que celui de mes dents qui claquaient de terreur.
Un craquement se fit soudain ; fou d'épouvante, Ayant poussé le plus terrible hurlement Qui soit jamais sorti de poitrine vivante, Je tombai sur le dos, roide et sans mouvement

Une conquête

Un jeune homme marchait le long du boulevard Et sans songer à rien, il allait seul et vite, N'effleurant même pas de son vague regard Ces filles dont le rire en passant vous invite.
Mais un parfum si doux le frappa tout à coup Qu'il releva les yeux. Une femme divine Passait. À parler franc, il ne vit que son cou ; Il était souple et rond sur une taille fine.
Il la suivit – pourquoi ? – Pour rien ; ainsi qu'on suit Un joli pied cambré qui trottine et qui fuit, Un bout de jupon blanc qui passe et se trémousse. On suit ; c'est un instinct d'amour qui nous y pousse.