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Elle ! dans une barque ! Étendue à l'arrière, Elle tenait la barre et passait en chantant ! Il resta consterné, pâle et le cœur battant, Pendant que sa Beauté fuyait sur la rivière.
Il était triste encore à l'heure du dîner ! On s'arrêta devant une petite auberge, Dans un jardin charmant par des vignes borné, Ombragé de tilleuls, et qui longeait la berge.
Mais d'autres canotiers étaient déjà venus ; Ils lançaient des jurons d'une voix formidable, Et, faisant un grand bruit, ils préparaient la table Qu'ils soulevaient parfois de leurs bras forts et nus.
Elle était avec eux et buvait une absinthe ! Il demeura muet. La drôlesse sourit, L'appela. – Lui restait stupide. – Elle reprit : « Çà, tu me prenais donc, nigaud, pour une Sainte ? »
Or il s'approcha d'elle en tremblant ; il dîna À ses côtés, et même au dessert s'étonna De l'avoir pu rêver d'une haute famille, Car elle était charmante, et gaie, et bonne fille.
Elle disait : « Mon singe », et « mon rat », et « mon chat », Lui donnait à manger au bout de sa fourchette. Ils partirent, le soir, tous les deux en cachette, Et l'on ne sut jamais dans quel lit il coucha !
Poète au cœur naïf il cherchait une perle ; Trouvant un bijou faux, il le prit et fit bien. J'approuve le bon sens de cet adage ancien : « Quand on n'a pas de grive, il faut manger un merle. »

Nuit de neige

La grande plaine est blanche, immobile et sans voix. Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte. Mais on entend parfois, comme une morne plainte, Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.
Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes. L'hiver s'est abattu sur toute floraison ; Des arbres dépouillés dressent à l'horizon Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.
La lune est large et pâle et semble se hâter. On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère. De son morne regard elle parcourt la terre, Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.
Et froids tombent sur nous les rayons qu'elle darde, Fantastiques lueurs qu'elle s'en va semant ; Et la neige s'éclaire au loin, sinistrement, Aux étranges reflets de la clarté blafarde.
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux ! Un vent glacé frissonne et court par les allées ; Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux, Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ; De leur œil inquiet ils regardent la neige, Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.

Envoi d'amour dans le jardin des Tuileries

Accours, petit enfant dont j'adore la mère Qui pour te voir jouer sur ce banc vient s'asseoir, Pâle, avec les cheveux qu'on rêve à sa Chimère Et qu'on dirait blondis aux étoiles du soir. Viens là, petit enfant, donne ta lèvre rose, Donne tes grands yeux bleus et tes cheveux frisés ; Je leur ferai porter un fardeau de baisers, Afin que, retourné près d'Elle à la nuit close, Quand tes bras sur son cou viendront se refermer, Elle trouve à ta lèvre et sur ta chevelure Quelque chose d'ardent ainsi qu'une brûlure ! Quelque chose de doux comme un besoin d'aimer ! Alors elle dira, frissonnante et troublée Par cet appel d'amour dont son cœur se défend, Prenant tous mes baisers sur ta tête bouclée : « Qu'est-ce que je sens donc au front de mon enfant ? »

Au bord de l'eau

I

Un lourd soleil tombait d'aplomb sur le lavoir ; Les canards engourdis s'endormaient dans la vase, Et l'air brûlait si fort qu'on s'attendait à voir Les arbres s'enflammer du sommet à la base. J'étais couché sur l'herbe auprès du vieux bateau Où des femmes lavaient leur linge. Des eaux grasses, Des bulles de savon qui se crevaient bientôt S'en allaient au courant, laissant de longues traces. Et je m'assoupissais lorsque je vis venir, Sous la grande lumière et la chaleur torride, Une fille marchant d'un pas ferme et rapide, Avec ses bras levés en l'air, pour maintenir Un fort paquet de linge au-dessus de sa tête. La hanche large avec la taille mince, faite Ainsi qu'une Vénus de marbre, elle avançait Très droite, et sur ses reins, un peu, se balançait. Je la suivis, prenant l'étroite passerelle Jusqu'au seuil du lavoir, où j'entrai derrière elle.
Elle choisit sa place, et dans un baquet d'eau, D'un geste souple et fort abattit son fardeau. Elle avait tout au plus la toilette permise ; Elle lavait son linge ; et chaque mouvement Des bras et de la hanche accusait nettement, Sous le jupon collant et la mince chemise, Les rondeurs de la croupe et les rondeurs des seins. Elle travaillait dur ; puis, quand elle était lasse, Elle élevait les bras, et, superbe de grâce, Tendait son corps flexible en renversant ses reins. Mais le puissant soleil faisait craquer les planches ; Le bateau s'entr'ouvrait comme pour respirer. Les femmes haletaient ; on voyait sous leurs manches La moiteur de leurs bras par place transpirer Une rougeur montait à sa gorge sanguine. Elle fixa sur moi son regard effronté, Dégrafa sa chemise, et sa ronde poitrine Surgit, double et luisante, en pleine liberté, Écartée aux sommets et d'une ampleur solide. Elle battait alors son linge, et chaque coup Agitait par moment d'un soubresaut rapide Les roses fleurs de chair qui se dressent au bout.