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Puis le cœur tout plein d'elle, à cette heure tardive Où j'attendais, guettant les détours de la rive, Quand elle apparaissait sous les hauts peupliers, Le désir allumé dans sa prunelle brune, Sa jupe balayant tous les rayons de Lune Couchés entre chaque arbre au travers des sentiers, Je songeais à l'amour de ces filles bibliques, Si belles qu'en ces temps lointains on a pu voir, Éperdus et suivant leurs formes impudiques, Des anges qui passaient dans les ombres du soir.

IV

Un jour que le patron dormait devant la porte,

Vers midi, le lavoir se trouva dépeuplé. Le sol brûlant fumait comme un bœuf essoufflé Qui peine en plein soleil ; mais je trouvais moins forte Cette chaleur du ciel que celle de mes sens. Aucun bruit ne venait que des lambeaux de chants Et des rires d'ivrogne, au loin, sortant des bouges, Puis la chute parfois de quelque goutte d'eau Tombant on ne sait d'où, sueur du vieux bateau. Or ses lèvres brillaient comme des charbons rouges D'où jaillirent soudain des crises de baisers, Ainsi que d'un brasier partent des étincelles, Jusqu'à l'affaissement de nos deux corps brisés. On n'entendait plus rien hormis les sauterelles, Ce peuple du soleil aux éternels cris-cris Crépitant comme un feu parmi les prés flétris. Et nous nous regardions, étonnés, immobiles, Si pâles tous les deux que nous nous faisions peur ; Lisant aux traits creusés, noirs, sous nos yeux fébriles, Que nous étions frappés de l'amour dont on meurt, Et que par tous nos sens s'écoulait notre vie.
Nous nous sommes quittés en nous disant tout bas Qu'au bord de l'eau, le soir, nous ne viendrions pas.
Mais, à l'heure ordinaire, une invincible envie Me prit d'aller tout seul à l'arbre accoutumé Rêver aux voluptés de ce corps tant aimé, Promener mon esprit par toutes nos caresses, Me coucher sur cette herbe et sur son souvenir.
Quand j'approchai, grisé des anciennes ivresses, Elle était là, debout, me regardant venir.
Depuis lors, envahis par une fièvre étrange, Nous hâtons sans répit cet amour qui nous mange Bien que la mort nous gagne, un besoin plus puissant Nous travaille et nous force à mêler notre sang. Nos ardeurs ne sont point prudentes ni peureuses ; L'effroi ne trouble pas nos regards embrasés ; Nous mourons l'un par l'autre, et nos poitrines creuses Changent nos jours futurs comme autant de baisers. Nous ne parlons jamais. Auprès de cette femme Il n'est qu'un cri d'amour, celui du cerf qui brame. Ma peau garde sans fin le frisson de sa peau Qui m'emplit d'un désir toujours âpre et nouveau, Et si ma bouche a soif, ce n'est que de sa bouche ! Mon ardeur s'exaspère et ma force s'abat Dans cet accouplement mortel comme un combat. Le gazon est brûlé qui nous servait de couche, Et désignant l'endroit du retour continu, La marque de nos corps est entrée au sol nu.
Quelque matin, sous l'arbre où nous nous rencontrâmes, On nous ramassera tous deux au bord de l'eau. Nous serons rapportés au fond d'un lourd bateau, Nous embrassant encore aux secousses des rames. Puis, on nous jettera dans quelque trou caché, Comme on fait aux gens morts en état de péché.
Mais alors, s'il est vrai que les ombres reviennent, Nous reviendrons, le soir, sous les hauts peupliers, Et les gens du pays, qui longtemps se souviennent, En nous voyant passer, l'un à l'autre liés, Diront, en se signant, et l'esprit en prière : « Voilà le mort d'amour avec sa lavandière. »

Les oies sauvages

Tout est muet, l'oiseau ne jette plus ses cris. La morne plaine est blanche au loin sous le ciel gris. Seuls, les grands corbeaux noirs, qui vont cherchant leurs proies, Fouillent du bec la neige et tachent sa pâleur.
Voilà qu'à l'horizon s'élève une clameur ; Elle approche, elle vient, c'est la tribu des oies. Ainsi qu'un trait lancé, toutes, le cou tendu, Allant toujours plus vite, en leur vol éperdu, Passent, fouettant le vent de leur aile sifflante.
Le guide qui conduit ces pèlerins des airs Delà les océans, les bois et les déserts, Comme pour exciter leur allure trop lente, De moment en moment jette son cri perçant.