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—  Nous sommes les produits de notre milieu. Nous, Stelléens, détestons et méprisons tous les planétaires, et principalement ceux qui viennent de l’Empire. Savez-vous que vous êtes le premier d’entre eux qui ait jamais été sauvé par une de nos cités ? Et uniquement parce que le teknor se trouve être Tan ! De votre côté, pouvez-vous dire honnêtement que nos coutumes ne vous semblent pas risibles ou détestables ? Jureriez-vous que vous n’avez pas comme unique but de vous évader, de rejoindre vos frères ?

—  Non, je n’en jurerais pas, reconnut-il.

—  Vous vous plaignez du mépris que nous vous portons ? Et le vôtre, celui que vous avez pour nous ? Croyez-vous que nous ne nous en apercevons pas ? »

Il nia de la main :

« Ce n’est pas du mépris que j’ai pour votre civilisation ! Je l’admire d’avoir construit ces monstrueux vaisseaux stellaires, mais je ne la comprends pas bien. Et j’ai en effet peu d’estime pour certaines de vos coutumes, comme ces stupides duels, indignes d’hommes véritables. Quel est leur but ? Montrer votre courage ? Il y aurait de meilleurs moyens !

—  Vous ne comprenez pas, en effet. Nous sommes personnellement responsables de nos actes, et c’est là le fondement de notre liberté. Je puis insulter qui je veux, mais je dois, en contrepartie, être prête à en payer le prix ! Comment se règlent donc chez vous les affaires d’honneur ?

—  Quelquefois par le duel, en effet. Du moins pour les soldats. Mais uniquement après un jugement prononcé par des pairs. Pour le peuple, il y a les tribunaux. Pour les nobles, l’Empereur décide.

—  Moi, je préfère notre manière. Votre livre vous attend dans la niche 23. Bonne lecture ! »

Puis, pendant quelques jours, la jeune fille revint à son ancienne attitude, et Tinkar se demanda si cette conversation ne resterait pas unique. Pourtant, il y avait quelque chose de changé dans leurs relations. Elle le recevait avec un visage plus ouvert, et une fois alors qu’elle croyait qu’il ne la voyait pas, il crut entrevoir l’ombre d’un sourire. Ce même jour elle sortit en même temps que lui.

« Puisque c’est moi qui ai ouvert les hostilités, il convient peut-être que ce soit moi qui décide d’un armistice. J’aimerais vous interroger sur la Terre. Voulez-vous venir dîner avec moi ? Mais, pour qu’il n’y ait pas d’équivoque, je vous préviens que je ne suis pas Oréna ! »

Il hésita un instant. La proposition était tentante, mais que cachait-elle ? Elle s’aperçut de son hésitation, ajouta :

« Ne vous y méprenez pas ! Nous sommes loin d’être amis. Je vous demande une faveur, que je pourrais payer de retour, en vous faisant par exemple visiter une salle des machines …

—  Elles sont hors limites pour moi !

—  Pas si je vous accompagne, avec un ordre du teknor !

—  Soit ! Où dois-je vous rejoindre ?

—  Chez moi, rue 144, appartement 530, pont 4, secteur 2. À dix-neuf heures. Vous verrez que je sais, moi aussi, préparer quelques plats agréables. »

Il téléscripta un mot pour Oréna, l’avertissant qu’il rentrerait sans doute tard. Sans vouloir se l’avouer, il était joyeux.

« Si Anaena se montre, sinon amicale, du moins cordiale envers moi, les autres finiront peut-être par m’accepter. J’aurais une place dans cette cité, je ne serai plus un parasite oisif. J’instruirai leurs hommes dans l’art de la guerre, je fabriquerai un traceur, ou je leur en exposerai la théorie … Non, pas cela, c’est ma seule carte et je ne dois pas la gaspiller. Mais je serai à nouveau un homme … »

Il sortit de sa rêverie avec un sursaut de surprise. Il se trouvait dans une rue inconnue, presque déserte à cette heure de la journée, rue qui déroulait à perte de vue ses portes semblables et ses cloisons de métal nu.

« Où diable suis-je ? »

Le carrefour suivant le renseigna : pont 4, secteur 2, rue 144.

Il consulta sa montre, il avait plus de quatre-vingts minutes d’avance !

« Je suis bien pressé ! »

Il passa devant la porte 530, continua jusqu’au bout de la rue, revint sur ses pas, erra, regardant l’heure de temps en temps. Finalement il avait cinq minutes de retard quand il activa l’annonceur. La porte s’ouvrit.

L’appartement était très différent de celui d’Oréna : un peu plus grand, il comportait une antichambre dont les murs étaient tapissés de rayons de livres anciens ou de cases à microfilms. Comme la jeune fille tardait à paraître, il regarda quelques titres. La plupart étaient des ouvrages de physique ou d’autres sciences. Deux rayons entiers concernaient les Mpfifis. Le rideau qui séparait l’antichambre de l’appartement proprement dit se souleva, et Anaena parut. Il resta un moment bouche bée.

Elle avait dénoué ses cheveux roux qui tombaient en cascade de feu sur ses épaules, encadrant le visage doré où brillaient les yeux malachite. Sa robe, d’un vert délicat, moulait ses formes et descendait très bas, cachant à demi de petits pieds blancs dans des sandales en lanières de cuir doré. Elle lui sourit.

« Attention, Tinkar ! Ce n’est pas une invite ! »

Il se hérissa.

« N’ai-je pas le droit d’admirer la beauté sans qu’on me soupçonne immédiatement d’intentions suspectes ? »

Elle sourit de nouveau.

« Entrez donc, et ne recommencez pas les hostilités. Ce soir, comme de bons adversaires après un rude combat, nous allons être amis. »

La pièce était confortable, meublée sobrement, et intime malgré l’éclairement intense qui tombait de trois lampes à pied, archaïques. Tinkar en fut heureux. Un de ses points de friction avec Oréna était la préférence de celle-ci pour les lumières voilées, les coins livrés à la pénombre par des écrans.

« Installez-vous, prenez un livre, je n’en ai plus pour longtemps. »

Tout un mur, ici aussi, était couvert d’ouvrages variés. Tinkar en prit un tout neuf : La Menace des Mpfifis. Il le feuilleta d’abord distraitement, puis, captivé, commença à lire un chapitre. C’était une analyse serrée de ce que l’on savait des ennemis, plus précise et plus nuancée à la fois que le travail classique de Sorensen. Un passage sur la défense des cités lui sembla particulièrement bon. Pourquoi donc n’appliquaient-ils pas ces principes ?

Anaena rentrait.

« Ce livre vous plaît-il ?

—  Il est très intéressant. Particulièrement l’analyse des défauts de votre défense.

—  J’en suis charmée.

—  Pourquoi ne suivez-vous pas ses conseils ? C’est parfaitement pertinent !

—  Parce que ce livre a paru avant-hier. »

Il regarda la date de parution, puis le nom de l’auteur : Anaena Ekator !

« C’est vous qui …

—  Oui, sauf ce chapitre que vous admirez tant, et qui est de vous !

—  Comment cela, de moi ?

—  Vous souvenez-vous de votre dernière entrevue avec mon oncle ? Tout ce que vous lui avez dit a été enregistré, et je m’en suis beaucoup servi. À vrai dire, votre nom devrait être avec le mien sur la couverture !

—  Alors, vous vous occupez des Mpfifis ? »

Elle se redressa, prenant une pose d’une dignité forcée, humoristique.

« Je vous présente Anaena Ekator, chef de la lutte antimpfifi !

—  Mais je croyais …

—  Que je n’étais qu’un chat-tigre roux, comme dit notre commune amie Oréna ? Il se trouve que je suis xénologue, spécialisée dans les races non humaines. Indépendamment du danger mortel qu’ils représentent, les Mpfifis me passionnent, autant qu’ils me font peur. Allons, à table, ou mon dîner ne vaudra plus rien ! »

Il fut excellent, bien que très simple, sans aucune des savantes combinaisons culinaires où Oréna était passée maîtresse. Tinkar la complimenta.