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« À cause de la perspective, j’avais cru que les arbres s’étendaient jusqu’au volcan éteint. Il n’en est rien. Tant mieux ? ou tant pis ?

—  J’aime mieux cette plaine. Au moins, on voit venir l’ennemi.

—  Il nous voit venir aussi, Anaena, et peut préparer son embuscade. Redoublons de prudence, crois-moi. »

Le cône volcanique était loin, trop loin pour qu’ils espèrent y arriver dans les heures du jour qu’il leur restait encore. Ils progressèrent prudemment, perdirent du temps à franchir un petit cours d’eau sur un tronc d’arbre, l’eau étant peuplée de « poissons » carnivores et féroces, comme en témoignaient de nombreux squelettes au fond du gué.

Ils firent halte au milieu du jour, sur une petite éminence, n’ayant vu que des animaux de faible taille, sauf une harde de bêtes énormes, très loin à gauche. Ils mangèrent parcimonieusement la nourriture concentrée, burent l’eau d’un petit ruisseau après l’avoir stérilisée. Anaena se sentait lasse, fiévreuse, et cela inquiétait Tinkar. La blessure était en bonne voie de guérison, et il craignit une infection ayant une autre origine.

Le soir les vit encore loin de leur but. Tinkar s’arrêta près d’une ravine, chercha en vain un abri. Il en construisit un, entrelaçant des branches autour des troncs de cinq arbres très rapprochés, hésita à faire du feu Finalement il entassa près de la porte de leur abri une grande provision de branches mortes et d’herbes sèches, qu’un coup de fulgurateur enflammerait en cas de besoin. Il confectionna un lit pour Anaena, mais s’y étendit le premier, lui recommandant de le réveiller dès la nuit tombée, et il s’endormit comme une masse.

Quand elle le secoua, il faisait nuit noire. Aucune des deux lunes n’était levée.

« Tu n’aurais pas dû me laisser dormir si longtemps !

—  Tu en avais besoin. J’ai veillé. »

Il retint un commentaire ironique. Après tout, rien n’était arrivé, et il devait lui reconnaître beaucoup de courage, à défaut peut-être de compétence.

« Comment te sens-tu ?

—  La tête vide. J’ai un peu de fièvre, je crois. »

Il lui prit la main, chercha le pouls, siffla :

« Un peu de fièvre, crois-tu ? Au moins 39 ! »

Il fouilla dans le sac, en tira une boîte d’ampoules auto-injectables.

« D’après l’étiquette, c’est indiqué pour toi. Tends ton bras.

—  Donne, je vais le faire moi-même.

—  Pas confiance ? »

Il lui passa l’ampoule.

« Je voulais voir ce que c’était. Du C-126, antitoxique général. J’avais peur que ce fût du Z-3.

—  Le remède de la dernière chance ? Nous n’en sommes pas encore là. Dors, maintenant. Demain tu iras mieux. »

Il prit la garde, assis devant la porte de l’enclos, sa lampe à portée, le fulgurateur prêt. Une lumière perlée filtra à l’est, une lune argentée monta derrière les collines. Tinkar la contempla longuement, tout en restant vigilant. Sa face n’était pas familière, marquée d’ombres qui n’étaient pas celles de la vieille Lune des hommes. La poursuivant, le second satellite de la planète se hissa au-dessus de l’horizon, lointain, petit, rougeâtre. Le paysage, sous la double illumination se dessina clairement, avec ses plans étagés, ses vallons d’ombre, ses pentes où la brousse luisait comme une onde. Un bruit léger fit se retourner le veilleur : Anaena sortait de l’enceinte, venait s’asseoir à côté de lui.

« Ma fièvre est tombée », dit-elle à mi-voix.

Il ne répondit pas, à la fois troublé et heureux de la sentir à côté de lui. Elle fut longtemps silencieuse.

« C’est beau, dit-elle enfin.

—  Oui, mais j’admirerais plus tranquillement si j’avais ma vedette à quelques mètres, ou bien alors une poignée de compagnons de la Garde avec moi.

—  Puis-je te poser une question ?

—  Oui. Non ! Rentre ! »

Il était déjà debout, le fulgurateur au poing.

« Qu’y a-t-il ? Qu’as-tu vu ?

—  Là-bas, derrière les arbres. »

Elle scruta la nuit. Sous la lumière décevante des lunes, les ombres étaient doubles et mouvantes. Pourtant quelque chose remuait à trois cents mètres. Un des arbres oscilla, comme heurté par un coup énorme.

« Tinkar ?

—  Oui ?

—  Qu’est-ce que c’est ?

—  Comment veux-tu que je le sache ? Ton fulgurateur est prêt ? Si quelque chose nous attaque, laisse-moi tirer le premier. As-tu du courage ?

—  J’essaie.

—  Reste ici seule, alors. Je vais m’embusquer à vingt mètres, derrière ce rocher. Si la chose vient vers moi, tire. Si elle vient vers toi, ne tire pas, sauf si je crie : Feu ! Je l’aurai par le flanc. »

Il disparut dans les herbes. Elle attendit. Là-bas, rien ne bougeait plus. Elle chercha à voir Tinkar, mais il était invisible, collé sans doute au rocher, ne faisant avec lui qu’une ombre. Elle reporta son attention vers le bosquet. La bête parut en pleine lumière. Haute de plusieurs mètres, elle évoquait un kangourou. La phrase de Tinkar monta dans sa mémoire : il n’y a que deux types de prédateurs efficaces sur le sol ferme, le type lion et le type tyrannosaure … L’animal approchait maintenant à grands pas, sans hâte, mais vite, ses enjambées dévorant la distance. Elle entrevit une tête féroce au bout d’un cou court et trapu, une longue queue qui battait les herbes en balancier. Glacée de peur, mais résolue à se défendre, elle notait des détails incongrus, le reflet des lunes sur la peau, l’intérieur des pattes alternativement éclairé et sombre. Le monstre se penchait de temps en temps en avant, flairant le sol. Il s’immobilisa, dressé, la tête oscillant de droite à gauche, à six mètres de haut, et la lumière des lunes luisant sur les dents blanches et pointues. Puis la tête cessa son mouvement de balancier, se fixa dans la direction de l’enclos. L’animal bondit, grossissant à chaque saut, et la jeune fille, le poing crispé sur son arme, attendait le moment propice pour tirer, et l’écrasement sous des tonnes de chair vivante.

« Ana ! Vers moi ! Vite ! »

Elle resta figée un moment qui lui parut interminable, avant que le message de son cerveau atteignît ses jambes. Elle courut vers le roc, sentant trembler la terre sous le poids du monstre. Il la vit, poussa un cri atroce, comme d’un métal torturé, freina. Un fin faisceau bleu traversa l’espace, se fixa sur lui au moment où son élan l’entraînait en un nouveau bond. Déjà il s’écrasait sur les arbres de l’enclos. Avec un fracas de bois broyé, les troncs croulèrent. Longtemps la queue battit l’air, envoyant au loin branches brisées et mottes de terre. Puis tout mouvement cessa.

Tinkar était à côté d’elle.

« Pas trop de peur ?

—  Non, mentit-elle.

—  Moi, j’ai eu peur pour toi. J’ai vu le moment où, si je ne tirais pas, il te dévorait, et si je tirais, il t’écrasait. Demain soir, sur la montagne, nous serons plus en sécurité, je l’espère. »

Ils attendirent l’aube, appuyés contre le rocher. Quand le soleil parut, ils purent examiner le monstre.

« Un tyrannosauroïde. Mais à sang chaud, avec tout ce que cela signifie de rapidité de mouvement. Et aussi avec un cerveau plus volumineux. Et toute cette formidable machine à tuer réduite à néant par un faisceau d’ions !

—  Il a eu la malchance de tomber sur le troisième type de prédateur. Anaena. Le plus terrible, l’homme. Malheureusement, notre sac est sous lui, avec nos provisions. Où était-il dans l’enclos ?

—  Contre cet arbre-là. »

Tinkar se pencha. Le tronc était brisé à un demi-mètre du sol. Entre le cadavre appuyé sur la souche et la terre, un couloir bas lui permit de voir le sac intact. Il l’attira avec une branche.