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Elle puisa dans sa maigre réserve de bois, se reprochant de ne pas l’avoir faite plus abondante, alimenta un feu près de s’éteindre, y jetant une lourde branche. Celle-ci fit jaillir un essaim d’étincelles, craqua, s’enflamma. La bête qui se tenait prête à bondir attendit. Elle aurait pu tirer jusqu’à épuisement des charges de ses armes, mais préféra ne pas le faire. Qu’adviendrait-il ensuite, si elle ne les tuait pas tous ? Et qu’adviendrait-il le lendemain, s’il y avait un lendemain ? Il serait toujours temps, quand la provision de bois serait épuisée. Si seulement elle pouvait tenir jusqu’à l’aube ! Ces fauves devaient être des bêtes de nuit, pendant le jour ils n’avaient vu que des herbivores.

À force de réfléchir, elle eut une idée : les buissons étaient secs, si elle les incendiait, cela chasserait peut-être l’ennemi. Elle choisit un tison, le lança. Il tomba trop court, fuma, s’éteignait. Elle en lança un second, vit avec joie le feu ramper le long d’une touffe d’herbe, grimper aux ramures. Bientôt le buisson flamba comme une torche.

Ce fut presque sa perte. Pris entre deux feux, les fauves choisirent le moindre, et une dizaine d’entre eux se ruèrent à l’assaut. Elle en tua un bon nombre, mais deux franchirent le foyer d’un bond. Elle recula, trébucha sur le mur de pierres, tomba à la renverse. Une des bêtes la manqua, passa par-dessus elle, tomba dans les flammes de l’autre côté et s’enfuit en hurlant. Immédiatement redressée, elle foudroya l’autre.

Petit à petit, la réserve de combustible baissa, et l’aube était encore lointaine. Anaena comprit avec désespoir qu’à moins d’un miracle elle était perdue. Plus amère encore que la certitude de sa mort était la pensée qu’elle avait failli à protéger Tinkar.

Deux des foyers n’étaient plus qu’un amas de braises, et bientôt les brèches seraient ouvertes dans son cercle de défense. Petit à petit les brandons se couvraient d’une pellicule blanchâtre de cendres, leur rougeoiement s’affaiblissait, les bêtes approchaient, impatientes, et l’une d’elles, comme un défi, s’allongea près du feu mourant, semblant apprécier la chaleur. Elle bâilla, minutieusement, ouvrant la longue fente de sa bouche noire.

« Les grenades, Anaena ! »

Elle sursauta, se tourna. Tinkar se tenait à demi-dressé, appuyé au mur de pierres sèches. Les grenades ! Comment n’y avait-elle pas pensé ! Elle les avait pourtant vues, au fond du sac !

« Viens ici. Tu vas en jeter une dans ce groupe, je suis trop faible pour le faire, et tu t’aplatiras derrière le mur, immédiatement. »

Elle prit l’engin, le soupesa, arracha la goupille, le lança, plongea près de Tinkar. L’explosion la surprit par sa violence, des mottes de terre et des cailloux passèrent en sifflant au-dessus d’elle. Avec un bruit mat, quelque chose tomba près de ses pieds, un débris de chair attaché à un lambeau de fourrure. Elle fut debout d’un bond.

Les bêtes avaient reculé en désordre. À l’emplacement où était tombé le projectile, le sol était couvert de formes noires déchirées, dont certaines remuaient encore faiblement : Elle prit une autre grenade, la jeta à bout de portée, se contentant cette fois de s’accroupir. Elle vit la brève flamme pourpre, sentit une main la tirer faiblement en arrière, assez fort cependant pour la faire tomber.

« Idiote ! Tu veux te faire tuer par un éclat ? »

Comme pour appuyer ces mots, un fragment de métal ricocha avec un miaulement sur les pierres, fila se perdre dans l’obscurité.

« Elles s’en vont ! »

Elle dansa, exultante, dans la joie de la victoire et de la résurrection de Tinkar. Puis elle s’affala sur un bloc, et se mit à sangloter. La réaction fut violente et brève, et bientôt elle put s’occuper de son compagnon.

« Comment te sens-tu ?

—  Faible. À part cela, tout va bien. Quelques crampes dans les jambes, cependant, de temps en temps. Et toi ?

—  Moi ? Je me sens merveilleuse ! Oh ! Tinkar ! Si tu étais mort … Et tu m’as donné tout le sérum ! Pourquoi as-tu fait cela ?

—  Dans la Garde, quand un camarade est blessé, il passe en premier. Une femme est comme un blessé, dans une aventure de ce genre.

—  C’est noble de ta part, dit-elle, vexée. Mais tu sais, j’ai déjà exploré des planètes, même si j’ai fait une bêtise hier soir. Crois-tu que ton Iolia aurait …

—  Ce n’est pas mon Iolia, et je ne mets pas en doute ton intrépidité. Je te suis très reconnaissant aussi d’être restée pour me défendre, même si c’était une folie. Iolia l’aurait fait aussi, je crois, mais sans doute avec moins de bonheur. Aide-moi à me lever, j’ai faim.

—  Tiens, voici le sac à provisions. Ce qui en reste. Ne te préoccupe pas de moi, j’ai déjà mangé. Que ferons-nous quand les provisions seront finies, Tinkar ?

—  Tu le sais, nous essaierons la viande indigène, ou des fruits, si nous en trouvons. Avec quel résultat, je ne puis le dire.

—  Quand je pense à tous les appareils d’analyse qui étaient dans nos vedettes ! À ce propos, j’en ai vu une hier soir, volant bas, loin. J’ai fait des signaux, mais ils ne m’ont pas vue.

—  Ils reviendront sans doute. Plus tôt nous planterons un drapeau, ou quelque chose de ce genre sur cette montagne, mieux cela vaudra. Aide-moi, je vais essayer de marcher. »

Il fit quelques pas hésitants, appuyé sur elle, puis s’assit, épuisé.

« Passe devant.

—  Je ne puis te laisser seul !

—  Pendant la journée, il n’y a pas grand danger. Je te rejoindrai à petites étapes. Je ne sais quel poison secrètent ces sales insectes, mais je me sens plus faible que si j’avais perdu la moitié de mon sang ! Où en sont nos munitions ? »

Elle lui tendit les armes, il les examina à la lueur du feu mourant, et fit la grimace.

« L’un a encore deux charges, l’autre six. Il est temps que nous soyons secourus, ou alors que je taille un arc et des flèches. »

Ils partirent dès les premiers rayons de l’aube. Tinkar marchait péniblement, mais, à sa surprise et à sa joie, la fatigue paraissait s’effacer plutôt qu’augmenter à mesure qu’il progressait. Néanmoins, il envoya Anaena en avant. Il ne la rejoignit que tard dans l’après-midi. Les pentes du vieux volcan n’étaient pas très abruptes, mais encombrées de blocs et de broussailles et coupées de ravines.

Ils s’installèrent pour la nuit dans un petit abri sous roche creusé par l’érosion, dont une ancienne coulée de lave formait le toit. De-ci, de-là brillaient des débris d’obsidienne.

« Allons, j’aurai de quoi faire des pointes de flèches, si on ne nous retrouve pas à temps, plaisanta-t-il. Le soir tombe, allume le feu. »

Ils avaient amassé sur un replat un grand tas de broussailles et de petits arbustes. La flamme monta gaiement dans la nuit.

« Je suis optimiste, maintenant, Anaena. Je me rappelle avoir dit au patriarche que je commencerais mon exploration droit en dessous du point où se trouvait le Tilsin lors de mon départ. Cela limite un peu la surface à observer, et le fait que tu aies vu une vedette prouve que cette région est fouillée. »

Elle répondit à côté.

« Tu aimes Iolia ? »

Il la regarda curieusement.

« Je ne sais pas. Je crois.

—  Lui as-tu donné ta parole ?

—  Non, pourquoi ?

—  Pour rien. Pour savoir. Et Oréna ?

—  Je ne l’ai jamais aimée, je pense. Mais j’avais tant besoin de quelqu’un à ce moment-là. Je l’amusais, elle soutenait mon moral. Nous étions quittes. »