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Ils restèrent silencieux après ces mots. Puis Tinkar se leva.

« Je vais prendre la première garde. Va dormir.

—  Non, c’est à moi de le faire, je suis moins fatiguée que toi.

—  Je t’appellerai dès que je serai trop las. Va ! »

Il s’assit, le dos calé contre un bloc, et c’est ainsi que la lumière le surprit. Elle jaillit du ciel, balaya la pente, se fixa sur lui. Il se dressa, agita les bras, criant :

« Anaena ! Ils sont là ! Ils sont là ! »

Elle fut près de lui en quelques secondes.

« Sauvés ! Nous sommes sauvés ! »

Impulsivement, elle se jeta dans ses bras, l’embrassa sauvagement. Il se dégagea doucement. Une petite vedette noire atterrit sur la plate-forme.

« Ce sont tes amis les pèlerins. »

La porte s’ouvrit, une forme légère sauta sur le sol, courut vers eux, apparut dans la lueur du feu. Iolia ! Elle se rua vers Tinkar.

« Ô Tinkar ! J’ai tant prié pour te retrouver ! J’allais rentrer au camp lorsque j’ai vu votre feu ! »

Les larmes ruisselaient sur son visage, elle parut défaillir. Il la soutint de son bras.

« J’ai tant cherché depuis le jour où tu n’es pas rentré ! Rien ! Pas d’épaves !

—  L’éruption les a sans doute englouties.

—  Mais comment se fait-il que les deux expéditions aient eu un accident au même endroit ? »

Il raconta brièvement. Iolia se tourna vers Anaena, les yeux brillants de colère.

« Ainsi, c’est pour vous qu’il a failli périr !

—  Elle m’a sauvé la vie, Iolia, à son tour.

—  Et toi, combien de fois la lui as-tu sauvée ? »

Il s’interposa, mécontent. Il avait l’intention, si possible, de ne perdre ni l’amitié d’Iolia, ni celle, retrouvée chèrement, d’Anaena.

« Ne faisons pas de comptes de ce genre, ils ne mènent à rien, sinon à des querelles. Prends Anaena à ton bord dépose-la au camp, et reviens me chercher.

—  Non, toi d’abord. Elle peut attendre.

—  Ce monde est dangereux pour une jeune fille !

—  Tu sors à peine d’une grave maladie !

—  Bon ! Je connais ce type d’appareil. Il peut nous porter tous les trois en nous serrant un peu, surtout si le camp n’est pas trop loin.

—  Trois cents kilomètres.

—  Allons-y !

—  Pas avant que je n’aie mis les choses au clair. »

Elle se tourna vers Anaena :

« Je vous remercie d’avoir aidé Tinkar. Cela dit, je vous rappelle qu’il doit m’épouser bientôt.

—  Tu m’as dit que tu ne lui avais pas donné ta parole, Tinkar, reprocha la Stelléenne, et cette femme …

—  Je ne lui ai rien promis, Ana, mais … »

Il se tut, embarrassé.

« Tinkar croyait que j’avais volé les plans de son traceur, et par dépit il est allé chez vous ! Maintenant il sait qu’il n’en est rien, et cela change tout ! Comprenez-vous ? Il ne vous aime pas, il me l’a dit ! »

Iolia eut un gémissement de bête blessée.

« C’est vrai, Tinkar, tu ne m’aimes pas ?

—  Assez ! rugit-il. Non, je n’ai rien dit de semblable à Anaena. Je lui ai même dit que nous devions nous marier …

—  En le déplorant. Tu m’as dit qu’il était trop tard pour …

—  Que le diable de l’espace vous emporte toutes deux ! Je ne vais pas vous laisser vous disputer ma personne ! Mon avis compte un peu aussi, peut-être ? Je vous aime toutes deux, ou aucune, je n’en sais rien ! Je suis épuisé, et si cela continue, il ne restera rien sur quoi se disputer, ajouta-t-il en se laissant glisser sur le sol.

—  Pardonne-moi, implora Iolia. Viens, je vais t’aider à monter dans la vedette. »

Soutenu par les deux jeunes filles, il s’écroula sur un siège et s’endormit.

Il se réveilla allongé sur un lit. Au-dessus de lui, au lieu d’un plafond métallique s’incurvait un toit de plastique, vert pâle. Il se dressa à demi, curieux : il était dans une grande tente, et, par l’ouverture en triangle, pouvait voir quelques arbres, une pente et une zone débroussaillée, des machines au travail. Quelques hommes passèrent devant la porte sans s’arrêter. Il enfila ses habits, posés sur une chaise métallique, sortit. Il était encore très tôt, le soleil paraissait à peine au-dessus des collines, à l’est.

« Ai-je dormi si peu que cela ? Je me sens reposé. »

Un homme approcha, un des médecins du Tilsin.

« Comment cela va-t-il, après ces trois jours de sommeil ?

—  Trois jours !

—  Vous étiez vraiment épuisé, et nous y avons un peu aidé avec des hypnotiques. Dormir, c’est ce dont vous aviez le plus besoin.

—  Anaena ?

—  Pas encore réveillée. »

Il s’assit sur un tronc d’arbre, se sentant encore faible. À part le médecin, tous les hommes qu’il pouvait voir portaient la tenue stricte des pèlerins. La ségrégation volontaire persistait donc, même sur le sol d’une planète. Pourquoi ce médecin était-il là, alors ? Il ne manquait pas de docteurs compétents chez les Ménéonites.

L’homme parut deviner ses pensées.

« Je suis ici à la demande du teknor aussi bien que du patriarche, non pour vous soigner, mes collègues l’ont fort bien fait, mais pour prendre de vos nouvelles. Tan Ekator voudrait vous voir aussitôt que possible.

—  Où est-il ?

—  À notre camp, à deux cents kilomètres d’ici, près du volcan. »

Le médecin parti, Tinkar retomba dans ses pensées. Il était troublé, indécis. L’avenir lui parut compliqué. Aimait-il Anaena ? Iolia ? Les deux, comme il l’avait dit près de l’abri ? Il ne le savait pas lui-même. Pendant son long séjour dans l’enclave, la jeune Stelléenne s’était peu à peu effacée de sa mémoire, du moins l’avait-il cru. Ces quelques jours passés avec elle au milieu des périls d’un monde inconnu lui avaient démontré qu’il n’en était rien. Et pourtant, il y avait Iolia …

On n’encourageait guère l’introspection dans la Garde, et bien que, ces derniers mois, il se fût plus d’une fois interrogé sur lui-même, il ne voyait pas clair en lui. Une part de son être souhaitait une vie calme près d’Iolia, vie calme coupée, bien entendu, de quelques aventures. Il savait qu’elle serait une compagne sûre, fraîche et tendre. Mais l’autre part de lui-même, celle que ses camarades avaient surnommée Tinkar le diable, le tirait du côté d’Anaena. Avec elle, l’existence serait une bataille de tous les jours, peut-être, volontés affrontées, mais quelle vie ! Il hésitait et, accoutumé à prendre des décisions rapides et sans appel, il en souffrait, il en voulait aux deux jeunes filles.

« L’idéal, rêva-t-il, serait d’avoir Anaena pour les coups durs, et Iolia pour les périodes de paix. »

Mais il savait très bien que ni l’une ni l’autre n’accepteraient le partage. Il se tourna vers des considérations plus pratiques : que ferait-il une fois rentré à bord de la cité ? Il pouvait continuer à vivre avec les pèlerins, bien entendu. Dans ce cas, il devrait épouser Iolia, il s’y était presque engagé. Ou bien retourner dans son petit appartement qui, lui avait dit la Stelléenne, l’attendait toujours ? La rancune qu’avait soulevé l’affaire des plans était maintenant tombée. Après son odyssée, il serait à nouveau accepté. Au besoin, il pourrait refaire les plans, les donner au teknor …

Accepté ? L’avait-il jamais été ? Peut-être, pendant la conjugaison ? D’un autre côté, s’il épousait Anaena …

Il n’avait pris aucune décision quand la Stelléenne parut. Elle ne portait plus trace des épreuves traversées, sauf une faible cicatrice au front, et était redevenue elle-même, la nièce du teknor, le chef de la lutte antimpfifi. Elle s’avança vers lui en souriant, et il se leva pour l’accueillir.