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— Et de quoi parliez-vous ? »

Bon Dieu, il a tout entendu. Je suis mort.

« Rien de spécial. Brian m’a fait sursauter, c’est tout. »

M. Harbinson et son pénis ne semblent pas convaincus. Je m’aperçois qu’il ne couvre pas cet organe de la main mais qu’il le tient ; l’espace d’un instant, j’éprouve la peur irrationnelle qu’il me frappe avec.

« Bon, moins de raffut, voulez-vous ? D’ailleurs, Rose, viens te recoucher. » Il monte en tenant toujours son parapluie roulé. L’air manifestement gênée, Rose attrape un tablier à fleurs en vinyle accroché près de la cuisinière en fonte et le noue avec mauvaise humeur, tandis que je balaie de la main les preuves de mon en-cas iconoclaste dans le papier d’alu resté sur mes genoux. Je fourre ensuite le tout dans le tiroir à couverts.

Elle vient vers la table et me murmure d’un ton peu aimable : « Je crois que ce sera mieux pour tout le monde de ne plus jamais reparler de cela, compris, Brian ? (Elle me regarde plus attentivement.) Qu’y a-t-il, vous vous sentez mal ?

— Moi, non.

— Vous avez le teint cireux.

— C’est ma couleur normale, Rose.

— C’est vous qui aviez kidnappé le lait ? (Elle regarde mon verre.) C’est ça que je cherchais depuis le début.

— À votre place, je n’en boirais pas, Rose.

— Pourquoi ?

— Il est caillé. C’est dégoûtant… »

Elle prend le verre, le renifle, le goûte et me regarde avec le plus grand dédain. « C’est du lait de soja, Brian », dit-elle.

Quelque part dans Blackbird Cottage résonne alors un rire compulsif, le gloussement hideux et pathétique d’un enfant psychotique et pervers. Il me faut un moment pour me rendre compte que ce rire est le mien.

En me réveillant le lendemain, j’ai besoin des trois secondes habituelles pour concevoir que je dois avoir honte, et me souvenir pourquoi. Je grogne – un grognement de bête, comme si on venait de me sauter sur la poitrine. Je regarde le réveil : il est 11 h 30 et j’ai l’impression de sortir d’un coma.

Je reste allongé un moment en réfléchissant à la meilleure façon de me tirer de ce pétrin. La meilleure serait le suicide. L’alternative, plus médiocre, me fatigue déjà par le degré de servilité, d’explications et d’autodérision qu’elle va exiger de moi. Je m’habille pour en finir avec cette corvée quand on frappe à la porte.

C’est Alice, l’air sombre – normal, vu les circonstances. Sait-elle que sa mère à poil pense que j’ai tenté de la séduire ?

« Salut, Belle au bois dormant, me chuchote-t-elle.

— Alice, je suis tellement désolé pour la nuit dernière…

— Oh, ce n’est rien. Une broutille (Elle ne sait pas !) Écoute, Brian, quelque chose vient de se passer qui m’oblige à aller à Bournemouth. » Elle s’assied au bord du lit, près de pleurer.

« Pourquoi ? Que se passe-t-il ?

— C’est Granny Harbinson. Elle est tombée la nuit dernière. Elle est à l’hôpital avec une fracture de la hanche. Nous allons la voir.

— Oh, Alice, je suis triste pour toi.

— Mes parents sont déjà partis, et je vais les suivre. Donc, le nouvel an ici, c’est râpé.

— Ça ne fait rien. Je vais regarder les horaires des trains.

— C’est fait. Tu as un train pour Londres dans quarante-cinq minutes. Je te dépose à la gare. Ça te va ? »

Je fais mon sac en fourrant en vrac livres et vêtements comme s’il s’agissait d’une évacuation d’urgence. Dix minutes plus tard, on est dans la Land Rover, Alice au volant. Elle semble minuscule dans ce gros véhicule, comme une poupée Sindy dans une jeep Action Man. En une nuit, la neige s’est transformée en gadoue, et j’ai l’impression que nous roulons bien trop vite, ce qui renforce l’atmosphère d’anxiété et de tension.

« J’ai une migraine terrible, dis-je.

— Moi aussi. »

Deux cents mètres de campagne plus loin j’ajoute nonchalamment :

« Je suis tombé sur tes parents, dans la cuisine, la nuit dernière.

— Ah bon ? »

Deux cents autres mètres de campagne. J’insiste :

« Ils ne te l’ont pas dit ?

— Non. Pas vraiment. Pourquoi l’auraient-ils fait ?

— Pour rien. »

Décidément, je m’en tire bien. Me dire heureux que la grand-mère Harbinson soit tombée dans l’escalier serait exagéré, mais au moins, l’incident a fait diversion.

Nous arrivons à la gare avec un quart d’heure d’avance et elle m’aide à porter mon sac jusqu’au quai désert.

« Je suis navrée que tu ne puisses pas rester fêter le nouvel an.

— Pas grave. Transmets mes vœux de rétablissement à ta grand-mère. (Une phrase inepte vu que cette dame ne me connaît pas.) Et excuse-moi pour mon overdose d’hier soir.

— Ne t’en fais pas. Bon, si ça ne t’ennuie pas, je n’attends pas l’arrivée du train. Je suis pressée. »

On s’étreint sans s’embrasser.

Elle est partie.

J’arrive chez moi à l’heure du thé (le dîner selon Alice !) et j’ouvre avec ma clé. Maman est là, avachie sur le canapé, en survêtement, en train de regarder les jeux télévisés Blockbusters, le son à donf. Elle a un cendrier posé sur l’estomac, une boîte de chocolats Quality Street et une bouteille de liqueur de café Tia Maria posées devant elle sur la table basse. Dès qu’elle me voit, elle fourre ladite bouteille sous les coussins. Mais que faire du verre ? Elle le tient au creux de ses mains, comme si c’était une petite tasse de cacao.

« Je croyais que tu ne devais pas revenir ?

— Oui, maman, je sais. »

« Je prends un P, Bob. »

« Que s’est-il passé ?

— La grand-mère d’Alice s’est fracturé la hanche.

— Comment c’est arrivé ?

— Je l’ai poussée dans l’escalier.

— Je parle sérieusement !

— Aucune idée, maman. »

« Quel P est le composant chimique principal dans la fabrication des allumettes ? »

« Pauvre femme ! Tu crois qu’elle s’en remettra ?

— Comment veux-tu que je sache ? Je ne suis pas médecin. Le phosphore. »

« Exact. »

« Quoi ? me demande maman.

— Je répondais à la question du jeu télévisé », dis-je, agacé.

« Je vais prendre un H, Bob. »

« Quelque chose te tracasse, Bri ? me demande maman.

— Rien du tout. »

« Quel H entre dans la composition… »

« Tu as rompu avec ta petite am… ?

— Elle n’est PAS ma petite amie.

— Pas besoin de crier.

— Un peu tôt pour l’apéro, n’est-ce pas, mère ? »

Je lui tourne le dos et monte l’escalier en courant. Je me sens minable, odieux. Je me demande où je suis allé pêcher ce déplaisant, ce froid vocable. Je ne l’appelle jamais mère d’habitude. Je claque la porte de ma chambre et m’étends sur mon lit avec mes écouteurs et ma cassette de Lionheart, de Kate Bush – son merveilleux deuxième album, Symphony in Blue, face A, morceau 1, quand je me rends compte instantanément qu’il me manque quelque chose.