— Absolument. C’est bien pourquoi je vous ai dit qu’il n’y avait rien d’irremplaçable. J’ai également perdu près de mille crédits, quelques livres, des vêtements, mon billet de retour pour Hélicon, des choses dans ce genre.
— Tout cela est remplaçable… Et je vais m’arranger pour vous obtenir une plaque de crédit à débiter sur mon compte. Cela réglera le problème des dépenses courantes.
— Vous faites preuve d’une générosité peu commune à mon égard. Je ne puis l’accepter.
— Ce n’est pas de la générosité, puisque j’espère de la sorte sauver l’Empire. Vous devez accepter.
— Mais en avez-vous les moyens, Hummin ? Je vais, dans le meilleur des cas, utiliser votre crédit avec mauvaise conscience.
— Tout ce dont vous pouvez avoir besoin pour assurer votre survie ou un confort raisonnable est dans mes moyens, Seldon. Naturellement, j’aimerais mieux que vous ne tentiez pas d’acheter le gymnase universitaire et que vous vous absteniez de distribuer un million de crédits en largesses…
— Pas besoin de vous tracasser, mais avec mon nom fiché par…
— Peu importe. Il est strictement interdit au gouvernement impérial d’exercer le moindre pouvoir de police sur l’Université ou ses membres. La liberté y est totale. On peut y discuter de tout, on peut tout y dire.
— Qu’en est-il des crimes violents ?
— Dans ce cas, les autorités universitaires s’en chargent elles-mêmes, avec soin et raison – d’ailleurs, il n’y a quasiment aucun acte de violence. Les étudiants et le corps professoral savent apprécier leur liberté et en comprennent les limites. Trop de chahut, un début d’émeute, une effusion de sang, et le gouvernement pourrait se sentir en droit de rompre l’accord non écrit et d’envoyer la troupe. Personne ne veut de cela, pas même le gouvernement, si bien qu’un équilibre fragile se maintient. En d’autres termes, Demerzel lui-même ne pourrait vous extirper de là sans un prétexte bien plus important que nul à l’Université n’a pu en fournir au gouvernement depuis un siècle et demi. D’un autre côté, si vous êtes attiré hors du campus universitaire par un agent infiltré parmi les étudiants…
— Il y en a ?
— Comment le saurais-je ? C’est possible. Tout individu ordinaire peut être menacé, manœuvré ou simplement acheté – et rester par la suite au service de Demerzel, ou de n’importe qui d’autre, d’ailleurs. C’est bien pourquoi j’insiste sur ce point : vous êtes raisonnablement en sûreté, mais personne ne l’est jamais absolument. Vous devrez être prudent. Je vous avertis donc, mais je ne veux pas non plus vous affoler. Dans l’ensemble, vous serez bien plus en sûreté ici que vous ne l’auriez été si vous étiez retourné sur Hélicon, ou sur n’importe quelle autre planète de la Galaxie.
— Je l’espère, fit Seldon, maussade.
— J’en suis sûr, sinon je n’aurais pas jugé opportun de vous laisser.
— Me laisser ? » Seldon leva brusquement la tête. « Vous ne pouvez pas faire ça. Vous connaissez ce monde. Moi, pas.
— Vous serez avec d’autres qui le connaissent, et qui en connaissent cette partie bien mieux que moi. Quant à moi, je dois repartir. Je vous ai accompagné toute la journée et je ne voudrais pas abandonner plus longtemps mes activités. Je ne dois pas trop attirer l’attention. Souvenez-vous que je cours des risques autant que vous. »
Seldon rougit. « Vous avez raison. Je ne puis envisager que vous risquiez indéfiniment votre existence à cause de moi. J’espère ne pas vous avoir déjà ruiné…
— Qui pourrait le dire ? fit Hummin sans se démonter. Nous vivons une époque dangereuse. Rappelez-vous simplement que, si quelqu’un peut la rendre plus sûre – sinon pour nous-mêmes, du moins pour ceux qui nous suivront –, c’est bien vous. Que cette pensée soit votre source d’énergie, Seldon. »
17
Seldon ne trouvait pas le sommeil. Il réfléchissait, se tournant et se retournant dans le noir. Jamais il ne s’était senti aussi seul et désemparé qu’après que Hummin, hochant la tête, l’eut quitté sur une brève poignée de main. Il se retrouvait désormais sur un monde étrange – et dans une partie étrange de ce monde. Il était séparé de la seule personne qu’il pouvait considérer comme amicale (et ceci depuis non moins d’un jour) et n’avait aucune idée de sa destination et de son programme, demain ou n’importe quand à l’avenir.
Rien de tout cela n’était propice au sommeil, et lorsqu’il décida, en désespoir de cause, qu’il ne dormirait pas de la nuit, et peut-être jamais plus, l’épuisement prit le dessus…
Quand il s’éveilla, il faisait toujours noir – enfin pas tout à fait car, à l’autre bout de la pièce, un voyant rouge clignotait rapidement, avec un bourdonnement rauque intermittent. A coup sûr, c’était cela qui l’avait réveillé.
Alors qu’il essayait de se rappeler où il se trouvait et d’interpréter les rares messages reçus par ses sens, le clignotement et le bourdonnement cessèrent et il réalisa qu’il entendait des coups péremptoires.
Sans doute on frappait à la porte, mais il ne se rappelait plus où elle était. Sans doute, également, existait-il un contact pour inonder la chambre de lumière, mais il avait aussi oublié son emplacement.
Il s’assit donc dans le lit et tâtonna désespérément le long du mur à sa gauche tout en lançant : « Un moment, je vous prie. »
Il trouva le bouton recherché et une lumière tamisée illumina soudain la chambre.
Il sortit du lit en hâte, plissant les yeux, cherchant toujours la porte, la trouva, se pencha pour l’ouvrir, se rappela la prudence in extremis et lança, d’un ton soudain sévère, dans le genre pas-de-bêtises : « Qui est là ? »
Une voix féminine, plutôt douce, répondit : « Je m’appelle Dors Venabili et je suis venue voir le docteur Hari Seldon. »
Simultanément une femme apparut devant la porte, alors même qu’elle n’avait pas été ouverte.
Un instant, Hari Seldon la fixa avec surprise, puis s’avisa qu’il était en sous-vêtements. Il laissa échapper un cri étranglé, fonça vers le lit et se rendit soudain compte qu’il était en train de contempler un hologramme. Il lui manquait la consistance du réel et il était évident que la femme ne le regardait pas. Elle se montrait simplement pour s’identifier.
Il marqua un temps d’arrêt, haletant, puis, élevant la voix pour être entendu derrière le battant : « Si vous voulez bien attendre, je suis à vous. Accordez-moi… disons, une demi-heure. »
La femme – ou en tout cas son hologramme – répondit : « Je vais attendre » et disparut.
Il n’y avait pas de douche ; alors il s’épongea, créant un beau gâchis sur le carrelage du coin toilette. Il y avait du dentifrice mais pas de brosse et il se servit de son doigt. Il n’avait pas d’autre choix que renfiler les vêtements de la veille. Il ouvrit enfin la porte.
Ce faisant, il se rendit compte que la visiteuse ne s’était pas vraiment identifiée. Elle s’était contentée de donner un nom, et Hummin n’avait pas nommé ses visiteurs éventuels, cette Dors Machinchose ou quelqu’un d’autre. Il s’était senti à l’abri parce que l’hologramme représentait une jeune femme avenante mais, pour ce qu’il en savait, elle aurait aussi bien pu être accompagnée d’une demi-douzaine déjeunes gens hostiles.
Il hasarda un coup d’œil prudent, ne vit que la femme, puis ouvrit suffisamment la porte pour la laisser entrer. Il referma aussitôt le battant et le verrouilla derrière elle.
« Pardonnez-moi. Quelle heure est-il ?
— Neuf heures, répondit-elle. La journée est déjà bien entamée. »