Officiellement, Trantor s’en tenait au temps universel galactique, seule manière cohérente de faire fonctionner le commerce interstellaire et les affaires d’État. Chaque planète, en revanche, avait son temps local et Seldon n’en était pas encore au point de jongler avec les références horaires trantoriennes.
« C’est le milieu de la matinée ?
— Bien sûr.
— Il n’y a pas de fenêtre dans cette chambre », observa-t-il, sur la défensive.
Dors alla vers le lit, se pencha, effleura une petite touche noire sur le mur. Des chiffres rouges apparurent au plafond, juste au-dessus de son oreiller. Ils indiquaient 09 : 03.
Elle sourit sans la moindre supériorité. « Je suis désolée. Mais j’ai cru que Chetter Hummin vous avait prévenu que je passerais vous prendre à neuf heures. Le problème avec lui, c’est qu’il est tellement habitué à toujours tout savoir qu’il en oublie parfois que les autres ne sont pas au courant.
Et j’aurais dû éviter d’employer l’identification radio-holographique. J’imagine que vous n’en avez pas sur Hélicon et j’ai dû vous alarmer, je le crains. »
Seldon sentit qu’il se détendait : elle lui paraissait naturelle, amicale, et cette référence faite à Hummin, en passant, acheva de le rassurer. Il répondit : « Vous avez tout à fait tort pour Hélicon, mademoiselle…
— Appelez-moi Dors, je vous en prie.
— Vous avez pourtant tort pour Hélicon, Dors. Nous disposons bel et bien de la radio-holographie mais je n’ai jamais eu les moyens de m’en équiper. Ni d’ailleurs aucun de mes amis, si bien que je n’en avais jusqu’à présent jamais fait l’expérience. Mais j’ai assez vite compris de quoi il retournait. »
Il l’étudia. Elle n’était pas très grande, dans la moyenne pour une femme, estima-t-il, avec des cheveux d’un blond-roux assez doux, disposés en boucles courtes autour de son visage. (Il avait vu bon nombre de femmes à Trantor ainsi coiffées. C’était apparemment une mode locale qui aurait soulevé les rires sur Hélicon.) Elle n’était pas d’une beauté renversante mais était loin d’être désagréable à regarder, grâce surtout à ses lèvres pleines, comme retroussées en un léger sourire. Elle était mince, bien bâtie, et paraissait fort jeune. (Peut-être trop jeune, songea-t-il, mal à l’aise, pour être utile.)
« Ai-je passé l’inspection ? » demanda-t-elle. (Elle semblait avoir le don de Hummin pour lire dans ses pensées, songea Seldon, ou peut-être était-ce lui qui ne savait pas les dissimuler.)
« Je suis désolé, fit-il. Apparemment, je vous ai déshabillée du regard, mais j’essayais simplement de vous évaluer. Je me retrouve en terre inconnue. Je ne connais personne et n’ai aucun ami.
— Je vous en prie, docteur Seldon, comptez-moi parmi vos amies. M. Hummin m’a demandé de prendre soin de vous. »
Sourire gêné de Seldon. « Vous êtes peut-être un peu jeune pour la tâche.
— Vous verrez que non.
— Eh bien, je vais essayer de causer le moins de gêne possible. Pouvez-vous me rappeler votre nom, je vous prie ?
— Dors Venabili. « Elle épela son nom de famille, après avoir souligné l’accent sur la seconde syllabe. « Comme je l’ai dit, appelez-moi Dors, je vous en prie, et si vous n’y voyez pas d’inconvénient, de mon côté je vous appellerai Hari. Nous ne faisons aucune cérémonie, ici, à l’Université, et l’on fait presque un effort délibéré pour ne pas afficher sa position, familiale ou professionnelle.
— Mais comment donc, appelez-moi Hari, je vous en prie.
— A la bonne heure. Je ne ferai donc pas de cérémonies. Par exemple, l’instinct formaliste, si une telle chose existait, me pousserait à vous demander la permission de m’asseoir. Et pourtant, sans faire de formalités, je vais juste m’installer. » Ce qu’elle fit, sur l’unique chaise de la pièce.
Seldon se racla la gorge. « A l’évidence, je ne suis pas en possession de toutes mes facultés. J’aurais dû vous convier à prendre un siège. » Il s’installa au coin de son lit défait, regrettant de n’avoir pas pensé à retendre au moins les draps, mais enfin, il avait été pris par surprise.
« Voici comment nous allons procéder, Hari, reprit-elle sur un ton aimable. D’abord, nous allons prendre le petit déjeuner dans l’un des cafés de l’Université. Puis je vais vous trouver une chambre dans l’une des résidences, une chambre meilleure que celle-ci. Vous aurez une fenêtre. Hummin m’a demandé de vous fournir une plaque de crédit à son nom, mais il va me falloir un jour ou deux pour en extorquer une à l’administration universitaire. D’ici là, c’est moi qui serai responsable de vos dépenses, vous pourrez me rembourser par la suite – et nous allons pouvoir vous utiliser. Chetter Hummin m’a dit que vous êtes mathématicien, et l’Université en manque sérieusement, surtout de bons.
— Hummin vous a dit que je suis un bon mathématicien ?
— En fait, oui. Il a dit que vous êtes un homme remarquable.
— Eh bien… » Seldon s’examina les ongles. « J’aimerais bien être jugé ainsi, mais Hummin me connaissait depuis moins d’une journée et, auparavant, il m’avait simplement entendu présenter une communication, dont il n’avait aucun moyen d’évaluer le niveau. Je pense que c’était simple politesse de sa part.
— Je ne crois pas, dit Dors. Il est lui-même un individu remarquable, avec une grande expérience des gens. Je me fie à son jugement. Quoi qu’il en soit, j’imagine que vous aurez l’occasion de faire vos preuves. Vous savez programmer des ordinateurs, je suppose.
— Bien sûr.
— Je parle d’ordinateurs pédagogiques, n’est-ce pas, et je me demandais si vous pourriez écrire des programmes pour enseigner les divers aspects des mathématiques contemporaines.
— Oui, ça fait partie de mes capacités professionnelles. Je suis assistant de mathématiques à l’Université d’Hélicon.
— Ça, je le sais. Hummin me l’a dit. Ce qui signifie, bien sûr, que tout le monde saura que vous n’êtes pas trantorien, mais ça ne soulèvera pas de sérieux problèmes. Nous sommes une majorité de Trantoriens, ici, à l’Université, mais il y a une minorité non négligeable d’Exos venus de toutes sortes de mondes et ils sont parfaitement admis. Je ne vous garantis pas que vous n’entendrez jamais de plaisanterie sur des thèmes planétaires mais, à vrai dire, c’est plus le fait des Exos que des Trantoriens. Je suis moi-même d’un monde extérieur, soit dit en passant.
— Oh ? » Il hésita puis décida que ce ne serait que politesse de demander : « Et de quel monde êtes-vous ?
— Je suis de Cinna. Vous en avez déjà entendu parler ? »
Il risquait d’être piégé s’il avait la politesse de mentir, aussi répondit-il franchement : « Non.
— Ça ne me surprend pas. C’est probablement encore moins connu qu’Hélicon. Quoi qu’il en soit, pour revenir à la programmation des ordinateurs pédagogiques, je suppose que cela peut être fait avec plus ou moins de bonheur.
— Absolument.
— Et que vous saurez le faire avec bonheur.
— Je me plais à le croire.
— Eh bien, dans ce cas, le poste est pour vous. L’Université vous allouera un traitement pour ce travail. Alors, descendons déjeuner. Au fait, avez-vous bien dormi ?
— C’est surprenant, mais… oui.
— Et avez-vous faim ?
— Oui, mais… » Il hésita.
« Mais, fit-elle, enjouée, c’est la qualité de la nourriture qui vous tracasse, n’est-ce pas ? Eh bien, il ne faut pas. Étant moi-même une Exo, je puis comprendre vos sentiments à l’égard de cette addition systématique de micro-organismes dans tous les aliments, mais les menus de l’Université ne sont pas mauvais. Au réfectoire du corps enseignant, en tout cas. Les étudiants souffrent un peu, mais ça contribue à les endurcir. »