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Mama a rouspété quand nous sommes entrés. Je pouvais voir qu’elle était satisfaite de l’endroit, mais qu’elle n’était pas contente de la façon dont Tato avait entretenu la maison. Le plancher était crasseux, et ça sentait le renfermé. Tato a dit qu’en attendant notre arrivée, il avait loué les lits à des hommes célibataires afin de gagner un peu d’argent.

Mama venait à peine d’entrer qu’elle a rempli un grand chaudron d’eau et l’a mis à chauffer sur le poêle pour pouvoir remplir la baignoire et nous permettre à tous de prendre un bon bain. Tandis que l’eau chauffait, elle s’est mise à nettoyer. Nous n’avions même pas eu le temps de nous asseoir, et elle se mettait déjà à faire du ménage! Mama ne changera jamais, qu’elle soit au Canada ou à Horoshova! Je ne sais pas si c’est une bonne chose ou non.

Plus tard

Je n’ai toujours pas rencontré ce garçon, Stefan, qui est censé habiter au rez-de-chaussée. Les gens qui habitent juste en dessous de chez nous ne parlent pas notre langue. Je ne sais pas quelle langue ils parlent. Ça ne ressemble pas à de l’anglais non plus.

Tato est déjà reparti. Il travaille dans une usine située dans la rue Grand Trunk! Il dit que je vais commencer l’école lundi et que Mama va aller travailler à l’endroit qu’il a trouvé pour elle. Entre-temps, je dois aider Mama à mettre de l’ordre dans la maison. Nous sommes aussi censées nous trouver des vêtements canadiens. Je suis bien contente. Les vêtements canadiens paraissent peut-être bizarres, mais au moins, si nous sommes habillés comme les gens d’ici, on ne nous dévisagera plus.

La femme de Pemlych nous a apporté un panier de brioches et un pot de lait. Elle travaille pour une dame canadienne, comme Mama va le faire. J’espère que Mama pourra aussi nous rapporter des brioches de son travail! Mama va travailler pour une dame qui s’appelle Mme Haggarty. La femme de Pemlych dit qu’elle-même ne rapporte pas souvent de la nourriture à la maison, seulement quand il y a des restes. Les brioches étaient délicieuses!

La femme de Pemlych a dessiné un plan pour montrer à Mama comment se rendre aux bureaux de l’Association des Ukrainiens, qui sont situés au 481, rue Wellington. Elle a dit que ce n’était pas loin à pied. Mama était surprise parce que Tato lui avait donné un plan pour se rendre à la Société ukrainienne, qui se trouve à l’intersection des rues Centre et Ropery. Mama a montré ce plan à notre voisine, mais celle-ci a dit que, si nous voulions des vêtements, nous ferions mieux de nous adresser à l’Association.

Mama a demandé à la femme de Pemlych pourquoi ces deux organismes avaient « ukrainien » dans leur nom, et pas « galicien ». Notre voisine a répondu que la Galicie n’était qu’un endroit parmi beaucoup d’autres qui partagent notre langue et nos traditions. Il y a aussi la Bucovine, la Crimée, les Carpates, et même des parties de la Russie et de la Pologne!

Plus tard, le soir

Les choses que j’aime beaucoup :

– mes chaussures et mes chaussettes neuves.

Les choses que je déteste :

– cette stupide tunique bleu marine que je dois porter pour aller à l’école : elle est affreuse!

– les gens qui se moquent de ma mère;

– ma culotte.

Baba est restée avec Mykola pendant que Mama et moi allions explorer les environs. Nous voulions aller aux bureaux de l’Association des Ukrainiens, mais nous ne connaissions pas les rues, alors nous nous sommes trompées et nous avons abouti près du canal, dans la rue Saint-Patrick.

Un homme qui portait un chapeau brun tout sale nous suivait. Je l’ai signalé à Mama, mais elle m’a dit de continuer à marcher. Un peu plus loin, l’homme nous a crié quelque chose comme « sales immigrés ».

Mama était tellement surprise qu’il nous ait adressé la parole qu’elle s’est retournée pour le regarder. Elle a trébuché et elle est tombée lourdement sur le trottoir. Elle a même failli me faire tomber avec elle. J’essayais de l’aider à se remettre sur ses pieds quand un gentil monsieur est sorti de son magasin et l’a aidé à se relever. Il ne parlait pas notre langue, mais elle l’a remercié en faisant des gestes et là, elle lui a montré notre plan. Il a tourné le papier dans l’autre sens et nous a montré quelle direction prendre.

Quand nous sommes enfin arrivées aux bureaux de l’Association des Ukrainiens, c’était déjà le milieu de la matinée! Un vieux monsieur prénommé Augustyn est venu nous ouvrir et nous a fait signe de le suivre.

Il y avait un homme assis à une table, qui lisait le journal. J’ai eu tout un choc quand je l’ai vu, car il ressemblait comme deux gouttes d’eau à mon frère. Mama s’est même approchée et lui a dit : « Volodymir, est-ce que c’est toi? »

Mais quand l’homme a relevé la tête, il ne ressemblait plus du tout à mon frère. Je te reparlerai une autre fois de mon grand frère qui est mort. Cet homme-là avait le menton fuyant et de grandes dents. Mon frère, lui, avait un visage parfait. Pendant que Mama parlait avec l’homme, j’ai fait le tour de la salle.

Une vieille dame qui faisait du raccommodage dans un coin m’a saluée de la tête. Quand je lui ai dit que Mama voulait avoir des vêtements d’écolière pour moi, elle m’a regardée de la tête aux pieds, puis elle s’est mise à fouiller dans un grand panier de vêtements qui était à ses pieds. Elle a dit qu’elle allait me trouver quelque chose.

Elle a d’abord sorti une chemise blanche à manches longues et m’a montré qu’il y avait une tache sur le devant. Elle a dit que la tache ne serait pas visible parce que j’allais porter quelque chose par-dessus.

Quand j’ai examiné la chemise, j’ai tout de suite vu qu’elle était beaucoup trop courte! Imagine-toi : elle ne m’allait qu’aux hanches! J’en rougissais juste à la regarder! Il y avait des boutons sur le devant et, là où il aurait dû y avoir de la broderie, il y avait quelque chose qu’on appelle un col.

J’ai dit à la dame (maintenant, je sais que c’est la veuve Sonechko) qu’une chemise comme ça, c’était indécent! Au premier coup de vent, ma jupe allait se soulever, et tout le monde pourrait voir mes parties intimes!

La veuve Sonechko a ri si fort que des larmes lui coulaient sur les joues. Puis elle m’a expliqué que ce vêtement n’était pas une chemise, mais un chemisier. Ensuite, elle a encore fouillé dans son panier et en a sorti un truc bleu foncé, tout uni, qu’elle m’a fait enfiler et qui couvrait le reste de mes vêtements.

La veuve Sonechko m’a dit que ce truc affreux s’appelait tunique. On ne l’enroule pas autour de sa taille comme on le fait d’une jupe et ça ne peut pas être soulevé par le vent.

Mais c’est tellement laid! Le chemisier n’a aucune broderie, les manches sont très serrées et le col me serre le cou à m’étouffer. En plus, le col monte tellement haut qu’il cache le magnifique collier qu’Irena m’a fait. Je pleure en pensant que je vais devoir porter cette tunique au lieu de ma belle jupe toute brodée.

Pourquoi les Canadiens ne portent-ils pas de vêtements brodés? Pourquoi rient-ils en voyant mes vêtements? Ce qu’ils portent est tout simple. Au moins, la veuve Sonechko n’a pas réussi à trouver des chaussures et des chaussettes qui m’allaient, alors j’en ai eu des neuves.

Elle a trouvé une jupe noire pour Mama, mais pas de chemisier. Elle nous a dit d’aller au bout de la rue, au magasin général. Une dame qui travaille là-bas parle ukrainien et …

Vendredi 8 mai 1914

Très tôt le matin, assise au bord de mon nouveau lit

Désolée, cher journal. Mama m’a fait éteindre la lumière.

Je m’ennuie d’Irena, d’Halyna et de ma chère petite maison d’Horoshova. Au moins, le soleil brille dans notre fenêtre, ici.