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— Nân », répondit-il. Je commandai mon truc habituel et Shaknahyi un soda. Nous suivîmes Courane dans son établissement. Lequel était exactement comme je l’imaginais : tables en verre et chrome étincelant, chaises d’osier blanc, superbe bar ancien en bois sombre poli, ventilateurs de plafond aux pales chromées, et, comme Shaknahyi l’avait mentionné, quantité de plantes artificielles poussiéreuses posées dans les angles ou dans des paniers suspendus au plafond.

Chiriga était assise à une table près du fond de la salle. « Comment va, Jirji ? Marîd ?

— Ça va, dis-je. Je t’offre quelque chose ?

— J’ai jamais refusé une invitation. » Elle leva son verre. « Sandy ? » Courane hocha la tête et fila préparer nos boissons.

Je m’assis à côté de Chiri. « Bon, fis-je, mal à l’aise, je voudrais te proposer de revenir bosser au club.

— Yasmin m’avait parlé d’un truc dans le genre, répondit Chiri. Plutôt gonflé de ta part de demander ça, non ?

— Écoute, je t’ai dit quelle était la situation. Combien de temps encore vas-tu maintenir cette attitude ? »

Chiri m’adressa un petit sourire. « Je sais pas. Je m’amuse énormément. »

J’étais à bout. Mon sentiment de culpabilité a des limites. « Parfait. Va te trouver un autre boulot ailleurs. Je suis sûr qu’une grande kaffir robuste comme toi n’aura aucun mal à trouver quelqu’un d’autre qui soit intéressé. »

Chiri eut l’air blessé. « D’accord, Marîd, dit-elle en douceur. On arrête les frais. » Elle ouvrit son sac pour en sortir une longue enveloppe blanche qu’elle posa sur la table et poussa vers moi, « Qu’est-ce que c’est ?

— La recette d’hier de ton bon Dieu de club. T’es censé te pointer avant la fermeture, vois-tu, pour faire la caisse et payer les filles. Ou tu t’en fous ?

— Pas loin », dis-je en lorgnant les biftons. Il y en avait un sacré paquet dans l’enveloppe. « C’est bien pour ça que je veux t’engager.

— Pour faire quoi ? »

J’écartai les mains. « Je veux que tu surveilles les filles. Et j’ai besoin de toi pour séparer les clients de leur argent. C’est ta spécialité. Alors fais simplement ce que t’avais l’habitude de faire. »

Elle plissa le front. « J’avais l’habitude de rentrer tous les soirs chez moi avec tout le paquet. Elle tapota l’enveloppe. Et maintenant, je vais juste ramasser quelques kiams par-ci par-là, ce que t’auras décidé de lâcher. Ça me plaît pas des masses. »

Courane arriva avec notre commande et je le réglai. « Je comptais t’offrir bien plus que ce que touchent les débs et les changistes.

— C’est la moindre des choses. » Elle hocha la tête, l’air outré. « Tu sais quoi, chou ? Tu veux que je tienne la boîte à ta place, va falloir que tu craches. Les affaires sont les affaires, et le boulot c’est le boulot. Je veux cinquante pour cent.

— Tu te bombardes associée ? » Je m’étais attendu à un truc dans le genre. Chiri sourit lentement, révélant ses longues canines affûtées. Pour moi, elle valait bien plus de cinquante pour cent. « Tope là », dis-je.

Ça parut la surprendre, comme si elle ne s’était pas attendue à me voir céder si facilement. « J’aurais dû demander plus, observa-t-elle, amère. Et pas question que je danse sauf si ça me dit.

— Parfait.

— Et le nom de la boîte reste Chez Chiriga.

— Pas de problème.

— Et tu me laisses m’occuper d’engager et virer le personnel. J’ai pas envie de me carrer Fanya Belles-Gambettes simplement parce qu’elle t’aura embobiné pour se faire prendre. Cette pouffiasse se bourre tellement la gueule qu’elle gerbe sur les clients.

— T’exiges beaucoup de choses, Chiri. »

Elle me lança un sourire carnassier. « C’est chiant de rembourser ses dettes, hein ? »

Chiri était en train de profiter au maximum de la situation. « D’accord, tu t’occupes du recrutement. »

Elle s’interrompit pour boire son second verre. « Au fait, reprit-elle, c’est cinquante pour cent de la recette brute que je touche, n’est-ce pas ? »

Elle était terrible. « Euh, ouais, fis-je en riant. Qu’est-ce que tu dirais que je te raccompagne dans le Boudayin ? Tu pourrais commencer à bosser cet après-midi.

— J’y suis déjà passée. J’ai confié la boîte à Indihar. » Elle remarqua que son verre était encore vide et le leva en faisant signe à Courane. « Tu veux faire une partie, Marîd ? » Du pouce, elle indiqua l’arrière-salle, où Courane avait installé une Transpex.

C’est un jeu qui permet à deux personnes équipées d’implants corymbiques, installées l’une en face de l’autre, de se brancher sur l’unité centrale de la machine. Le premier joueur imagine en détail un scénario bizarre qui devient un environnement parfaitement réaliste pour le second joueur qui marque des points en fonction de sa faculté d’adaptation – ou de survie. Puis celui-ci fait à son tour subir la même épreuve au premier.

C’est un jeu super pour parier de l’argent. Au début, pourtant, il me flanquait une trouille bleue, parce que tant qu’on est en train de jouer, on oublie que ce n’est qu’un jeu : ça semble absolument réel. Chaque joueur exerce sur son adversaire des pouvoirs quasiment divins. Le modèle de Courane paraissait ancien – une de ces versions dont un mécanicien habile pouvait aisément court-circuiter les dispositifs de sécurité. Le bruit courait que des gens avaient eu des attaques et des infarctus alors qu’ils étaient connectés sur une Transpex trafiquée.

« Vas-y, Audran, dit Shaknahyi. Voyons un peu ce que tu vaux.

— D’accord, Chiri. Jouons. »

Elle se leva et gagna le coin de la Transpex. Je la suivis à mon tour, et Courane et Shaknahyi nous emboîtèrent le pas. « Tu veux parier les autres cinquante pour cent de mon club ? » proposa-t-elle. Ses yeux étincelaient derrière le bord de son verre à cocktail.

« J’peux pas faire ça. Papa ne serait pas d’accord. » J’étais plutôt confiant, après avoir avisé la liste des meilleurs scores affichée par la machine. Le maximum à la Transpex est de 1000 points et ma moyenne était dans le haut des 800. Les records sur cette machine étaient inférieurs à 750. Peut-être qu’ils étaient si bas parce que le bar de Courane n’attirait pas des masses de marginaux toqués dans mon genre. « Mais je veux bien parier le contenu de l’enveloppe. »

Ça lui parut une proposition correcte. « Je peux suivre », me dit-elle. Je ne doutais pas que Chiri fût en mesure de rassembler une jolie somme quand le besoin s’en faisait sentir.

Courane renouvela les consommations de tout le monde. Shaknahyi tira un siège en osier assez près pour voir les images générées par ordinateur des illusions que Chiri et moi allions créer. Je glissai cinq kiams dans la machine. « Tu peux commencer, si tu veux.

— D’ac, dit Chiri. Ça va être marrant de te faire un peu transpirer. » Elle prit l’un des connecteurs à mamie qui sortaient de la Transpex et l’enficha dans sa broche corymbique puis elle pressa la touche JOUEUR UN sur la console. Je pris le second connecteur, murmurai « Bismillah », et programmai le JOUEUR DEUX.

Au début, il n’y eut qu’une sorte de brume tiède et vacillante, parcourue de veines chatoyantes, comme une nacre irisée. Audran était perdu dans un nuage, mais il n’éprouvait aucune angoisse. Tout était absolument immobile et silencieux, sans même un souffle de brise. Il décelait autour de lui l’existence d’un parfum discret, une odeur d’air marin. Puis les choses se mirent à changer.

À présent, il flottait sur le nuage, ni assis ni debout, mais plutôt comme dérivant dans l’espace, paisiblement, sans effort. Audran n’était toujours pas inquiet ; c’était une sensation parfaitement confortable. Ce n’est que progressivement que le brouillard commença à se dissiper. Avec stupéfaction, Audran se rendit compte qu’il ne flottait pas mais qu’il nageait dans une mer tiède, miroitant au soleil.