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— Akwete aurait dû d’abord se rendre chez Abou Adil.

— Tout juste. C’est ce dont l’a informée Youssef mais elle s’est mise à crier et à frapper le pauvre homme. Elle s’imagine qu’on cherche à leur extorquer une somme plus élevée, à elle et son gouvernement. » Papa reposa sa tasse et fouilla dans la pile de papiers en désordre jonchant ses couvertures ; il en sortit une épaisse enveloppe qu’il me passa d’une main tremblante. « Voici les éléments d’information et le contrat qu’elle m’a proposé. Dis-lui de le porter à Abou Adil. »

Je respirai lentement puis soufflai. J’avais l’impression que m’occuper d’Akwete n’allait pas être de la tarte. « Je vais lui parler », dis-je.

Papa acquiesça, l’air absent. Il s’était débarrassé d’un embarras mineur et reportait déjà son attention sur un autre problème. Au bout d’un moment, je murmurai quelques mots et quittai la pièce. Il ne remarqua même pas mon départ.

Kmuzu m’attendait dans le couloir desservant les appartements privés de Papa. Je l’informai de la teneur de ma conversation avec Friedlander bey, puis ajoutai : « Je vais d’abord aller voir cette femme ; ensuite, toi et moi, nous irons faire un tour chez Abou Adil.

— Oui, yaa sidi, mais il vaudrait peut-être mieux que je vous attende dans la voiture. Reda Abou Adil me prend sans aucun doute pour un traître.

— Hmm-mouais. Parce que t’avais été engagé comme garde du corps pour sa femme et qu’à présent tu veilles sur moi ?

— Parce qu’il avait fait en sorte que je sois un espion infiltré chez Friedlander bey et que je ne me considère plus désormais comme son employé. »

Je m’étais douté depuis le début que Kmuzu était un espion. Sauf que je l’avais cru celui de Papa, pas d’Abou Adil. « Tu ne lui rends pas compte de tout ?

— Rendre compte à qui ?

— À Abou Adil. »

Kmuzu m’adressa un bref sourire grave. « Je vous assure que non. En revanche, je continue bien sûr de rendre compte régulièrement au maître de maison.

— Eh bien, dans ce cas, tout va bien. » Nous descendîmes au rez-de-chaussée et je m’arrêtai devant l’une des salles d’attente. Les deux Rocs parlants étaient postés de chaque côté de la porte. Ils lorgnèrent Kmuzu d’un œil menaçant. Celui-ci leur rendit la pareille. Je les ignorai tous les trois et entrai.

La femme noire bondit sur ses pieds sitôt que j’eus franchi le seuil. « J’exige une explication ! s’écria-t-elle. Je vous préviens, en tant qu’ambassadeur légitime du gouvernement de la République Songhaï…»

Je la fis taire d’un regard acéré. « Madame Akwete, commençai-je, le message que vous avez reçu tout à l’heure était parfaitement exact. Vous vous êtes bel et bien trompée de destinataire. Toutefois, je puis expédier cette affaire pour vous. Je m’en vais porter les informations et le contrat contenus dans cette enveloppe à cheikh Reda Abou Adil, qui a participé à l’instauration du Royaume Segu. Il sera en mesure de vous aider de la même manière.

— Et quelle rétribution attendez-vous au titre d’intermédiaire ? demanda Akwete, d’un ton aigre.

— Pas la moindre. Voyez-y un geste d’amitié de notre maison envers une nouvelle république islamique.

— Notre pays est encore jeune. Nous nous méfions de ce genre d’amitié.

— Libre à vous, dis-je en haussant les épaules. Nul doute que le roi Segu éprouvait un sentiment analogue. » Je fis demi-tour et quittai la pièce.

Suivi de Kmuzu, je traversai rapidement le hall en direction des grandes portes de bois de l’entrée. J’entendais les talons d’Akwete résonner derrière nous sur le carrelage. « Attendez », lança-t-elle. Je crus déceler une trace d’excuse dans sa voix.

Je m’arrêtai pour lui faire face. « Oui, madame ?

— Ce cheikh… peut-il faire ce que vous dites ? Ou bien est-ce quelque escroquerie élaborée ? »

Je lui adressai un sourire glacial. « Je ne sache pas que vous ou votre pays soyez en position de douter. Votre situation est aujourd’hui désespérée et Abou Adil ne peut guère la faire empirer. Vous n’avez rien à perdre et tout à gagner.

— Nous ne sommes pas riches, contra Akwete. Pas après la façon dont feu le roi Olujimi a saigné notre peuple et de dilapidé nos maigres ressources. Nous avons peu d’or…»

Kmuzu éleva la main. C’était inhabituel de sa part d’interrompre ainsi la conversation. « Cheikh Reda est moins intéressé par votre or que par le pouvoir, indiqua-t-il.

— Le pouvoir ? demanda Akwete. Quel genre de pouvoir veut-il ?

— Il étudiera votre situation, expliqua Kmuzu, puis il se réservera une partie de l’information obtenue. »

Je crus voir la femme noire défaillir. « Je tiens absolument à vous accompagner chez cet homme. C’est mon droit. »

Nous échangeâmes un regard, Kmuzu et moi. Nous savions l’un et l’autre à quel point il était naïf de sa part de s’imaginer qu’elle ait le moindre droit en pareille situation. « D’accord, dis-je, mais vous me laisserez lui parler le premier. »

Elle eut l’air soupçonneux. « Pourquoi cela ?

— Parce que je vous le dis. » Je sortis avec Kmuzu puis j’attendis au chaud soleil, le temps qu’il aille chercher la voiture. Mme Akwete me rejoignit peu après. Elle semblait furieuse mais n’ouvrit pas la bouche.

Sur la banquette arrière de la berline, j’ouvris ma serviette, sortis le mamie de mauvais garçon de Saïed et me le branchai. Il m’emplit de l’illusion confiante que dorénavant plus personne ne pouvait me barrer la route, pas plus Abou Adil qu’Hadjar, Kmuzu ou Friedlander bey.

Akwete s’était assise aussi loin que possible de moi, les mains crispées sur les genoux, la tête délibérément tournée. Peu m’importait son opinion sur moi. J’examinai de nouveau le calepin de Shaknahyi avec sa couverture de vinyle marron. Sur la première page, il avait inscrit, en grosses lettres : DOSSIER PHÉNIX. En dessous, il y avait plusieurs entrées :

Ishaq Abdoul-Hadi Bouhatta – Elwau Chami (cœur, poumons)

Andréja Svobik – Fatima Hamdan (estomac, intestins, foie)

Abbas Karami – Nabil Abou Khalifeh (reins, foie)

Blanca Mataro —…

Shaknahyi avait eu la certitude que quatre noms sur la gauche étaient d’une manière ou de l’autre reliés ; mais aux dires d’Hadjar, il n’y avait que des « dossiers en cours ». Sous les noms, Shaknahyi avait inscrit trois lettres arabes : Alif, Lâm, Mîm, correspondant, en alphabet latin, aux lettres A, L, M.

Que pouvaient-elles signifier ? Était-ce un acronyme ? Je pourrais sans doute trouver une centaine d’organisations dont le sigle était A.L.M. A et L pouvaient constituer l’article défini et le M l’initiale d’un nom : quelqu’un nommé al-Mansour ou al-Maghrebi. Ou bien s’agissait-il de la sténo personnelle de Shaknahyi, d’une abréviation indiquant un Allemand (almâni) ou un diamant (almâs) ou encore autre chose ? Je me demandai si je découvrirais jamais le sens de ces trois lettres sans Shaknahyi pour m’expliquer son code.

J’insérai une puce audio dans l’holo-radio de la voiture, puis rangeai le calepin et l’enveloppe de Tema Akwete dans la serviette « avant de la verrouiller. Tandis qu’Oum Khalsoum, la Dame du XXe siècle, chantait ses lamentations, j’imaginai qu’elle pleurait Jirji Shaknahyi, qu’elle pleurait pour Indihar et ses enfants. Akwete continuait à regarder dehors, m’ignorant toujours. En attendant, Kmuzu pilotait la voiture dans le dédale des ruelles sinueuses d’Hâmidiyya, la collection de taudis qui gardaient les abords du palace de Reda Abou Adil.