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— Elle s’en sortira. Et si elle a des ennuis, elle nous le fera savoir. À présent, j’aimerais bien que tu me glisses un petit mot sympa à ton Kmuzu. Il me fait craquer, ce petit chéri. »

Je haussai un sourcil. « T’essaies de me rendre jaloux, c’est ça ? Kmuzu ? C’est pas le genre gai luron, tu sais. Tu le boufferais tout cru.

— Sûr que j’aimerais bien y goûter », fit-elle en me servant son plus beau sourire affûté.

Temps de lancer un nouveau coup de sonde. « Chiri, dis-je, qu’est-ce que les trois lettres A.L.M. évoquent pour toi ? »

Elle réfléchit quelques instants. « L’Association des Lesbiennes Maternantes. Cette fille, Hanina, celle qui dansait chez Frenchy, elle était abonnée à leur bulletin. Pourquoi ? »

Je me mordillai la lèvre. « Non, ça colle pas. Si tu vois une autre signification possible, préviens-moi.

— D’accord, chou. C’est quoi, une espèce d’énigme ?

— Ouais, c’est ça, une énigme.

— Bon, je vais y réfléchir. » Elle but un peu de tendé et fixa le miroir au mur derrière moi. « Dis donc, qu’est-ce que j’apprends, t’aurais largué tout ton stock de drogues ? Jamais cru que je verrais ça de mon vivant. Faut qu’on se trouve un nouveau champion de la chimie ?

— Je suppose. J’ai vidé ma boîte à pilules juste après la mort de Jirji. »

L’expression de Chiri devint grave. « Ah bon. »

Il y eut quelques secondes de silence gêné. « Pourtant je vais te dire, avouai-je enfin. C’est pas l’envie qui m’a manqué. C’est vachement dur pour moi mais je touche plus à la drogue.

— Diminuer sa consommation est une chose mais couper totalement, ça paraît un tantinet radical. Je suppose que c’est tant mieux, mais j’ai toujours cru à la modération en toutes choses, et c’est valable pour l’abstinence aussi. »

Je souris. « J’apprécie ta sollicitude, dis-je, mais je sais ce que je fais. »

Chiri secoua tristement la tête. « Je l’espère. J’espère que t’es pas simplement en train de te bercer d’illusions. T’as pas des masses d’expérience de la sobriété. Tu pourrais te faire du mal.

— Ça ira, Chiri.

— Tu devrais peut-être passer à la boutique de Laïla dans la matinée. Elle a des mamies qui te donnent l’impression d’avoir boulotté une poignée de pilules. Elle fait toute la gamme : soleils, beautés, triamphés, R.P.M.., tout ce que tu veux. Tu t’embroches le mamie et si t’as besoin d’utiliser ton cerveau par la suite, tu l’éjectes et t’as de nouveau les yeux en face des trous.

— Je sais pas. Ça m’a l’air con. »

Chiri écarta les mains. « À toi de voir.

— Tu me fais un gin-bingara ? » Je n’avais plus envie de parler de drogue. Je recommençais à me sentir en manque.

Je regardai Yasmin danser sur scène pendant que Chiri préparait mon cocktail. Yasmin était toujours la plus chouette collection de chromosomes X-Y que je connaisse. Depuis qu’on était de nouveau copains, elle m’avait dit qu’elle regrettait d’avoir coupé ses longs cheveux bruns. Elle les laissait repousser. Tout en évoluant sensuellement au rythme de la musique, elle ne cessait de me regarder. Et chaque fois qu’elle croisait mon regard, elle souriait. Je lui rendis son sourire.

« Et voilà, chef », dit Chiri en posant devant moi le verre sur un rond de carton.

« Merci. » Je le pris, lançai à Yasmin un regard de braise et retournai m’asseoir avec Kmuzu. « Dis donc, tu sais quoi ? T’as une admiratrice secrète. »

Kmuzu prit l’air perplexe. « Que voulez-vous dire, yaa sidi ?

— Je crois bien que Chiriga aimerait te faire monter la tension, répondis-je, hilare.

— Ce n’est pas possible », fit-il. Il semblait profondément perturbé.

« Elle te plaît pas ? C’est pourtant une très chic fille. Faut pas te laisser intimider par son allure de chasseur de têtes.

— Ce n’est pas ça, yaa sidi. Je n’ai pas l’intention de me marier tant que je serai encore esclave.

— Ça convient parfaitement aux plans de Chiri. Je n’ai pas l’impression non plus qu’elle désire se marier.

— Je vous ai dit dès notre première rencontre que j’étais chrétien. »

Chiri se dirigea vers notre table et se joignit à nous avant que j’aie pu dire autre chose. « Comment va, Kmuzu ? demanda-t-elle.

— Je vais bien, mademoiselle Chiriga. » Le ton était presque glacial.

« Tiens, je me demandais si tu avais déjà fait ça avec une fille équipée du dernier Honey Pilar. Le Désir qui couve. C’est mon préféré. Chaque fois, j’en ai les jambes coupées, c’est tout juste si je peux encore sortir du lit.

— Mademoiselle Chiriga…

— Tu peux m’appeler Chiri, chou.

— … J’aimerais que vous cessiez de me faire des avances à caractère sexuel. »

Chiri me regarda, haussa les sourcils. « Est-ce que je fais des avances à caractère sexuel ? Je lui demandais seulement s’il avait déjà fait ça…

— Dites, c’est vrai qu’Honey Pilar a encore divorcé ? » C’était Rani, l’une des débs du roulement de nuit qui s’était laissé couler jusqu’à notre table. Manifestement, pas un client ne semblait enclin à lâcher des pourboires ou payer des cocktails. Je savais que la soirée ne marchait pas fort quand nous devenions, Kmuzu et moi, la principale attraction de la boîte.

Chiri se mit en rogne : « Je veux te voir monter sur cette bon Dieu de scène ! Et danser ! » Sur quoi elle se leva et regagna son comptoir. Lily, la jolie sexchangiste belge, ôta son corsage et partit faire son numéro.

J’étouffai un bâillement : « Je crois que j’ai eu ma dose pour ce soir. Allez viens, Kmuzu. On rentre. »

Yasmin vint me poser la main sur le bras. « Est-ce que tu reviendras demain ? J’ai besoin de te causer d’un truc personnel.

— Tu veux en parler tout de suite ? »

Elle détourna les yeux, embarrassée. « Non. À un autre moment. Mais je voulais te donner ça. » Elle sortit de sa poche sa calculette à Yi-King. Elle ne jurait que par le Yi-King, et persistait à croire qu’il avait prédit avec exactitude tous les terribles événements advenus plusieurs mois auparavant. « Peut-être que t’en auras de nouveau besoin.

— Je ne pense pas. Pourquoi ne la gardes-tu pas ? »

Elle me déposa le truc dans la main et referma mes doigts dessus. Puis elle m’embrassa. C’était un baiser doux, tranquille, sur les lèvres. Je fus surpris de découvrir qu’il me laissait tremblant.

Je souhaitai bonne nuit à Chiri, aux débs et aux changistes, et Kmuzu sortit derrière moi dans la nuit rauque et torride de la Rue. Nous redescendîmes à pied jusqu’à la porte pour récupérer la voiture. Tout le long du chemin du retour, Kmuzu m’expliqua qu’il avait trouvé Chiri vraiment trop effrontée et impudique.

« Mais tu la trouves quand même sexy ? lui demandai-je.

— Là n’est pas la question, yaa sidi », rétorqua-t-il. Sur quoi, il se concentra exclusivement sur la conduite.

Une fois rentré au domaine de Friedlander bey, je montai dans ma suite et tâchai de me détendre. Je sortis un calepin, m’étendis sur le lit et cherchai à ordonner mes pensées. J’avisai le Yi-King électronique de Yasmin et ris doucement. Sans raison précise, je pressai la touche blanche marquée H. La petite machine carillonna sa ritournelle puis une voix de femme synthétique annonça : « Hexagramme six. Soung/Le conflit. Modifications aux première, seconde et sixième ligne. »

J’écoutai le jugement et le commentaire puis pressai la touche L pour avoir les lignes, ou plutôt les traits. En définitive, ça se résumait à l’avertissement que j’étais dans une période difficile et que si j’essayais à tout prix d’atteindre mon but, je serais confronté à tout un tas de conflits. Je n’avais pas besoin d’un ordinateur de poche pour me dire ça.