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– Alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Je suis pressée d’en finir, dit Anna.

– Patience, ma chérie, reprit la femme aux cheveux blancs, nous attendons ce moment depuis des temps qui ne se comptent plus, alors apprivoise-moi ces quelques semaines à venir. Elles passeront bien plus vite que tu ne l’imagines, fais-moi confiance.

– C’est ce que j’ai toujours fait, dit Anna en levant la main pour attirer l’attention du serveur.

*

Luciana avait préparé un somptueux dîner. Les deux enfants de Lorenzo vinrent saluer Jonathan. Graziella les rejoignit au moment où ils s’apprêtaient à passer à table.

– Je crois que j’ai trouvé quelque chose, dit Graziella, mais nous verrons cela tout à l’heure.

Aussitôt le repas achevé, elle alla chercher dans l’entrée le paquet qu’elle avait apporté sous son étole.

Elle posa le registre sur la table du salon et l’ouvrit. Jonathan et Lorenzo avaient pris place à côté d’elle.

– Votre Vladimir n’est pas venu à Florence, en tout cas, il n’a jamais mis les pieds chez Zecchi.

– C’est impossible ! dit Jonathan.

Lorenzo lui fit signe de laisser Graziella parler. Graziella tourna une page, puis une autre avant de revenir en arrière.

– Regardez, c’est là, dit-elle en désignant les écritures finement tracées à l’encre bleue.

Elle pointa du doigt la première colonne où était enregistré l’objet de la commande, pigments, huile, pinceaux, solvant, conservateur, la seconde indiquait la date de la préparation, la troisième la somme due et enfin la dernière, le commanditaire. Au bout de la ligne manuscrite, figurait le nom de Sir Edward.

– Ce n’est pas lui qui venait, ajouta-t-elle.

Le mystère que Jonathan était venu éclaircir en ces lieux s’épaississait.

– J’ai préparé à votre intention une liste exhaustive de ce qu’il achetait. Un détail va vous intéresser. Le moins que l’on puisse dire est que votre galeriste ne lésinait pas à la dépense. Les huiles qu’il choisissait coûtaient une véritable fortune pour l’époque.

Elle expliqua à Jonathan que, pour augmenter leur pureté, les manufacturiers étalaient les huiles dans de grands bacs qu’ils disposaient sur les toits brûlants de la maison Zecchi. Le soir, ils recueillaient la seule surface du liquide.

– Mais ce n’est pas tout, j’ai retrouvé la trace des pinceaux qu’il achetait. Ce sont des Majolicas, une qualité très précieuse, réalisée avec les mêmes poils que ceux que l’on utilisait pour la fabrication des blaireaux à barbe. Ceux-là aussi coûtaient extrêmement cher. Mais ils assuraient un lissage très précis et très régulier des mélanges de couleurs sur la palette du peintre.

Luciana leur apporta du café. Ils allèrent le boire, loin des cahiers que Graziella referma avec précaution.

– Si tu te fais prendre par ton père, je vais entendre hurler mon nom dans toute la ville, dit Lorenzo en la regardant.

– C’est lui qui m’a aidé à l’emballer. Tu connais papa aussi bien que moi.

Lorenzo avait été l’élève de Giovanni, un élève terrible, comme le qualifiait le père de Graziella, mais l’un de ses préférés, parce que sa curiosité était inépuisable.

– En revanche, reprit Graziella, je préférerais être en vacances à Rome s’il venait à apprendre ce que je viens de faire.

Graziella sortit un papier de sa poche où elle avait recopié toutes les compositions des pigments que Sir Edward avait achetés à Florence.

– Je vous ai récupéré un échantillon de chacun. Vous pourrez les comparer à ceux de votre tableau, je ne sais pas si cela vous suffira à l’authentifier mais c’est tout ce que je peux faire.

Jonathan se leva et serra Graziella dans ses bras.

– Je ne sais pas comment vous remercier, lui dit-il. C’est exactement ce dont j’avais besoin.

Les joues empourprées, Graziella se libéra de son étreinte spontanée et toussota.

– Rendez donc sa vérité au peintre, je l’aimais bien moi aussi, votre Vladimir.

La soirée s’acheva. Lorenzo raccompagna Graziella et son précieux manuscrit. Quand il la déposa devant la maison Zecchi, elle lui demanda si Jonathan était célibataire. Lorenzo sourit et lui expliqua qu’il pressentait que la vie sentimentale de son ami était un peu compliquée en ce moment. Graziella haussa les épaules et sourit.

– C’est toujours comme cela quand un homme me plaît. Après tout, comme disait ma grand-mère, une belle rencontre, ce sont les bonnes personnes au bon moment, mais j’ai été très heureuse de faire sa connaissance. Salue-le pour moi et dis-lui que si d’aventure il revenait seul à Florence, je serais très heureuse de déjeuner avec lui.

Lorenzo promit de faire la commission et dès que la porte de Graziella fut refermée, il reprit le chemin du retour. Luciana profita de l’absence de Lorenzo pour engager la conversation avec Jonathan.

– Alors comme ça, tu t’es enfin décidé, tu vas te marier, m’a dit Lorenzo ?

– Le 19 juin, si vous vouliez venir ce serait formidable.

– Et formidablement au-delà de nos moyens ! Mon mari fait un métier admirable et le voir vivre sa passion me comble tous les jours, mais les fins de mois d’un chercheur sont assez rigoureuses. Nous sommes heureux, tu sais, Jonathan, nous n’avons jamais cessé d’être heureux, nous avons tout ce qu’il nous faut, il y a beaucoup d’amour dans cette maison.

– Je le sais, Luciana, Lorenzo et toi êtes des gens que j’admire.

Luciana se pencha vers lui et lui prit la main.

– Est-ce que tu te prépares un aussi joli futur avec la femme que tu épouses ?

– Pourquoi me poses-tu cette question de ces yeux noirs ?

– Parce que je ne te trouve pas très heureux pour quelqu’un qui célèbre ses noces dans quelques semaines.

– Je suis un peu confus ces derniers temps, je devrais être auprès d’elle à Boston pour l’aider à préparer la cérémonie, et je suis là à Florence en train de courir après des énigmes qui attendent depuis plus d’un siècle et qui auraient pu attendre quelques mois de plus.

– Alors pourquoi le fais-tu ?

– Je ne sais pas.

– Moi, je crois que tu le sais très bien, tu es un homme intelligent. Il n’y a que ce tableau qui a surgi dans ta vie ?

Jonathan regarda Luciana interdit.

– Tu as des dons de voyance maintenant ?

– Le seul don que j’ai, lui dit Luciana, c’est de prendre le temps de regarder mon mari, mes enfants et mes amis, c’est ma façon à moi de les comprendre et de les aimer.

– Et quand tu me regardes, que vois-tu ?

– Je vois deux lumières dans tes yeux, Jonathan. C’est un signe qui ne trompe pas. L’une éclaire ta raison et l’autre tes sentiments. Les hommes compliquent toujours tout. Fais attention, le cœur finit par se déchirer quand on le tiraille trop. Pour entendre ce qu’il te dit, il suffit de savoir l’écouter. Moi, je connais un moyen facile…

Lorenzo sonna à la porte. Luciana se leva et sourit à Jonathan.

– Il a encore oublié ses clés !

– Qu’est-ce qui est facile, Luciana ?

– Avec la grappa que je t’ai servie, tu dormiras très bien ce soir, c’est moi qui la prépare et je connais bien ses effets. Demain matin, quand tu te réveilleras, prête attention au premier visage qui viendra à toi, si c’est le même que celui de la personne à laquelle tu pensais en t’endormant, alors tu trouveras la réponse à la question qui te tourmente.

Lorenzo entra dans la pièce et tapota l’épaule de son ami. Jonathan se leva, et salua tendrement ses hôtes. Il promit de ne plus laisser passer autant de temps avant de leur rendre une nouvelle visite. Le couple le raccompagna jusqu’au bout de la rue et Jonathan poursuivit seul son chemin jusqu’à la Piaza délia Repubblica. Le café Gilli fermait et les employés rangeaient la terrasse. Un serveur lui fit un signe amical. Jonathan lui rendit son salut et traversa la place presque déserte. En chemin, il n’avait cessé de penser à Clara.