Выбрать главу

* * * * *

Champêtres et lointains quartiers, je vous préfère Sans doute par les nuits d’été, quand l’atmosphère S’emplit de l’odeur forte et tiède des jardins; Mais j’aime aussi vos bals en plein vent d’où, soudains, S’échappent les éclats de rire à pleine bouche, Les polkas, le hochet des cruchons qu’on débouche, Les gros verres trinquant sur les tables de bois, Et, parmi le chaos des rires et des voix Et du vent fugitif dans les ramures noires, Le grincement rythmé des lourdes balançoires.

* * * * *

Le Grand-Montrouge est loin, et le dur charretier A mené sa voiture à Paris, au chantier, Pleine de lourds moellons, par les chemins de boue; Et voici que, marchant à côté de la roue, Il revient, écoutant, de fatigue abreuvé, Le pas de son cheval qui frappe le pavé. Et moi, j’envie, au fond de mon cœur, ce pauvre homme; Car lui, du moins, il a bon appétit, bon somme, Il vit sa rude vie ainsi qu’un animal, Et l’automne qui vient ne lui fait pas de mal.

* * * * *

J’écris près de la lampe. Il fait bon. Rien ne bouge. Toute petite, en noir, dans le grand fauteuil rouge, Tranquille auprès du feu, ma vieille mère est là; Elle songe sans doute au mal qui m’exila Loin d’elle, l’autre hiver, mais sans trop d’épouvante, Car je suis sage et reste au logis, quand il vente. Et puis, se souvenant qu’en octobre la nuit Peut fraîchir, vivement et sans faire de bruit, Elle met une bûche au foyer plein de flammes. Ma mère, sois bénie entre toutes les femmes!

* * * * *

Volupté des parfums! – Oui, toute odeur est fée. Si j’épluche, le soir, une orange échauffée, Je rêve de théâtre et de profonds décors; Si je brûle un fagot, je vois, sonnant leurs cors, Dans la forêt d’hiver les chasseurs faire halte; Si je traverse enfin ce brouillard que l’asphalte Répand, infect et noir, autour de son chaudron, Je me crois sur un quai parfumé de goudron, Regardant s’avancer, blanche, une goélette Parmi les diamants de la mer violette.

* * * * *

Noces du samedi! noces où l’on s’amuse, Je vous rencontre au bois où ma flâneuse Muse Entend venir de loin les cris facétieux Des femmes en bonnet et des gars en messieurs Qui leur donnent le bras en fumant un cigare, Tandis qu’en un bosquet le marié s’égare, Souvent imberbe et jeune, ou parfois mûr et veuf, Et tout fier de sentir sur sa manche en drap neuf, Chef-d’œuvre d’un tailleur-concierge de Montrouge, Sa femme, en robe blanche, étaler sa main rouge.

* * * * *

L’école. Des murs blancs, des gradins noirs, et puis Un christ en bois orné de deux rameaux de buis. La sœur de charité, rose sous sa cornette, Fait la classe, tenant sous son regard honnête Vingt fillettes du peuple en simple bonnet rond. La bonne sœur! Jamais on ne lit sur son front L’ennui de répéter les choses cent fois dites! Et, sur les premiers bancs, où sont les plus petites, Elle ne veut pas voir tous les yeux épier Un hanneton captif marchant sur du papier.

* * * * *

Depuis que son garçon est parti pour la guerre, La veuve met les deux couverts comme naguère, Sert la soupe, remplit un grand verre de vin, Puis, sur le seuil, attend qu’un envoyé divin, Un pauvre, passe là pour qu’elle le convie. Il en vient tous les jours. Donc son fils est en vie, Et la vieille maman prend sa peine en douceur. Mais l’épicier d’en face est un libre penseur Et songe: – «Peut-on croire à de telles grimaces? Les superstitions abrutissent les masses.»

* * * * *

Il a neigé la veille et, tout le jour, il gèle. Le toit, les ornements de fer et la margelle Du puits, le haut des murs, les balcons, le vieux banc, Sont comme ouatés, et, dans le jardin, tout est blanc. Le grésil a figé la nature, et les branches Sur un doux ciel perlé dressent leurs gerbes blanches. Mais regardez. Voici le coucher de soleil. À l’occident plus clair court un sillon vermeil. Sa soudaine lueur féerique nous arrose, Et les arbres d’hiver semblent de corail rose.

* * * * *

De la rue on entend sa plaintive chanson. Pâle et rousse, le teint plein de taches de son, Elle coud, de profil, assise à sa fenêtre. Très sage et sachant bien qu’elle est laide peut-être, Elle a son dé d’argent pour unique bijou. Sa chambre est nue, avec des meubles d’acajou. Elle gagne deux francs, fait de la lingerie Et jette un sou quand vient l’orgue de Barbarie. Tous les voisins lui font leur bonjour le plus gai Qui leur vaut son petit sourire fatigué.

* * * * *

Dans ces bals qu’en hiver les mères de famille Donnent à des bourgeois pour marier leur fille, En faisant circuler assez souvent, pas trop, Les petits-fours avec les verres de sirop, Presque toujours la plus jolie et la mieux mise, Celle qui plaît et montre une grâce permise, Est sans dot, – voulez-vous en tenir le pari? – Et ne trouvera pas, pauvre enfant, un mari. Et son père, officier en retraite, pas riche, Dans un coin, fait son whist à quatre sous la fiche.

* * * * *

Comme à cinq ans on est une grande personne, On lui disait parfois: «Prends ton frère, mignonne,» Et, fière, elle portait dans ses bras le bébé, Quels soins alors! L’enfant n’était jamais tombé. Très grave, elle jouait à la petite mère. Hélas! le nouveau-né fut un ange éphémère. On prit sur son berceau mesure d’un cercueil; Et la sœur de cinq ans a des habits de deuil, Ne parle ni ne joue et, très préoccupée, Se dit: «Je n’aime plus maintenant ma poupée.»

* * * * *

Je rêve, tant Paris m’est parfois un enfer, D’une ville très calme et sans chemin de fer, Où, chez le sous-préfet, en vieux garçon affable, Je lirais, au dessert, mon épître ou ma fable. On se dirait tout bas, comme un mignon péché, Un quatrain très mordant que j’aurais décoché. Là, je conserverais de vagues hypothèques. On voudrait mon avis pour les bibliothèques; Et j’y rétablirais, disciple consolé, Nos maîtres, Esménard, Lebrun, Chênedollé.

* * * * *

Assis, les pieds pendants, sous l’arche du vieux pont, Et sourd aux bruits lointains à qui l’écho répond, Le pêcheur suit des yeux le petit flotteur rouge. L’eau du fleuve pétille au soleil. Rien ne bouge. Le liège soudain fait un plongeon trompeur, La ligne saute. – Avec un hoquet de vapeur Passe un joyeux bateau tout pavoisé d’ombrelles; Et, tandis que les flots apaisent leurs querelles, L’homme, un instant tiré de son rêve engourdi, Met une amorce neuve et songe: – Il est midi.