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Compliment

Tous ces jours-ci, mes chers lecteurs, je désirais, Tel un petit garçon qui, frisé tout exprès, Présente son rouleau noué d’un ruban rose, Vous offrir un joli compliment – vers ou prose – Pour l’an qui, cette nuit, naquit et commença. Mais, quand j’étais enfant – oh! pas plus haut que ça! – Dans ce genre déjà je n’ai pas fait merveille. Le texte qu’à l’école on nous donnait, la veille, Et qu’il fallait, le soir, au logis copier, M’effrayait. J’ai noirci, depuis, bien du papier; Mais c’étaient mes débuts dans la littérature. Ces phrases, réclamant ma plus belle écriture, Étaient alors, pour moi, pleines de «mots d’auteur». Sur mon grand tabouret, pour être à la hauteur Du pupitre, j’avais un Boiste en deux volumes; Devant moi, sur la table, un encrier, des plumes, Plus un bristol orné d’un beau feston doré Et fleuri d’un petit bouquet peinturluré. Devant ce grand travail, que j’étais mal à l’aise! Fallait-il adopter la bâtarde ou l’anglaise? Que faire? Je mouillais ma plume avec effroi; Je songeais au tableau du passage Jouffroy, Où monsieur Favarger mit trois ans de sa vie, Chef-d’œuvre et dernier mot de la calligraphie, Qui montre aux gens, par un tel art humiliés, Le «Lion d’Androclès» en «pleins» et «déliés»; Et, le dos rond, roulant les yeux, tirant la langue, Je transcrivais alors ma petite harangue.
Pas mal le «Chers parents, à qui je dois le jour». Mais, lorsque j’arrivais au «cœur rempli d’amour», Comment écrire «cœur»? «Cœur», un mot difficile!… Je m’agitais et, comme un petit imbécile, Je me mettais, avec des gestes consternés, De l’encre au bout des doigts, de l’encre au bout du nez. Alors, j’étais perdu. Les fautes d’orthographe Pleuvaient. Je signais mal et ratais mon paraphe, Et sur mes beaux souhaits de joie et de santé Je laissais choir enfin un monstrueux pâté.
C’était affreux!
Pourtant, plein d’une angoisse énorme, Le lendemain, avec ce manuscrit informe, Quand je me présentais devant mes bons parents, Ils prenaient le papier, ouvraient les yeux tout grands, S’écriaient: «C’est superbe!» et, sans dédains ni moues, Embrassaient tendrement leur fils sur les deux joues. Oui, ma page illisible, ils semblaient l’admirer.
Et l’on ouvrait l’armoire, et j’en voyais tirer Des trésors, un tambour, un fusil à capsules! Et je m’en emparais, joyeux et sans scrupules, Ne sachant pas alors – pour l’enfant tout est beau – Pourquoi mon père avait toujours un vieux chapeau Et pourquoi la maman, sainte parmi les saintes, Portait des gants flétris et des jupes reteintes.
Aux humbles, comme moi nés dans la pauvreté, Je souhaite d’abord avec sincérité, Quand la nouvelle année entreprend sa carrière, Le pain quotidien de la vieille prière; Et puis, pour qu’ils ne soient jamais trop malheureux, Je leur souhaite encor de bien s’aimer entre eux. Du pain et de l’amour! Tout est là. Le pauvre homme N’a vraiment pas le droit de trop se plaindre, en somme, Si, du berceau d’osier au cercueil de sapin, Toute sa vie, il a de l’amour et du pain. Mes honnêtes parents n’eurent pas davantage; Mais la bonté régnait dans leur cœur sans partage. Des sentiments profonds ils ont connu le prix, Et, si je sais aimer, c’est qu’ils me l’ont appris. Et tel riche, donnant de splendides étrennes, N’éprouve pas leur joie en ces heures sereines, Quand ils payaient, ayant épargné quelques sous, Mon mauvais compliment par de pauvres joujoux. Mes amis, en ce jour qui groupe la famille, Si cher que soit le pain, si peu que le feu brille, Épanouissez-vous, ne devenez pas durs. Quand les enfants viendront vous tendre leurs fronts purs, À défaut de cadeaux, comblez-les de caresses. Entretenez en eux le foyer des tendresses, Comme, en soufflant dessus, on rallume un charbon. Le méchant souffre, et presque aucun homme n’est bon Que grâce aux souvenirs de son enfance aimée, Dont son âme demeure à jamais parfumée.

Morceau à quatre mains

Le salon s’ouvre sur le parc Où les grands arbres, d’un vert sombre, Unissent leurs rameaux en arc Sur les gazons qu’ils baignent d’ombre.
Si je me retourne soudain Dans le fauteuil où j’ai pris place, Je revois encor le jardin Qui se reflète dans la glace;
Et je goûte l’amusement D’avoir, à gauche comme à droite, Deux parcs, pareils absolument, Dans la porte et la glace étroite.
Par un jeu charmant du hasard, Les deux jeunes sœurs, très exquises, Pour jouer un peu de Mozart, Au piano se sont assises.
Comme les deux parcs du décor, Elles sont tout à fait pareilles; Les quatre mêmes bijoux d’or Scintillent à leurs quatre oreilles.
J’examine autant que je veux, Grâce aux yeux baissés sur les touches, La même fleur sur leurs cheveux, La même fleur sur leurs deux bouches;
Et parfois, pour mieux regarder, Beaucoup plus que pour mieux entendre, Je me lève et viens m’accouder Au piano de palissandre.

Adagio

La rue était déserte et donnait sur les champs. Quand j’allais voir l’été les beaux soleils couchants Avec le rêve aimé qui partout m’accompagne, Je la suivais toujours pour gagner la campagne, Et j’avais remarqué que, dans une maison Qui fait l’angle et qui tient, ainsi qu’une prison, Fermée au vent du soir son étroite persienne, Toujours à la même heure, une musicienne Mystérieuse, et qui sans doute habitait là, Jouait l’adagio de la sonate en la. Le ciel se nuançait de vert tendre et de rose. La rue était déserte; et le flâneur morose Et triste, comme sont souvent les amoureux, Qui passait, l’œil fixé sur les gazons poudreux, Toujours à la même heure, avait pris l’habitude D’entendre ce vieil air dans cette solitude. Le piano chantait sourd, doux, attendrissant, Rempli du souvenir douloureux de l’absent Et reprochant tout bas les anciennes extases. Et moi, je devinais des fleurs dans de grands vases, Des parfums, un profond et funèbre miroir, Un portrait d’homme à l’œil fier, magnétique et noir, Des plis majestueux dans les tentures sombres, Une lampe d’argent, discrète, sous les ombres, Le vieux clavier s’offrant dans sa froide pâleur, Et, dans cette atmosphère émue, une douleur Épanouie au charme ineffable et physique Du silence, de la fraîcheur, de la musique. Le piano chantait toujours plus bas, plus bas. Puis, un certain soir d’août, je ne l’entendis pas.
Depuis, je mène ailleurs mes promenades lentes. Moi qui hais et qui fuis les foules turbulentes, Je regrette parfois ce vieux coin négligé. Mais la vieille ruelle a, dit-on, bien changé: Les enfants d’alentour y vont jouer aux billes, Et d’autres pianos l’emplissent de quadrilles.