Выбрать главу

L’amazone

Devant le frais cottage au gracieux perron, Sous la porte que timbre un tortil de baron, Debout entre les deux gros vases de faïence, L’amazone, déjà pleine d’impatience, Apparaît, svelte et blonde, et portant sous son bras Sa lourde jupe, avec un charmant embarras. Le fin drap noir étreint son corsage, et le moule; Le mignon chapeau d’homme, autour duquel s’enroule Un voile blanc, lui jette une ombre sur les yeux. La badine de jonc au pommeau précieux Frémit entre les doigts de la jeune élégante, Qui s’arrête un moment sur le seuil et se gante. Agitant les lilas en fleur, un vent léger Passe dans ses cheveux et les fait voltiger, Blonde auréole autour de son front envolée: Et, gros comme le poing, au milieu de l’allée De sable roux semé de tout petits galets, Le groom attend et tient les deux chevaux anglais.
Et moi, flâneur qui passe et jette par la grille Un regard enchanté sur cette jeune fille, Et m’en vais sans avoir même arrêté le sien, J’imagine un bonheur calme et patricien, Où cette noble enfant me serait fiancée; Et déjà je m’enivre à la seule pensée Des clairs matins d’avril où je galoperais, Sur un cheval très vif et par un vent très frais, À ses côtés, lancé sous la frondaison verte. Nous irions, par le bois, seuls, à la découverte; Et, voulant une image au contraste troublant Du long vêtement noir et du long voile blanc, Je la comparerais, dans ma course auprès d’elle, À quelque fugitive et sauvage hirondelle.

Ritournelle

Dans la plaine blonde et sous les allées, Pour mieux faire accueil au doux messidor, Nous irons chasser les choses ailées, Moi, la strophe, et toi, les papillons d’or.
Et nous choisirons les routes tentantes, Sous les saules gris et près des roseaux, Pour mieux écouter les choses chantantes, Moi, le rythme, et toi, le chœur des oiseaux.
Suivant tous les deux les rives charmées Que le fleuve bat de ses flots parleurs, Nous vous trouverons, choses parfumées, Moi, glanant des vers, toi, cueillant des fleurs.
Et l’amour, servant notre fantaisie, Fera, ce jour-là, l’été plus charmant: Je serai poète, et toi poésie; Tu seras plus belle, et moi plus aimant.

La ferme

La maison, aujourd’hui ferme, jadis château, A bon air. Un fossé l’entoure; un vieux bateau, Plein de feuillage mort, pourrit là, sous le saule. Par l’étroit pont de pierre où la volaille piaule Répondant à grands cris aux canards du fossé, Et par la voûte sombre au cintre surbaissé, On entre dans la cour spacieuse et carrée Que jonchent le fumier et la paille dorée. Avant le déjeuner, parfois j’en fais le tour. Je regarde rentrer les bêtes de labour, Gros chevaux pommelés, les pieds velus, la queue Troussée, avec le lourd collier de laine bleue, Le gland rouge à l’oreille, et le grossier harnais. Je fus un paysan jadis, je m’y connais, Je parle aux laboureurs, je leur dis ma recette Pour extirper du blé la nielle et la luzette Et que le temps humide est meilleur pour faucher. La grosse cuisinière alors vient me chercher; Je rentre dans la salle à manger confortable Où je trouve Suzanne arrangeant sur la table Les fruits de la saison dans un grand plat de Gien. On déjeune gaîment. Quelquefois le vieux chien Qu’on tolère au logis, car il n’est plus ingambe, Vient poser en grondant sa gueule sur ma jambe Pour avoir un morceau qu’il avale d’un coup. En prenant le café, nous fumons, pas beaucoup. Puis mes hôtes vont voir leurs travaux de campagne, Ils prennent le panier, et je les accompagne. La voiture d’osier a trois places. Devant, La chère blonde, avec son voile brun au vent, – Tandis que le papa maintient au trot Cocotte, – Se retourne, voulant mettre dans la capote Son parasol doublé de vert et ses bouquets. Moi, derrière, occupant le siège du laquais, Pour l’aider je m’incline, et je la touche presque. – Et nous suivons alors un chemin pittoresque, Où souvent, par-dessus les grands épis penchés, Nous regardent de loin les pointes des clochers.

La cueillette des cerises

Espiègle! j’ai bien vu tout ce que vous faisiez, Ce matin, dans le champ planté de cerisiers Où seule vous étiez, nu-tête, en robe blanche. Caché par le taillis, j’observais. Une branche, Lourde sous les fruits mûrs, vous barrait le chemin Et se trouvait à la hauteur de votre main. Or, vous avez cueilli des cerises vermeilles, Coquette! et les avez mises à vos oreilles, Tandis qu’un vent léger dans vos boucles jouait. Alors, vous asseyant pour cueillir un bleuet Dans l’herbe, et puis un autre, et puis un autre encore, Vous les avez piqués dans vos cheveux d’aurore; Et, les bras recourbés sur votre front fleuri, Assise dans le vert gazon, vous avez ri; Et vos joyeuses dents jetaient une étincelle. Mais pendant ce temps-là, ma belle demoiselle, Un seul témoin, qui vous gardera le secret, Tout heureux de vous voir heureuse, comparait, Sur votre frais visage animé par les brises, Vos regards aux bleuets, vos lèvres aux cerises.

Le rêve du poète

Ce serait sur les bords de la Seine. Je vois Notre chalet, voilé par un bouquet de bois. Un hamac au jardin, un bateau sur le fleuve. Pas d’autre compagnon qu’un chien de Terre-Neuve Qu’elle aimerait et dont je serais bien jaloux. Des faïences à fleurs pendraient après des clous; Puis beaucoup de chapeaux de paille et des ombrelles. Sous leurs papiers chinois les murs seraient si frêles Que même, en travaillant, à travers la cloison Je l’entendrais toujours errer par la maison Et traîner dans l’étroit escalier sa pantoufle. Les miroirs de ma chambre auraient senti son souffle Et souvent réfléchi son visage, charmés. Elle aurait effleuré tout de ses doigts aimés. Et ces bruits, ces reflets, ces parfums, venant d’elle, Ne me permettraient pas d’être une heure infidèle. Enfin, quand, poursuivant un vers capricieux, Je serais là, pensif et la main sur les yeux, Elle viendrait, sachant pourtant que c’est un crime, Pour lire mon poème et me souffler ma rime, Derrière moi, sans bruit, sur la pointe des pieds. Moi, qui ne veux pas voir mes secrets épiés, Je me retournerais avec un air farouche; Mais son gentil baiser me fermerait la bouche.
– Et dans les bois voisins, inondés de rayons, Précédés du gros chien, nous nous promènerions, Moi, vêtu de coutil, elle, en toilette blanche, Et j’envelopperais sa taille, et sous sa manche Ma main caresserait la rondeur de son bras. On ferait des bouquets, et, quand nous serions las On rejoindrait, toujours suivis du chien qui jappe, La table mise, avec des roses sur la nappe, Près du bosquet criblé par le soleil couchant; Et, tout en s’envoyant des baisers en mangeant, Tout en s’interrompant pour se dire: Je t’aime! On assaisonnerait des fraises à la crème, Et l’on bavarderait comme des étourdis Jusqu’à ce que la nuit descende…