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Larry Niven

Protecteur

PHSSTHPOK

Genèse, chapitre 3, version du roi Jacques :

22. Et le Seigneur Dieu dit : « Voilà l’homme devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Attention, maintenant, qu’il n’étende la main et ne prenne aussi du fruit de l’arbre de vie et, qu’après en avoir mangé, il ne vive éternellement. »

23. Le Seigneur Dieu l’expulsa du jardin d’Éden, pour qu’il cultivât la terre d’où il avait été tiré.

24. Après avoir chassé l’homme, il posta à l’orient du jardin d’Éden les chérubins armés d’un glaive à lame flamboyante pour garder le chemin de l’arbre de vie.

Chapitre premier

Il était assis devant un cercle de deux mètres cinquante de twing clair, sans quitter des yeux un panorama qui n’avait rien de très passionnant.

Dix ans plus tôt, ces étoiles-là avaient été un saupoudrage de points rouge mat dans son sillage. Lorsqu’il avait pu les regarder de face, elles luisaient d’un éclat bleu diabolique, assez puissant pour lui permettre de lire. Vues latéralement, les plus grosses s’étaient nettement aplaties. Mais à présent elles n’étaient plus que des points blancs éparpillés sur un ciel presque tout noir. C’était un ciel de solitude. Des nuages de poussière cachaient la splendeur flamboyante de la patrie.

La lumière au centre du panorama n’était pas une étoile. Grande comme un soleil et sombre en son centre, elle brillait avec une force capable de perforer une rétine d’homme. C’était la lueur d’un statoréacteur Bussard à une douzaine de kilomètres. À quelques années d’intervalle, Phssthpok passait un peu de temps à observer le jet du propulseur, rien que pour vérifier sa régularité. Une fois, il avait repéré une lente oscillation périodique assez tôt pour empêcher son vaisseau de devenir une minuscule nova. Mais la lumière blanc-bleu n’avait pas du tout varié au cours de ses semaines d’observations.

Pendant la plus grande partie de sa vie, longue et lente, les cieux avaient défilé devant le hublot de Phssthpok. Il se rappelait toutefois peu de choses de ce voyage. La période d’attente avait été trop dépourvue d’événements pour intéresser sa mémoire. Quand un Pak est entré dans la phase protecteur, il se distrait avec les souvenirs de son passé : lorsqu’il était enfant ou, plus tard, reproducteur, et lorsque le monde semblait nouveau, prometteur, exempt de responsabilités. Il n’y a que le danger, pour lui-même ou pour ses enfants, qui puisse faire sortir un protecteur de sa rêveuse lassitude normale pour le jeter dans un état de rage belliqueuse sans équivalent chez les êtres sensibles.

Phssthpok rêvassait sur son siège anti-accidents.

Les commandes d’orientation de la cabine se trouvaient sous sa main gauche. Quand il avait faim, ce qui lui arrivait toutes les dix heures, sa main bosselée qui faisait penser à un chapelet de deux poignées de noix noires plongeait dans une fente sur sa droite pour en extraire une racine jaune, charnue et vrillée, de la taille d’une patate douce. Des semaines terrestres s’étaient écoulées depuis la dernière fois que Phssthpok avait quitté son siège. Entre-temps, il n’avait remué que ses mains et ses mâchoires. Ses yeux n’avaient pas bougé.

Avant cette période, il s’était livré à une culture physique intense. Le devoir d’un protecteur est de se maintenir en forme.

Même un protecteur qui n’a personne à protéger.

La propulsion était régulière, suffisamment en tout cas pour satisfaire Phssthpok. Les doigts noueux du protecteur se déplacèrent, et le ciel se mit à tourner autour de lui. Il surveilla l’autre lumière vive par le hublot ; quand elle fut centrée, il arrêta la rotation.

Déjà plus brillant que les étoiles des alentours, le but de son voyage était encore trop indistinct pour être plus qu’une étoile. Mais son éclat avertit Phssthpok qu’il avait laissé s’enfuir le temps. Trop de rêveries ! Rien d’étonnant à cela il avait vécu près de douze cents ans sur ce siège en demeurant immobile pour ménager ses provisions de bouche. Ç’aurait été trente fois plus sans les effets de la relativité.

Malgré ce qui était apparemment le cas d’arthrite le plus invalidant de l’histoire médicale, malgré des semaines passées comme un paralytique, le protecteur à bosses multiples se mit instantanément en mouvement. La flamme du jet perdit de sa consistance, se dilata et commença à se refroidir. L’arrêt d’un statoréacteur Bussard est presque aussi délicat que son démarrage. Aux vitesses du statoréacteur, l’hydrogène interstellaire se présente en rayons gamma : il fallait l’écarter par des champs magnétiques, même s’il ne devait pas être brûlé comme combustible.

Il était arrivé dans la région spatiale la plus probable. Devant lui se trouvait l’étoile la plus vraisemblable. Et cependant le succès de Phssthpok s’annonçait difficile. Ceux qu’il était venu secourir (s’ils existaient encore, s’ils n’étaient pas morts jusqu’au dernier pendant tout ce temps ; s’ils faisaient le tour de cette étoile et non d’une autre moins vraisemblable) ne l’attendaient pas. Ils avaient une intelligence presque animale. Peut-être utilisaient-ils le feu, mais ils ne disposaient sûrement pas de télescopes. Pourtant ils l’attendaient… dans un certain sens. Si jamais ils étaient ici, ils attendaient depuis deux millions et demi d’années.

Il ne les décevrait pas.

Il ne fallait pas qu’il les déçût.

Un protecteur sans descendants est un être sans objectif. Il doit trouver un but, et vite, ou mourir. La plupart meurent. Dans leur esprit ou dans leurs glandes, un réflexe se crispe, et ils cessent de ressentir sa faim. Parfois, l’un d’eux découvre qu’il peut adopter toute l’espèce Pak en guise de progéniture mais il faut alors qu’il invente un moyen de se rendre utile à l’espèce. Et Phssthpok était l’un de ces rares élus.

Ce serait terrible s’il échouait.

Nick Sohl était sur le chemin du retour.

Il se reposait dans le calme de l’espace, car ses oreilles avaient appris à oublier le bourdonnement du propulseur de son astronef. Une pilosité crépue de quinze jours recouvrait sa mâchoire et son crâne rasé de chaque côté de sa houppe cotonneuse de Zonier. S’il se concentrait, il pouvait sentir sa propre odeur. Il était allé faire de la prospection minière dans les anneaux de Saturne à bord d’un vaisseau monoplace avec une pelle dans la main (car les aimants utilisés pour extraire des monopôles du fer des astéroïdes ressemblaient étonnamment à des pelles). Il serait volontiers resté plus longtemps, mais il lui plaisait de penser que la civilisation de la Zone ne pouvait pas se passer de lui plus de trois semaines.

Cent ans auparavant, les monopôles relevaient de la théorie pure, d’ailleurs discordante. Selon la théorie magnétique, un pôle magnétique nord ne pouvait pas exister indépendamment d’un pôle magnétique sud et vice versa. Mais la théorie des quanta laissait supposer qu’ils pouvaient exister indépendamment l’un de l’autre.

Les premières colonies permanentes s’étaient multipliées sur les grands astéroïdes de la Zone après la découverte, par une équipe de prospecteurs, de monopôles épars dans le noyau nickel-fer d’un astéroïde. De la théorie, on passa donc à une industrie prospère pour la Zone. Un champ magnétique produit par des monopôles agit en rapport linéaire inverse plutôt qu’en carré inverse. Ce qui revient à dire que le rendement d’un moteur ou d’un instrument à base de monopôles est infiniment meilleur. D’autre part, les monopôles étaient précieux quand le poids était un facteur et, dans la Zone, le poids était toujours un facteur. Cependant la prospection minière était encore une affaire individuelle.