… Le vaisseau cosmique, finalement achevé, se dressant en trois éléments sur le sable non loin de la Bibliothèque. L’armée de Phssthpok se rassemblant. Nous avons besoin de monopôles, nous avons besoin de racines et de semences d’arbre de vie, nous avons besoin de quantités considérables de carburant hydrogène. Le statoréacteur ne fonctionnera pas au-dessous d’une certaine vitesse. Meteor Bay a tout ce qu’il nous faut. Nous n’avons qu’à nous en emparer ! Pour la première fois depuis vingt mille ans, les protecteurs sans enfants de Pak se groupaient pour la guerre…
Son propre virus Q2 utilisé sur les reproducteurs, avec des escouades de nettoyeurs pour la chasse aux survivants. Des protecteurs récemment sans enfants, changeant de camp, ralliant son armée. Hratchp survenant avec le secret étrange et complexe de la racine de l’arbre de vie…
Trois coups sourds retentirent sur la coque.
Un instant, il crut que c’était un souvenir. Il était tellement loin… Et puis il se leva et regarda fixement un point qui se trouvait à bonne hauteur sur la paroi incurvée de la coque. Sa cervelle embraya à toute vitesse.
Il avait su qu’il existait certain type de processus de photosynthèse non organique qui avait lieu sur la surface de la poussière. Alors son esprit extrapola : des courants dans la poussière, la photosynthèse se produisant sur le dessus, des courants descendants amenant de la nourriture à de plus importantes formes de vie. Il aurait dû y penser avant et vérifier. Il baissait beaucoup, Phssthpok. L’âge et une motivation affaiblie l’éteignaient trop tôt.
Trois nouveaux coups sourds, rythmés, se firent entendre presque sous ses pieds.
Il traversa la cale d’un saut, atterrit en souplesse et sans bruit. Il ramassa sa clé amollissante à tête plate. Il attendit.
Hypothèse : quelque chose d’intelligent sondait la cale du fret pour obtenir des échos. Taille : inconnue. Intelligence : inconnue. Évolution : sans doute inférieure en raison de l’environnement. En admettant que les Martiens eussent des yeux, ils devaient être aveugles sous cette poussière. La perception par l’ouïe pouvait compenser la cécité. Les échos provoqués par ce cognement les renseignaient peut-être sur ce qui se trouvait à l’intérieur. Et ensuite ?
Ils essaieraient de s’introduire. Les êtres intelligents étaient toujours curieux.
Le twing était solide et résistant, mais non invulnérable.
Phssthpok bondit tout droit vers le haut, passa par l’écoutille et déboucha dans la cabine de commande. Il avait horreur de quitter son prisonnier, mais il le fallait bien. Il referma la porte de la cale, vérifia qu’elle était hermétiquement close, puis revêtit rapidement son scaphandre.
Trois cognements cadencés, quelque part sous lui. Une pause.
Encore un, près de son bras droit. Phssthpok appliqua la clé amollissante au twing. Un coup sourd, et trente centimètres d’une baguette en verre grossier passèrent à travers le twing. Phssthpok tira vivement sur la baguette, avança un bras par la cloison et attrapa quelque chose de plus mou. Il l’attira à l’intérieur.
Ce quelque chose était bâti à peu près comme un Pak, mais en plus petit et plus épais. Il se cramponnait à une lance qu’il tenait à l’envers. Phssthpok le frappa brutalement à l’endroit où la tête s’attachait aux épaules. Quelque chose se brisa et le Martien devint mou. Phssthpok chercha sur son corps des régions tendres ; en un point du milieu, il n’y avait pas de protection osseuse. Phssthpok enfonça ses doigts dedans et poussa jusqu’à ce qu’il sentît céder quelque chose. Le Martien était probablement mort.
Il commença à dégager de la fumée.
Phssthpok regarda et attendit.
Quelque chose dans l’atmosphère de la capsule provoquait ce dégagement de fumée. Voilà qui semblait prometteur. La lance n’indiquait pas une haute civilisation. Et ils ne possédaient sans doute rien qui fût capable de pénétrer le twing. Il n’aima pas beaucoup le risque qu’il allait prendre, mais il n’avait pas le choix.
Il ouvrit son casque un moment et renifla. Il le referma vite. Mais il avait senti des produits chimiques qu’il connaissait bien…
Il prit quelques gouttes d’eau et en aspergea la jambe du Martien. Cela provoqua un éclair en boule. Phssthpok s’éloigna d’un bond. De l’autre côté de la cabine, il regarda brûler le Martien.
Cela lui parut assez clair.
Il se mit au travail pour monter un conduit de réservoir d’eau de la capsule à la coque. Il accomplit rapidement ses derniers gestes : il se servit de sa clé amollissante, fit passer le tuyau à travers la coque, retira la clé pour durcir le twing, puis fit couler l’eau. Des cognements frénétiques résonnèrent de partout sur la coque. Ils cessèrent subitement.
Il vida dans la poussière une bonne partie de sa réserve d’eau.
Il attendit plusieurs heures, jusqu’à ce que le bruit plaintif du système d’aération redevînt normal. Alors, il retira son scaphandre et rejoignit Brennan. Le prisonnier ne s’était aperçu de rien.
L’eau éloignerait les Martiens pendant quelque temps. Mais les réserves de Phssthpok se trouvaient réduites à leur plus simple expression. Il avait abandonné son astronef, le système de propulsion qui lui restait était inutilisable, son environnement était bordé par une coquille sphérique de poussière. Et à présent il n’avait presque plus d’eau. Visiblement, l’histoire de sa vie approchait de son épilogue.
Il se remit à rêver.
Le Bœuf Bleu avait contourné le soleil et se trouvait maintenant sur l’autre côté du système ; il se dirigeait vers l’espace interstellaire. Entre le Bœuf et l’U Thant, il y avait un écart de trente minutes pour les communications. Sohl et Garner attendaient, en sachant que n’importe quelle information aurait une demi-heure de retard.
Mars était aux trois quarts plein et d’une taille impressionnante dans leur caméra arrière.
Ils avaient posé toutes les questions, hasardé des conjectures après les réponses, dressé la carte du quadrillage de leurs recherches dans la région de Solis Lacus. Luke se morfondait.
Il regrettait les commodités aménagées dans son fauteuil de voyage. Il croyait que Nick s’ennuyait aussi, mais il se trompait : dans l’espace, Nick gardait habituellement le silence.
L’écran s’alluma : un visage de femme. La radio s’éclaircit la gorge et parla.
« U Thant, ici Tina Jordan à bord du Bœuf Bleu. » Luke eut l’impression que cette femme était au bord de la panique. Tina lâcha tout à trac : « Nous avons des ennuis. Nous procédions à des tests sur cette racine étrangère au labo, et Einar a mordu dedans ! Elle ressemblait à de l’amiante à la suite de son exposition au vide, mais il en a mâchonné un morceau et l’a avalé avant que nous ayons pu l’en empêcher. Je ne comprends pas pourquoi il l’a fait. Elle avait une odeur infecte !