— Vous m’aviez dit que vous étiez pressé.
— Je l’étais. Luke, je réclame un silence admiratif pour les prochaines minutes.
— Ah ! Ah ! AH ! »
La planète rouge s’offrait à eux, se dépliait comme le poing d’un dieu de la guerre. La gouaille de Nick s’envola. Sa physionomie se crispa. Il n’avait pas été tout à fait franc avec Luke. Il avait accompli plusieurs centaines d’approches propulseur allumé, c’était vrai ; mais sur des astéroïdes d’une pesanteur négligeable.
Diemos surgit dans la direction techniquement appelée « la trajectoire de décollage de l’astronef. » Nick tira doucement un levier vers lui. Mars s’aplatissait et, en même temps, s’enfuyait doucement pendant qu’ils se dirigeaient vers le nord.
« La base devrait être par ici, dit Luke. À la lisière nord de cet arc. Ah ! Ce petit cratère : c’est sûrement là.
— Utilisez le télescope.
— Hum… Zut !… Ah ! Le voici. Dégonflé, naturellement. Vous le voyez, Nick ?
— Oui. »
On aurait dit le lambeau abandonné d’un ballon bleu ciel d’enfant.
La poussière s’éleva en nuages tourbillonnants à la rencontre du jet de leur propulseur. Nick dévida un chapelet de jurons et augmenta la poussée. Maintenant, Luke était accoutumé à la variété des jurons de Nick. Quand il jurait par Finagle, c’était par humour ou par emphase ; s’il blasphémait d’une manière chrétienne, c’était sérieux.
U Thant ralentit et s’immobilisa. Il se trouva au-dessus de la poussière, puis dans la poussière ; peu à peu les nuages ocres s’éclairèrent et reculèrent. Une tempête de sable en forme d’anneau battit en retraite vers trois cent soixante degrés d’horizon. La couche rocheuse se trouvait exposée à découvert pour la première fois depuis des millénaires. Elle était bosselée, brune, érodée. À la lueur du jet, les roches arrondies brillaient toutes blanches, avec des ombres noires accentuées. Lorsque le jet les touchait, elles fondaient.
« Je vais être obligé de me poser dans le cratère, dit Nick. Cette poussière reviendra dès que j’aurai coupé le moteur. » Il dirigea son engin sur la gauche et stoppa le propulseur. Le fond s’éloigna. Ils descendirent.
Ils exécutèrent cette descente à l’aide des jets orientables, et en prenant contact, ils ne rebondirent même pas. « Magnifique, commenta Luc.
— C’est comme ça chaque fois. Je pars à la recherche de la base. Vous me suivrez sur la caméra du casque. »
Le mur en forme d’anneau s’élevait au-dessus de lui avec ses roches usées, arrondies, d’aspect volcanique. La poussière dégouttait du bord, coulant sur la pente comme de la mélasse pour se réunir en flaques autour des amortisseurs de l’astronef. Le cratère mesurait huit cents mètres de diamètre. À peu près au centre, le dôme s’élevait au milieu d’une mer de poussière qui le léchait.
En regardant autour de lui, Nick fronça les sourcils. Pour arriver au dôme, il n’y avait pas d’autre moyen que de traverser cette poussière, et elle pouvait être plus profonde qu’elle ne le paraissait. Le cratère était ancien ; il avait l’air à peine plus jeune que la planète elle-même. Mais il était sillonné de fissures moins vieilles. Quelques rebords étaient presque aigus. L’air et la poussière n’étaient pas assez denses pour que l’érosion soit rapide. La marche serait difficile.
Il commença sa promenade avec prudence. La poussière dissimulait des crevasses.
Un petit soleil ardent était suspendu dans un ciel violet foncé au-dessus de la bordure du cratère.
De l’autre côté du dôme, un étroit sentier de poussière fondue au laser le reliait au mur en anneau. Il avait dû être tracé par le com-laser de la base. Les canots étaient là, amarrés le long du sentier. Nick ne s’arrêta pas pour les examiner.
La matière du dôme avait été fendue en des douzaines d’endroits. À l’intérieur, Nick trouva douze corps desséchés. Un siècle plus tôt, les Martiens avaient assassiné le personnel de la base. Et ils avaient tué Muller de la même manière quand il avait regonflé le dôme.
Nick se mit à fouiller les petits bâtiments de la base. Il dut parfois ramper sous les plis transparents de la coupole. En tout cas il ne rencontra aucun Intrus. Depuis le séjour forcé de Muller, rien ne semblait avoir été touché.
« Chou blanc, annonça-t-il à Luke. Et maintenant ?
— Vous serez obligé de me porter sur votre dos jusqu’à ce que nous puissions trouver un canot à sable. »
La poussière s’était posée sur les canots. Ils attendaient depuis douze ans une autre vague d’explorateurs ; mais les explorateurs ne s’intéressaient plus à la planète et étaient rentrés chez eux.
On aurait dit des fantômes. Un pharaon d’Égypte pourrait trouver de ces fantômes qui l’attendaient dans l’autre monde : des rangées de serviteurs muets et fidèles, morts avant lui, et l’attendant, l’attendant…
« Vus d’ici, ils paraissent en bon état, dit Luke en s’installant plus confortablement sur les épaules de Nick. Nous sommes en veine, Sinbad.
— Ne comptez pas encore votre argent. » Nick partit à travers le bassin de poussière en direction du dôme. Luke ne pesait pas lourd sur ses épaules, et son propre corps, ici, était léger ; mais leur poids était mal réparti, trop lourd en haut. « Si je commence à tomber, j’essaierai de tomber de côté. Cette poussière ne nous fera pas de mal.
— Ne tombez pas.
— La flotte des Nations Unies viendra probablement ici elle aussi. Afin de récupérer les canots.
— Elle est à je ne sais combien de jours derrière nous. Avançons.
— Le sentier est glissant. Tout recouvert de poussière. »
Les canots, au nombre de trois, étaient alignés le long du côté ouest. Ils avaient chacun quatre sièges et deux hélices à l’arrière, sous la surface du sable, encagées pour ne pas être endommagées par des rochers cachés. Les canots étaient si plats que la moindre vaguelette en mer les aurait coulés, mais dans la poussière épaisse ils pouvaient naviguer à hauteur suffisante.
Nick, sans grande douceur, déposa son fardeau sur l’un des sièges. « Voyez s’il est en état de marche, Luke. Moi, je vais chercher du carburant dans le dôme.
— De l’hydrazine, avec de l’air martien comprimé comme comburant.
— Je prendrai n’importe quoi, du moment que ce sera étiqueté “Fuel“. »
Luke réussit à faire démarrer le compresseur, mais le moteur refusa de tourner. Luke pensa que les réservoirs avaient sans doute été vidés et il coupa tout. Il trouva un dôme dégonflé à l’arrière. Après s’être assuré qu’il fonctionnait à la main, il le mit en place et le fixa au canot, se maintenant en place avec une ceinture de sécurité pour avoir de la force. Ses longs bras et ses mains puissantes lui avaient toujours permis de remporter des matches de lutte. Les bords de la bulle ne seraient peut-être pas très étanches, mais tant pis. Il découvrit le panneau de visite qui cachait un convertisseur d’air pour transformer les bioxydes d’azote de l’extérieur en azote et oxygène respirables.
Nick revint en portant sur l’épaule un réservoir vert. Il fit le plein à l’aide d’un tube d’injection. Luke essaya de nouveau le starter qui, cette fois, marcha. Le canot tenta de décoller sans Nick. Luke trouva le point mort, puis la marche arrière. Nick attendit, tandis qu’il roulait.
« Comment est-ce que je passe à travers la bulle ?