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— Je crains que vous ne vous mépreniez, dit le monstre. Je suis désolé de gâcher votre journée, mais je m’appelle Jack Brennan, et je suis un Zonier. N’êtes-vous pas Nick Sohl ?

Chapitre III

Le silence horrifié vola en éclats sous un fou rire de Luke. « Pensez-y comme à un extra-terrestre et vous serez prêt à accepter qu’il agisse bizarrement… ha-hahaha… »

Nick sentit la panique lui nouer la gorge. « Vous… Vous êtes Brennan ?

— Oui. Et vous, Nick Sohl. Je vous ai déjà vu une fois. Sur l’astéroïde de Détention. Mais je ne reconnais pas votre ami.

— Lucas Garner. » Luke avait retrouvé son sang-froid. « Vos photos ne sont pas très ressemblantes, Brennan.

— J’ai fait une chose idiote », dit le monstre-Brennan. Sa voix n’était pas davantage humaine, son aspect pas moins intimidant. « Je suis allé à la rencontre de l’intrus. C’est bien ce que vous tentiez de faire vous aussi, n’est-ce pas ?

— Oui. » Une sorte de gaieté sardonique perçait dans les yeux et la voix de Luke. Qu’il crût ou non le monstre-Brennan, la situation l’amusait beaucoup. « S’agissait-il vraiment d’un Intrus, Brennan ?

— Sauf si vous cherchez à ergoter sur les définitions, oui. »

Sohl intervint. « Pour l’amour du Ciel, Brennan ! Que vous est-il arrivé ?

— C’est une longue histoire. Sommes-nous pressés par le temps ? Sûrement pas, puisque vous n’avez pas allumé le moteur. Bon. Je vais tout vous raconter à ma manière. Je vous prie donc d’observer un silence respectueux et de vous rappeler que, si je ne m’étais mêlé de rien, vous me ressembleriez à présent et vous ne l’auriez pas volé. » Il fixa les deux hommes d’un regard sévère. « Non. Je me trompe. Vous ne m’auriez pas ressemblé. Vous avez l’un et l’autre passé l’âge.

» Écoutez-moi bien. Il existe une race de bipèdes qui vit sur la lisière du globe de soleils entassés dans le noyau galactique.

» Le plus important à leur sujet, c’est que leur existence passe par trois phases de maturité. Il y a l’enfance, qui s’explique de soi-même. Il y a la phase reproducteur, celle où le bipède n’a pas besoin d’être très intelligent puisque sa destination est de procréer toujours plus d’enfants. Et il y a le protecteur.

» Vers l’âge de quarante-deux ans, le reproducteur éprouve le besoin impérieux de manger la racine d’une certaine plante Jusque-là, il n’y avait pas touché parce que l’odeur de cette plante, un arbrisseau, lui répugnait. Soudain, voici que l’odeur lui paraît délicieuse. La plante pousse sur toute la planète ; ses racines sont donc accessibles à tous les reproducteurs qui vivent suffisamment longtemps pour en avoir envie.

» La racine provoque certains changements, à la fois physiologiques et affectifs. Avant d’entrer dans les détails, je vais vous confier un grand secret… La race dont je vous parle s’appelle… » Le monstre-Brennan fit claquer son bec corné. « Pak. Mais nous la nommons Homo habilis.

— Pardon ? » Nick se sentit obligé de se redresser, et c’était une position qu’il n’aimait pas. Mais Luke resta assis en étreignant ses jambes inutilisables contre sa poitrine, et son large sourire montrait un vaste amusement.

« Une expédition débarqua sur la Terre il y a quelque deux millions et demi d’années. La plante qu’elle avait apportée ne s’acclimata pas, et il n’y eut donc pas de protecteurs Pak sur la Terre. J’y reviendrai.

» Lorsqu’un reproducteur mange la racine, des changements se produisent. Ses gonades et ses caractéristiques sexuelles disparaissent. Son crâne s’amollit et son cerveau commence à se développer jusqu’à ce qu’il soit nettement plus gros et plus complexe que le vôtre, Messieurs. Alors le crâne se durcit et une crête osseuse apparaît. Les dents, s’il en reste, tombent ; les gencives et les lèvres se rapprochent pour former un bec dur, presque plat. Ma figure est trop aplatie ; cela marche mieux avec Homo habilis. Tous les cheveux et poils disparaissent, quelques articulations enflent énormément, afin l’offrir aux muscles davantage d’appui. La peau se racornit, se ride pour devenir une sorte de cuirasse. Les ongles se transforment en griffes rétractiles, si bien que les extrémités des doigts d’un protecteur sont réellement plus sensibles qu’auparavant et fabriquent mieux les outils. Un cœur simple à deux cavités se forme à l’endroit où les deux veines provenant des jambes – comment diable, s’appelaient-elles déjà ? – se rejoignent pour approcher du cœur. Vous voyez comme ma peau est plus épaisse, là ? Eh bien, il y a des changements moins spectaculaires, mais tous contribuent à faire du protecteur une machine de combat aussi puissante qu’intelligente. Garner, vous n’avez plus l’air de vous amuser tellement.

— Tout cela me paraît affreusement familier.

— Je me demandais si vous vous rendriez compte… Les modifications affectives sont incroyables. Un protecteur qui a procréé ne ressent d’autre nécessité impérieuse que de protéger ses descendants. Il les reconnaît à l’odeur. Son intelligence accrue ne lui sert à rien, parce que ses hormones gouvernent ses mobiles. Nick, vous est-il venu à l’idée que tous ces changements sont une caricature exagérée de ce qui arrive aux hommes et aux femmes quand ils vieillissent ? Garner l’a vu tout de suite.

— Oui, mais…

— Le cœur supplémentaire, interrompit Luke. Donnez-moi des détails.

— Comme le cerveau agrandi, il ne se forme pas sans l’arbre de vie. Passé cinquante ans, sans les soins médicaux modernes, un cœur humain normal devient insuffisant. Et il finit par s’arrêter de battre.

— Ah !

— Vous ai-je convaincus tous deux ? »

Luke réserva son jugement. « Pourquoi cette question ?

— En vérité, je voudrais surtout convaincre Nick. Mon droit de cité dans la Zone dépend de votre conviction que je suis bel et bien Brennan. Sans parler de mon compte en banque, de mon astronef et de mon fret. Nick, j’avais attaché à mon vaisseau un réservoir de carburant abandonne par Mariner XX ; lorsque j’ai quitté mon vaisseau, il tombait à travers le système solaire à grande vitesse.

— Il continue, dit Nick. Comme le vaisseau de l’intrus. Nous devrions nous occuper de sa récupération.

— Par les yeux de Finagle, oui ! Ce n’est pas un très bon modèle, je pourrais l’améliorer les yeux bandés, mais vous pourriez acheter Cérès avec les monopôles !

— Chaque chose en son temps, dit doucement Garner.

— Ce vaisseau s’éloigne, Garner. Oh ! Je comprends ! Vous avez peur de mettre un monstre étranger à côté d’un astronef en état de marche. » Le monstre-Brennan se retourna brusquement vers le pistolet signaleur, puis sembla renoncer à l’idée de s’emparer du canot-glisseur. « Nous resterons ici jusqu’à ce que vous soyez convaincus. Est-ce un marché ? Pourriez-vous conclure n’importe où une meilleure affaire ?

— Pas avec un Zonier. Brennan, il y a quantité de preuves que l’homme est apparenté aux autres primates de la Terre.

— Je n’en doute pas. J’ai glané là-dessus quelques théories.

— Parlez.

— Revenons à cette colonie perdue. Un gros vaisseau arriva ici, et quatre engins de débarquement descendirent avec une trentaine de protecteurs et beaucoup plus de reproducteurs. Un an plus tard, les protecteurs apprirent qu’ils n’avaient pas choisi la bonne planète. L’arbrisseau dont ils avaient besoin poussait de travers. Par laser, ils expédièrent un message, un appel au secours, puis ils moururent. Périr d’inanition est une fin normale pour un protecteur, mais c’est d’ordinaire une mort volontaire. Ceux-là sont morts de faim contre leur volonté. » Aucune émotion ne se manifesta dans la voix du monstre-Brennan ou sur le masque de son visage.