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Il joua un long moment avec l’appareil, puis le reposa. Sa décision était prise : il n’appellerait pas la police.

Pendant qu’il roulait bon train vers San Diego, Elroy Truesdale se débattait dans une sorte de piège.

Il avait perdu sa première femme – la seule jusqu’à présent – par ce qu’il avait horreur de dépenser de l’argent. Elle lui avait dit et répété que c’était un défaut dans son caractère. Que personne d’autre n’en était affligé. Dans un monde où nul ne mourait de faim, un style de vie était plus important qu’une solvabilité garantie.

Il n’avait pas toujours eu ce défaut.

À sa naissance, Truesdale avait reçu un capital destiné à lui assurer, jusqu’à la fin de ses jours, une existence confortable, sinon riche. Seulement il avait voulu davantage et, à vingt-cinq ans, il persuada son père de lui verser la totalité de ce capital dans le but de procéder à quelques investissements.

À première vue, il aurait pu être riche. Mais il fut victime d’une escroquerie compliquée. Quelque part sur la Terre ou dans la Zone, un homme qui s’appelait ou ne s’appelait pas Lawrence Saint John McGee vivait dans le luxe. Il n’était pas possible qu’il eût tout dépensé, même avec son train de vie.

La réaction de Truesdale avait peut-être été excessive. Mais il n’avait pas de talents réels ; il ne pouvait pas compter sur lui-même pour avoir une sécurité. Il le savait maintenant. Il était vendeur dans un magasin de chaussures. Auparavant, il avait travaillé dans une station-service à changer les batteries sur des voitures de passage ou à vérifier des moteurs et des ventilateurs. Il était un homme ordinaire. Il se maintenait en forme physique pour faire comme tout le monde : des muscles gras et relâchés étaient considérés comme un indice de négligence personnelle. Il avait renoncé à sa barbe, pourtant jolie et bien fournie, quand Lawrence Saint John McGee avait disparu avec sa fortune. Un ouvrier n’avait pas le temps d’entretenir une belle barbe. Deux mille dollars par an pour vivre. Il ne pouvait pas refuser de l’argent.

Il se trouvait donc dans un piège dont les murs étaient les défauts de son caractère. Maudit Vandervecken ! Et il avait dû coopérer, se vendre. C’était bien sa propre voix qu’il avait entendue sur la bande du message.

Attention ! Peut-être n’y avait-il pas d’argent… Rien qu’une promesse sans valeur pour croire en « Vandervecken » quelques heures de plus et envoyer Truesdale à plusieurs centaines de kilomètres vers le sud.

Truesdale appela son appartement. Quatre mois d’appels l’attendaient, enregistrés dans son téléphone. Il manipula l’appareil pour avoir Barrett, Hubbard and Wu, et il espéra que le processus du tri ne serait pas trop long.

Le message y était. Il l’écouta attentivement. Et il entendit la confirmation de ses prévisions.

Il appela le Bureau de contrôle des Affaires.

Oui, le Bureau connaissait Barrett, Hubbard and Wu. C’était une société de bonne réputation, pour ce qui le concernait, spécialisée dans le droit civil. Truesdale obtint son numéro aux Renseignements.

Barrett était une femme entre deux âges, élégante, avec des manières brusques mais capable. Elle se montra peu désireuse de lui dire beaucoup de choses, même après qu’il eut décliné son identité.

« Tout ce que je désire savoir, lui dit-il, c’est si votre société est sûre de ses ressources. Ce Vandervecken m’a promis cinq cents marks par trimestre. S’il ne les verse pas, je ne toucherai rien, n’est-ce pas ? Même si j’observe loyalement les clauses de la convention.

— Ce n’est pas exact, Mr. Truesdale, répondit-elle d’une voix sévère. Mr. Vandervecken vous a acheté une rente. Si vous ne respectez pas les clauses de votre convention, la rente ira… voyons un peu… aux Études pour la réinsertion des délinquants dans la société, pendant le reste de votre vie.

— Oh ! Et les conditions sont que je ne dois pas essayer de découvrir qui est Mr. Vandervecken.

— En gros, oui. Tout est d’ailleurs précisé dans un message qui…

— J’ai ce message. »

Il raccrocha. Et il réfléchit. Deux mille dollars par an jusqu’à la fin de ses jours. À peine de quoi vivre ; mais un gentil supplément à son salaire. Déjà il avait pensé à une demi-douzaine de façons d’utiliser les premiers chèques. Il pourrait essayer de trouver un emploi diffèrent…

Deux mille dollars par an. Un prix exorbitant pour quatre mois d’épreuves. De toutes sortes d’épreuves. Qu’avait-il fait pendant ces quatre mois ?

Et comment Vandervecken avait-il su que ce serait assez ?

Je le lui ai probablement dit moi-même, pensa Truesdale avec amertume. Il s’était trahi. Du moins n’avait-il pas menti. Cinq cents dollars tous les trois mois, de quoi mettre un peu de luxe dans son existence… et il se poserait des questions jusqu’à sa mort. Mais il ne se présenterait pas à la police.

Jamais il ne s’était trouvé aux prises avec tant d’émotions contradictoires.

Il commença à écouter les autres messages enregistrés sur son téléphone.

« Mais vous vous êtes décidé, dit le lieutenant de l’A.R.M. Vous êtes ici. » C’était un homme bien bâti à mâchoire carrée, qui avait des yeux incrédules. Si vous plongiez votre regard dans ces yeux-là, vous vous mettiez à douter, vous aussi, de tout ce que vous veniez de lui dire.

Truesdale haussa les épaules.

« Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

— L’argent, encore une fois. Je prenais connaissance des messages téléphonés. Et il y avait un autre message d’un cabinet d’avocats différent. Connaissez-vous de nom Mrs. Jacob Randall ?

— Non. Une minute. Estelle Randall ? Présidente du Struldbrugs Club jusqu’à… euh…

— Elle était mon arrière-arrière-arrière-grand-mère.

— Et elle est décédée le mois dernier. Mes condoléances.

— Je vous remercie. Je, je… Écoutez, je ne voyais pas très souvent grand’Estelle. Deux fois par an, peut-être. Une fois à sa réception d’anniversaire, une fois à un baptême ou à une fête quelconque. Je m’en souviens : nous avons déjeuné ensemble quelques jours après que j’eus découvert que j’avais perdu tout mon argent. Elle était furieuse. Oh, là ! là ! Elle m’a proposé de me renflouer, mais je n’ai pas voulu.

— Par orgueil ? Votre mésaventure aurait pu arriver à n’importe qui. Lawrence Saint John McGee pratique un métier aussi ancien que bien rodé.

— Je sais.

— Elle était la doyenne des femmes de ce monde.

— Je sais. » La présidence du Struldburgs Club était dévolue au plus vieux membre vivant. C’était un titre honorifique ; le vice-président s’acquittait habituellement de toutes ses tâches. « Elle avait cent soixante-treize ans quand je suis né. En réalité, aucun d’entre nous ne s’attendait à ce qu’elle mourût un jour. C’est un peu bébête, je suppose ?

— Non. Combien de gens meurent à deux cent dix ans ?

— Alors j’ai écouté cette bande qui venait du cabinet Becket and Hollinsbrooke, et elle était morte ! Et j’héritais d’un demi-million de marks environ, sur une fortune qui devait être invraisemblable. Elle avait eu suffisamment de descendants pour s’emparer de n’importe quelle nation du monde. Ah ! Si vous aviez vu ses réceptions pour ses anniversaires !

— J’imagine. » Les yeux de l’A.R.M. Le scrutèrent profondément « Donc vous n’avez plus besoin, maintenant, de l’argent de Vandervecken. Deux mille dollars par an, tout juste une aumône, n’est-ce pas ?