— Naturellement. J’étais ici, il y a un mois et demi.
— N’est-ce pas stupéfiant ? Un farceur quelconque a posé ce double en une seule nuit. Le lendemain matin, il y avait deux Stonehenge. Impossible de les différencier l’un de l’autre sauf par l’emplacement : le faux se trouve à quelques centaines de mètres plus au nord. Et les mêmes initiales sont gravées sur le double.
— Je sais, dit Truesdale. Ce doit être la mystification la plus coûteuse qui ait jamais été montée.
— En réalité, nous ne savons plus quel Stonehenge est le vrai.
Supposez que le farceur ait déplacé les deux Stonehenge ? Il a été assez fort pour déplacer tous les rochers du double. Il a tout aussi bien pu déplacer les pierres du vrai Stonehenge et mettre le faux à sa place.
— Ne le dites à personne. »
Le lieutenant de l’A.R.M. éclata de rire.
« Avez-vous soutiré quelque chose d’intéressant à la Zone ? »
Robinson perdit son sourire. « Oui. Une demi-douzaine de cas connus d’enlèvement et d’amnésie, jamais résolus. Je continue à penser que nos recherches doivent s’orienter vers un struldbrug. »
Jamais résolus. Mauvais présage pour le cas Truesdale.
« Un vieux struldbrug, continuait le lieutenant. Quelqu’un qui était déjà assez vieux il y a cent vingt ans pour croire qu’il en savait suffisamment afin de résoudre les problèmes du genre humain. Ou peut-être pour écrire un livre définitif sur le progrès humain. Il aurait donc commencé à prélever des échantillons.
— Et il se livrerait à ce sport ?
— À moins qu’un petit-fils n’ait pris sa succession. » Robinson soupira. « Ne vous en faites pas. Nous l’aurons.
— Sûr ! Il n’y a que cent vingt ans que vous le recherchez.
— Ne dites pas de bêtises », protesta Robinson.
Il n’en fallut pas davantage.
Le centre d’activité de la police de la Zone était le centre du gouvernement : Cérès. Les services de police sur Pallas, Junon, Vesta et Astrée faisaient double emploi, dans un certain sens, mais ils étaient indispensables. Cinq astéroïdes couvraient la Grande Zone. Il arrivait qu’ils fussent tous en même temps sur le même côté du soleil ; mais pas souvent.
Vesta était le plus petit des cinq. Ses villes étaient situées sur la surface, sous quatre gros doubles dômes.
Trois fois dans l’histoire, une brèche avait été ouverte dans un dôme. Ce n’était pas un événement banal. Tous les bâtiments de Vesta étaient étanches à la pression. Plusieurs avaient des tubes-sas qui permettaient de sortir du dôme.
Alice Jordan entra dans le sas de la police de Waring City après une patrouille contre les contrebandiers. Il y avait deux salles, puis un couloir jalonné de scaphandres. Elle retira le sien et l’accrocha ; la poitrine s’ornait d’un dragon féminin fluorescent qui crachait des flammes.
Elle alla faire son rapport à sa supérieure, Vinnie Garcia. « Pas de chance ! »
Vinnie lui sourit. C’était une femme brune, élancée, aux doigts longs et fuselés : beaucoup plus le type Zone qu’Alice Jordan. « Vous avez eu de la chance sur la Terre.
— Par Finagle, vous plaisantez ! Vous avez bien lu mon compte rendu ? » Alice s’était rendue sur la Terre dans l’espoir de résoudre un problème social préoccupant. Une manie terrienne – la pratique qui consiste à faire passer un courant dans le centre du cerveau – s’était répandue dans la Zone. Malheureusement, la Terre n’avait pu lui offrir d’autre solution que d’attendre : dans trois cents ans, le problème se serait résolu tout seul. Mais Alice Jordan n’était guère satisfaite de la réponse…
« Je ne pensais pas à cela. Vous avez fait une conquête. » Vinnie marqua un temps d’arrêt. « Un Terrien vous attend dans votre bureau.
— Un Terrien ? » Elle n’avait partagé son lit qu’avec un homme sur la Terre, pour leur déception à tous deux. La pesanteur, et le manque d’habitude. Il s’était montré courtois, mais ils ne s’étaient plus revus.
Elle se leva. « Avez-vous besoin de moi pour autre chose ?
— Ma foi non. Amusez-vous bien », répondit Vinnie.
Il essaya de se mettre debout quand elle entra. Il cafouilla un peu dans la faible pesanteur, mais réussit à poser les pieds sur le plancher et à maintenir vertical le reste de son corps. « Hello ! Roy Truesdale », dit-il avant qu’elle eût retrouvé le nom.
« Soyez le bienvenu sur Vesta, dit-elle. Ainsi vous vous êtes décidé à venir. Toujours à la poursuite du kidnappeur ?
— Oui. »
Elle s’assit derrière son bureau. « Racontez-moi. Avez-vous achevé votre randonnée touristique ?
— Oui. À mon avis, les Montagnes Rocheuses ont droit au premier prix, et on y pénètre sans difficultés. Vous devriez les essayer. Elles ne sont pas un Parc national, mais rares sont les gens qui auraient envie d’y faire construire.
— Si jamais je retourne sur la Terre, j’irai.
— J’ai vu les autres Intrus… Je le sais, ce ne sont pas réellement des Intrus mais enfin ce sont des extra-terrestres. Si le véritable Intrus leur ressemble…
— Vous penseriez donc que Vandervecken est un être humain.
— Je voudrais bien le croire.
— Vous faites énormément d’efforts pour le retrouver. » Elle se laissa caresser par l’idée que Truesdale était venu poursuivre une certaine femme de la Zone. Idée flatteuse…
« La police ne me paraît aboutir nulle part, dit-il. Et il y a pire. J’ai l’impression qu’elle recherche Vandervecken ou quelqu’un dans son genre depuis cent vingt ans. Alors je suis devenu enragé, et je me suis inscrit pour un astronef à destination de Vesta. J’irai moi-même à la recherche de Vandervecken. Ç’a été une belle bagarre, vous savez. »
— Je n’en suis pas surprise. Trop de Terriens veulent voir les astéroïdes. Nous sommes obligés de les contingenter.
— J’ai dû attendre trois mois pour avoir une place. Et encore n’étais-je pas certain que je voulais partir. Après tout, je pouvais toujours annuler… Puis il est arrivé autre chose. » Truesdale serra les mâchoires sous l’effet d’une colère rétrospective.
« Lawrence Saint John McGee. Il y a dix ans, il m’a volé à peu près tout ce que je possédais. Un escroc.
— Ce sont des choses qui arrivent. Je suis désolée.
— On l’a arrêté. Il se faisait appeler Ellery Jones, de Saint Louis. Il avait monté une affaire toute nouvelle à Topeka, dans le Kansas, mais quelqu’un a relevé les numéros des marks et il a été arrêté. Il avait de nouvelles empreintes digitales, de nouvelles empreintes rétiniennes, un nouveau visage. Il a fallu le soumettre à une analyse par ondes télépathiques pour avoir la certitude que c’était lui. Je pourrai même récupérer une partie de mon argent.
— Eh bien, c’est merveilleux ! dit-elle en souriant.
— Vandervecken l’a payé. Acheté, si vous préférez.
— En êtes-vous sûr ? S’est-il servi de ce nom-là ?
— Non. Je le hais pour tous les maux de tête qu’il m’inflige ! Sans doute a-t-il pensé que je le poursuivais parce qu’il m’avait volé. Volé quatre mois de ma vie. Il m’a lancé un os, Lawrence Saint John McGee, afin que je cesse de me tracasser pour ces quatre mois qui me manquent.
— Et vous n’aimez pas que quelqu’un puisse anticiper à ce point vos réactions.
— Non. Je n’aime pas. « Il ne la regardait plus. Ses mains étaient crispées sur les accoudoirs de son fauteuil, et les muscles de ses bras se gonflaient, durcissaient. Certains Zoniers affectaient un air de dédain pour les muscles des Terriens…
Elle dit à mi-voix : « Vandervecken est peut-être trop fort pour nous. »