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Brennan…

… que peut-on dire de Brennan ? Il utilisera toujours au maximum son environnement pour arriver à ses fins. En connaissant son environnement, en connaissant ses motivations, on pourrait prédire exactement ses actes.

Mais sa tête. Que se passe-t-il dans sa tête ?

La carrière qu’il a choisie – la carrière qui l’a choisi pour l’œuvre de sa vie – se réalise en grande partie par l’attente. Il y a été préparé depuis longtemps. À présent, il attend et il observe. Parfois il ajoute des raffinements à ses préparatifs. Il a ses marottes. Le système solaire en est une.

Et parfois il prélève des échantillons. Autrement, il surveille les lueurs mouvantes des tuyères à fusion avec son excentrique télescope de remplacement. Il capte des fragments d’émissions de nouvelles et de variétés avec un matériel sophistiqué qui élimine les parasites. La Terre lui fournit la plupart de ces fragments. La Zone communique par lasers, qui ne sont pas dirigés sur Brennan.

La civilisation poursuit son petit bonhomme de chemin. Brennan surveille.

Dans une émission d’informations, il apprend la mort d’Estelle Randall.

Voilà qui soulève une possibilité intéressante. Brennan commence à guetter une lueur d’une tuyère à fusion qui se dirigerait vers Perséphone.

Roy ne fut pas très sûr de ce qui l’avait réveillé. Il était allongé dans le hamac ; il ne bougea pas ; il sentait vivre le vaisseau spatial autour de lui.

La vibration du propulseur était une sensation de toucher plutôt qu’un son. Après deux jours de voyage, il ne pouvait plus l’entendre qu’en se concentrant. La sensation n’avait pas changé, se dit-il.

Alice se trouvait à côté de lui dans l’autre hamac. Elle avait les yeux ouverts, et une petite moue déformait sa bouche.

Du coup, il eut peur. « Qu’y a-t-il ?

— Je ne sais pas. Hop ! Combinaison ! »

Il fit la grimace. Hop ! Combinaison… Elle l’avait obligé à entrer dans cette maudite combinaison de secours et à en sortir pendant six heures le premier jour. C’était un sac de plastique transparent à formes humaines et à fermeture à glissière du menton aux genoux, bifurquant à la fourche. On pouvait s’en vêtir en un instant, et il fallait un autre instant pour fixer l’épais tuyau air-et-eau au système de survie du vaisseau ; mais il avait coincé deux fois la glissière, et il s’était fait rabrouer vertement dans un langage que l’on n’attend pas, quelles que soient les circonstances, d’une femme avec qui on a fait l’amour. « À partir de maintenant, tu ne porteras rien d’autre qu’une coquille, avait-elle commandé. Et tu la porteras tout le temps. Rien ne doit se coincer dans cette fermeture à glissière. » Pendant les deux heures précédentes, elle lui avait lancé de derrière la combinaison en boule chiffonnée qu’il devait défroisser et enfiler en dix secondes. Elle se déclara satisfaite quand il y parvint avec un bandeau sur les yeux.

« C’est ton premier geste, lui avait-elle dit. Toujours. À la moindre alerte, saute dans cette combinaison. »

Il l’attrapa sans la regarder, y glissa les pieds, les mains et la tête, la ferma et la brancha à la paroi. Un autre instant pour extraire de son recoin, son système autonome de survie, le passer sur ses épaules, tirer la prise et la brancher. L’air emplit sa combinaison, insipide. Alice fut plus rapide : elle s’élança sur l’échelle.

Lorsqu’il franchit le panneau, elle était au siège de pilotage. « Pas mal, dit-elle sans se retourner.

— Que se passe-t-il ?

— Le propulseur fonctionne à la perfection. Nous sommes à un g exactement, toujours droit sur Perséphone.

— Okay. » Il se détendit, se dirigea en titubant légèrement vers l’autre siège.

Elle regarda autour d’elle. « Tu ne sens pas ?

— Sens pas quoi ?

— C’est peut-être moi. Je me sens… légère. »

Il se sentit soudain léger, lui aussi. « Mais nous enregistrons bien un g.

— Oui. »

Une intuition le fit sursauter. « Vérifie notre cap. »

Elle lui lança un coup d’œil bizarre, puis inclina la tête et se mit au travail.

Il ne pouvait pas l’aider. Il avait passé une partie du premier jour et tout le lendemain à se servir de bandes d’instruction. Il possédait maintenant de bonnes connaissances scolaires sur la façon de piloter et d’entretenir un vaisseau-cargo de la Zone. Mais Alice était initiée depuis longtemps aux instruments de bord. Il la laissa opérer.

Il sentit le changement dès qu’il se produisit : un léger poids supplémentaire s’installant sur ses épaules, un faible craquement dans l’armature de l’astronef. Il vit la peur dans les yeux d’Alice ; il ne dit rien.

Un peu plus tard, elle parla. « Nous ne nous dirigeons plus vers Perséphone.

— Ah ! » Une peur froide se glissa en lui.

« Comment le savais-tu ? demanda-t-elle.

— Je l’avais deviné. Mais c’est compréhensible. Brennan sait engendrer de la pesanteur ; nous l’avions supposé. Si nous étions dans un champ de forte attraction, il a pu se produire un effet de marée.

— Oh ! C’est sûrement cela. Il ne s’est pas enregistré dans le pilote automatique, bien entendu. Autrement dit, je vais être obligée de relever notre nouveau cap par triangulation. Il est certain que nous nous dirigeons loin de Perséphone.

— Que pouvons-nous y faire ?

— Rien. »

Il ne la crut pas. Ils avaient établi tout leur plan avec tant de détails. « Rien ? »

Elle se retourna sur son siège. « Rappelle-toi que nous devions atteindre à une vitesse de pointe de quatre-vingt mille kilomètres par seconde, puis voler à vitesse constante. Nous avons assez de carburant pour faire cela deux fois, l’une à l’aller, l’autre au retour.

— Bien sûr. » Deux cent cinquante-six heures en accélération, autant en décélération, une centaine d’heures en vol inertiel.

Et s’ils devaient utiliser un peu de carburant pour explorer, ils reviendraient à une vitesse de pointe inférieure. Il fallait qu’il s’en souvînt. Ils avaient envisagé des douzaines de possibilités. Ils avaient pris un vaisseau-cargo pour transporter du carburant supplémentaire, des lasers pour détacher la cale de fret vide si la situation se détériorait vraiment et s’ils devaient faire des économies de poids. De plus, les lasers pourraient leur servir d’armes.

Un planning si minutieux, et maintenant quoi ? Il l’avait senti et n’avait rien dit. Il le sentit maintenant, avant qu’elle eût fini de parler…

« Nous volons en ce moment à environ trente-cinq mille kilomètres par seconde. Je n’ai pas fait le calcul exact : cela demanderait des heures. Mais, dans ces conditions, nous avons presque assez de carburant pour nous amener à un arrêt complet.

— Là-bas dans la ceinture cométaire ?

— Là-bas, au fin fond de nulle part, tu vois ? »

… Ce qu’il sentait toujours, c’était qu’ils avaient commis une erreur monumentale en dressant des plans contre Brennan. Brennan se moquait éperdument de leurs plans.

Cette impression – cette certitude – ne l’empêcha pas de songer à d’autres projets. De vieilles histoires couraient… Des hommes avaient survécu à des situations critiques dans l’espace… Apollo XIII, le voyage de Jennison Quatre G, et Éric le Cyborg… « Nous pourrions nous propulser latéralement pour atteindre Perséphone, puis faire rapidement le tour de la planète en hyperbole. Cela du moins nous renverrait dans le système solaire.

— Nous aurions peut-être assez de carburant. Je vais faire une analyse d’orbite. En attendant… » Elle manipula les commandes.