« Tous ces protecteurs sans enfant sont à la recherche d’une mission dans la vie. Une industrie spatiale pour construire des astronefs destinés à un seul emploi. Quelque chose pouvait arriver à Phssthpok, n’est-ce pas ? Un accident. Ou que Phssthpok perdît la volonté de vivre, en route vers ici. »
Roy, alors, comprit : « Ils enverraient un autre vaisseau.
— Voilà. Même si celui-ci arrivait ici, Phssthpok pourrait utiliser des concours pour chercher un volume de trente années-lumière de rayon. Quiconque suivrait Phssthpok ne viserait pas Sol directement ; Phssthpok aurait déjà fouillé Sol lorsqu’il arriverait. Non, le vaisseau viserait à côté, à l’écart de la zone évidente des recherches de Phssthpok. J’ai calculé que cela me donnerait quelques années supplémentaires, dit Brennan. J’ai pensé qu’ils enverraient un autre vaisseau presque immédiatement. J’ai craint de ne pas être prêt.
— Pourquoi leur a-t-il fallu tant de temps ?
— Je l’ignore, répondit Brennan sur le ton de quelqu’un qui reconnaît sa culpabilité. Une capsule de fret plus lourde, peut-être. Des reproducteurs en animation suspendue, pour le cas où nous aurions péri jusqu’au dernier au cours de deux millions et demi d’années. »
Alice intervint. « Vous nous avez dit que vous aviez surveillé…
— Oui. Un soleil ne brûle pas du carburant tout à fait comme un statoréacteur Bussard. Il y a une constriction et énormément de chaleur, puis le gaz se dilate dans l’espace pendant qu’il est encore en fusion. Un statoréacteur Bussard expulsera quantité de produits chimiques curieux : de l’hydrogène et de l’hélium à haute énergie, des radicaux du lithium, quelques borates, et même un hydrure de lithium, qui est généralement un produit chimique impossible. En régime de décélération, ils sortent tous en un jet de haute énergie à une vitesse proche de celle de la lumière.
« Le vaisseau de Phssthpok fonctionnait de cette manière-là, et je n’escomptais pas qu’ils en changent la conception. Pas simplement parce que celle-ci avait fait ses preuves, mais parce qu’elle était la meilleure à leur disposition. Lorsque l’on est aussi intelligent qu’un Pak, il n’y a qu’une seule bonne réponse à un ensemble donné d’outils. Je me demande si, après le départ de Phssthpok, quelque chose n’a pas bousculé leur technologie. Quelque chose comme une guerre. » Il marqua un temps d’arrêt. « De toute façon, j’ai découvert de curieux produits chimiques dans le Sagittaire. On arrive. »
Roy demanda avec effroi : « Combien de vaisseaux ?
— Un seul, bien entendu. Je n’ai pas réellement trouvé l’image, mais ils ont dû faire partir le deuxième astronef dès qu’il a été construit. Pourquoi attendre ? Et, peut-être, un autre vaisseau derrière le deuxième, puis encore un autre après les trois premiers. Je les rechercherai d’ici, tant que j’aurai mon… télescope – entre guillemets.
— Et ensuite ?
— Ensuite, je détruirai autant de vaisseaux qu’il s’en présentera.
— Comme ça, tout simplement ?
— Je m’attendais à cette réaction, dit Brennan avec une certaine amertume. Réfléchissez. Si un Pak savait à quoi ressemblait l’espèce humaine, il essaierait de nous exterminer. Que suis-je censé faire ? Lui adresser un message, solliciter la paix ? À elle seule, cette information lui en apprendrait assez.
— Vous pourriez essayer de le convaincre que vous êtes Phssthpok.
— Sans doute. Et après ? Il cesserait de manger, bien sûr. Mais d’abord il voudrait livrer son vaisseau. Il ne croirait jamais que nous avons déjà fait avancer la technologie au point de fabriquer des monopôles artificiels, que son astronef est le deuxième de ce genre dans ce système, et que nous pourrions avoir besoin aussi d’oxyde de thallium.
— Hum !
— Hum ! » Brennan la contrefit. « Croyez-vous que je sois particulièrement ravi à l’idée d’assassiner quelqu’un qui est venu de trente et un mille années-lumière pour nous sauver de nous-mêmes ? J’ai longtemps réfléchi à cela. Il n’existe pas d’autre solution. Mais que cette perspective ne vous arrête pas ! » Brennan se leva. « Méditez là-dessus. Et tout en méditant, vous pourriez aussi explorer Kobold. En fin de compte, vous en serez les propriétaires. Toutes les choses dangereuses sont derrière des portes. Jouez aux boules ou au golf si vous en avez envie, nagez là où vous trouverez de l’eau. Mais ne mangez rien et n’ouvrez aucune porte. Roy, racontez-lui la légende de Barbe-Bleue. » Brennan désigna une petite colline. « Par ici, en traversant le jardin, vous arriverez à mon laboratoire. J’y serai quand vous aurez besoin de moi. Prenez votre temps. » Et il s’éloigna, non point nonchalamment, mais au pas de course.
Ils se regardèrent.
« Crois-tu qu’il parlait sérieusement ? demanda Alice.
— Cela me plairait assez, dit Roy. Une pesanteur créée artificiellement. Et ce petit monde. Kobold. Avec des générateurs de pesanteur, nous pourrions le déplacer, l’amener dans le système solaire, peut-être, et en faire un Disneyland.
— Qu’a-t-il voulu dire avec… Barbe-Bleue ?
— Il voulait dire : « Surtout n’ouvrez aucune porte. »
— Oh ! »
Puisqu’ils pouvaient marcher dans toutes les directions, ils choisirent de suivre Brennan vers la colline. Mais ils ne l’aperçurent pas. L’horizon de Kobold était nettement incurvé, comme celui de tous les petits astéroïdes.
Mais ils trouvèrent le jardin, où il y avait des arbres porteurs de fruits et de noix de toutes sortes, des planches de légumes à tous les stades de croissance. Roy arracha une carotte, ce qui lui rappela un souvenir : avec quelques cousines qui avaient comme lui une dizaine d’années, il avait arraché des carottes dans le petit potager de grand’Estelle, et ils les avaient lavées sous un robinet…
Il lâcha la carotte sans la goûter. Ils se promenèrent sous des orangers sans toucher aux fruits. Dans un monde féerique, on se garde bien d’ignorer les ordres du magicien local… et Roy n’était pas très sûr que Brennan comprît la puissance de la tentation de désobéir.
Un écureuil disparut dans un arbre quand ils s’en rapprochèrent. Derrière une rangée de betteraves, un lapin les regarda sans broncher.
« Cela me rappelle l’astéroïde Détention, dit Alice.
— Et à moi la Californie, murmura Roy. La pesanteur exceptée. Je me demande si je suis déjà venu ici. »
Elle lui lança un regard vif. « Te souviens-tu de quelque chose ?
— De rien du tout. Tout m’est inconnu. Brennan n’a fait aucune allusion aux enlèvements, n’est-ce pas ?
— Non. Il pense peut-être… qu’il n’a pas à le faire. Que nous avons dû tout comprendre, puisque nous sommes ici. Si Brennan raisonne en logique pure, il a enterré les vieilles choses comme si nous en avions déjà parlé à fond. »
Au bout du jardin se dressait la tour d’un château médiéval. Le laboratoire de Brennan, sans doute. Ils le regardèrent de loin, puis s’éloignèrent.
Le sol devint aussi désertique qu’une étendue de chaparral californien. Ils virent un renard, des écureuils terrestres, et même un chat sauvage. Ils auraient pu se croire dans un Parc national, s’il n’y avait pas eu cette courbure de l’horizon.
Sur la courbe intérieure de l’anneau, ils se trouvèrent sous la sphère gazonnée, et levèrent les yeux vers leur astronef. Le grand arbre les narguait avec ses branches. « Je pourrais presque les atteindre, dit Roy. Et en descendre.
— N’importe ! Regarde… « Elle montrait la courbure de l’anneau.
Ce qu’elle désignait était un torrent, et une cascade qui remontait du milieu du cours d’eau et retombait vers la sphère gazonnée.