Petit rire de Brennan. « Il faut bien que j’entretienne votre intérêt d’une manière ou d’une autre, n’est-ce pas ?
— Quel est votre plan ? Une orbite rapprochée autour d’un trou noir ?
— Mes compliments. Vous avez bien deviné. J’ai découvert une étoile à neutrons sans rotation… enfin, presque sans rotation. Je n’oserais pas piquer dans l’enveloppe gazeuse rayonnante qui entoure un pulsar, mais cette étoile semble avoir une longue période de rotation et pas d’enveloppe gazeuse. Et elle est non lumineuse. Elle doit être vieille. Les éclaireurs auront du mal à la trouver, et je peux prévoir une hyperbole à travers le champ de pesanteur qui nous conduira directement sur Home. »
Brennan avait beau paraître insouciant, Roy flairait le danger. Et les vaisseaux de reconnaissance Pak continuaient de se rapprocher. Quatre mois plus tard, la première paire fut visible à l’œil nu : un point vert-bleu tout seul dans un ciel noir.
Ils le regardèrent grossir. La flamme des deux jets dessina des lignes tremblées sur les instruments de Brennan. « Pas trop mal, commenta Brennan. Bien entendu, vous seriez mort si vous alliez vous promener au-dehors un moment.
— Oui.
— Je me demande s’il est assez près pour essayer mon truc de pesanteur. »
Brennan manipula son tableau de bord. Roy le regarda sans comprendre, car Brennan ne lui avait jamais montré à se servir de cette arme particulière. Elle était trop délicate, trop affaire d’intuition. Mais quarante-huit heures plus tard, la lueur vert-bleu avait disparu.
« Je l’ai eu, déclara Brennan avec une satisfaction évidente. En tout cas, j’ai eu le vaisseau arrière. Il est sans doute tombé dans son propre trou noir.
— Est-ce cela que réalise votre truc ? Contracter le générateur de pesanteur de quelqu’un d’autre en une hypermasse ?
— C’est ce qu’il est censé faire. Mais voyons un peu… » Il se tourna vers le spectroscope. « Bien. Des raies d’hélium seulement. Le vaisseau arrière ayant disparu, le vaisseau de tête arrive à un g. Il me dépassera plus tôt qu’il ne s’y attendait. Il a le choix entre deux solutions seulement : la fuite ou la compression. Je pense qu’il essaiera de comprimer – pour ainsi dire.
— Il essaiera de jeter en travers de nous son champ de compression. Cela nous tuerait, n’est-ce pas ?
— Oui. Lui aussi. Ma foi… » Brennan largua quelques missiles, puis amorça un virage.
Le surlendemain, le vaisseau de tête avait disparu. Brennan remit Protecteur dans la bonne direction. Tout cela ressemblait fort aux exercices de tir simulé de Brennan, à ce détail près que ce fut encore plus long.
La passe d’armes suivante fut différente.
Six mois s’écoulèrent avant que les autres Pak se rapprochent ; mais un jour ils furent visibles à l’œil nu : deux points d’un jaune sans éclat dans le noir du ciel à l’arrière. Ils avaient ralenti, et leur vitesse n’était guère supérieure à celle de Protecteur.
Après une séparation initiale de huit mois-lumière, les paires de vaisseaux de reconnaissance avaient convergé au cours des années, et elles se trouvaient presque côte à côte, à trente heures-lumière de Protecteur.
« Le moment est venu d’essayer de nouveau le truc de pesanteur », dit Brennan.
Pendant que Brennan s’affairait aux commandes, Roy leva son regard vers deux yeux jaunes qui luisaient au-delà de l’ombre noire du compartiment-moteur. Dans son esprit, il savait qu’il ne verrait rien avant deux jours et demi…
Or, il se trompait. La flamme vint du dessous, éclaira l’intérieur de la sphère du système de survie. Instantanément, Brennan réagit, enfonça une touche d’un index rigide…
Pendant quelques instants, Brennan, tendu comme un fil d’acier, observa les cadrans. Puis il se ressaisit. « Réflexes toujours en bon état, commenta-t-il.
— Que s’est-il passé ?
« Ils l’ont fait. Ils ont construit un appareil de pesanteur semblable au mien. Le mien s’est contracté en une hypermasse, et l’hypermasse a commencé à remonter le câble. Si je n’avais pas fait sauter à temps le câble, elle aurait absorbé la capsule des armes. L’énergie libérée nous aurait tués. » Brennan ouvrit le panneau du clavier et se mit en demeure de fermer les éléments de commande pour parer à toute nécessité à venir. « Maintenant, il faut que nous les vainquions dans la course à l’étoile à neutrons. S’ils maintiennent leur décélération, nous réussirons.
— D’ici là, comment nous bombarderont-ils vraisemblablement ?
— Avec des lasers, pour sûr ! De toute façon, ils ont besoin de lasers lourds pour communiquer avec le gros des flottes. Je vais rendre opaque le twing. » Quand il l’eut fait, ils se trouvèrent enfermés à l’intérieur d’une coquille grisâtre, les éclaireurs n’étant visibles que sur l’écran du télescope. « Autre chose : nous sommes tous en mauvaise position pour lancer des bombes. Nous sommes tous en décélération. Mes missiles seraient comme s’ils gravissaient une montagne : ils ne pourraient pas les atteindre à cette distance. Ils peuvent me toucher, mais leurs bombes prendront la mauvaise direction. Elles passeront à travers le champ de compression de derrière.
— Parfait.
— Oui. Sauf s’ils sont suffisamment précis pour frapper le vaisseau lui-même. Ma foi, nous verrons bien.
Les lasers arrivèrent en deux faisceaux de lumière verte ardente, et Protecteur fut aveuglé à l’arrière. Une partie de son revêtement s’évapora littéralement. Le sous-revêtement était une surface réfléchissante.
« Cela ne nous fera pas grand mal tant qu’ils ne se rapprocheront pas beaucoup plus », dit Brennan. Mais les missiles l’inquiétaient. Il commença à se livrer à des esquives au hasard, et la vie devint fort peu confortable quand Brennan joua avec l’accélération de Protecteur.
Un groupe de petites masses s’approcha. Brennan ouvrit toute grande la constriction du champ de compression, et ils observèrent les explosions avec une tranquillité relative, bien que certaines ébranlassent le vaisseau. Roy les regarda sans avoir vraiment peur. Il était gêné par l’impression grandissante que Brennan et les protecteurs Pak étaient en train de jouer une partie compliquée dont ils connaissaient tous les règles : une partie comme les jeux de guerre spatiale auxquels s’amusaient les programmes d’ordinateurs. Brennan avait su qu’il aurait les premiers vaisseaux, que les autres démoliraient son appareil de pesanteur, qu’en se détournant de leur cap pour un duel indispensable, ils ralentiraient trop pour le rattraper à l’heure où ils découvriraient l’étoile à neutrons devants eux…
À un jour de l’étoile à neutrons, l’un des faisceaux verts s’éteignit. Ils l’ont finalement vue, dit Brennan. Ils vont se mettre en ligne pour le virage. Sinon, ils pourraient se retrouver projetés dans des directions opposées.
— Ils sont terriblement proches », dit Roy. Oui, relativement : à quatre heures-lumière derrière Protecteur, plus près que Sol ne l’est de Pluton. « Et vous ne pouvez pas vous lancer dans de grandes esquives, n’est-ce pas ? Cela contrarierait notre cap après l’étoile.
— Laissez-moi faire », grogna Brennan. Roy se tut.
La poussée tomba facilement à un demi g. Protecteur vira à gauche, et la capsule du système de survie se balança bizarrement au bout de son câble.
Alors Brennan coupa complètement le champ de compression. « Il y a un reste d’enveloppe gazeuse, expliqua-t-il. Maintenant, laissez-moi tranquille un moment. »
Protecteur était en chute libre.
Huit heures plus tard, il y eut des missiles. Les éclaireurs avaient dû tirer dès qu’ils avaient vu s’éteindre l’étincelle du champ de compression de Protecteur. Brennan les esquiva. Les projectiles qu’il avait lancés aux éclaireurs n’eurent aucun effet apparent : la lueur verte informe du vaisseau de tête continuait de baigner Protecteur.