Выбрать главу

Nick Sohl ne cessait de lever les yeux vers l’écran, de les abaisser vers les dix dossiers entassés sur son bureau, de les reporter sur l’écran… L’écran montrait deux taches de lumière blanc-violet, l’une plus grosse que l’autre, et moins nette. Déjà, elles apparaissaient toutes deux sur le même écran parce que l’astéroïde qui prenait les images était presque sur la même ligne que leur parcours.

Il avait lu et relu les dossiers. Chacun des dix pouvait être le Zonier inconnu qui se rapprochait de l’intrus. Il y avait eu douze dossiers. Dans les services, des hommes s’efforçaient de localiser et d’éliminer les dix qui restaient en suspens de la même manière qu’ils en avaient déjà écarté deux, par des coups de téléphone, par com-lasers, et toutes sortes de vérifications.

De son côté, puisque le monoplace ne se dérobait pas à la rencontre, Nick avait personnellement éliminé six noms. Deux n’avaient jamais été pris en flagrant délit de contrebande, ce qui attestait leur prudence, qu’ils eussent fraudé ou non. Le troisième dossier était celui d’une xénophobe. Les trois autres concernaient des vieux de la vieille, et l’on ne vieillit pas dans la Zone si l’on court des risques insensés. Dans la Zone, les lois Finagle-Murphy ne sont pas tout à fait une plaisanterie.

L’un des quatre mineurs restants avait eu l’incroyable arrogance de se nommer tout seul ambassadeur de l’humanité auprès de l’univers. Il n’aura que ce qu’il mérite s’il se fait démolir, pensait Nick. Mais lequel ?

À un million et demi de kilomètres de l’orbite de Jupiter, en se déplaçant bien au-dessus du plan du système solaire, Phssthpok rivalisait de rapidité avec le vaisseau local et commençait à se rapprocher.

Sur les milliers d’espèces sensibles de la galaxie, Phssthpok et la race de Phssthpok n’avaient étudié que la leur. Lorsqu’ils rencontraient inopinément d’autres espèces, par exemple dans l’exploration de systèmes voisins pour trouver des matières premières, ils les détruisaient aussi rapidement et aussi sûrement que possible. Les étrangers étaient dangereux, ou pouvaient l’être, et les Pak ne s’intéressaient qu’aux Pak. L’intelligence d’un protecteur était supérieure ; mais l’intelligence est un instrument qu’on utilise pour atteindre un but, et les buts ne sont pas toujours choisis intelligemment.

Phssthpok opérait en pleine ignorance. Tout ce qu’il pouvait faire consistait à émettre des hypothèses.

Ainsi, en supposant que la trace ovale sur la coque du vaisseau local fût une porte, l’autochtone ne serait pas beaucoup plus grand ni beaucoup plus petit que Phssthpok. En gros, entre un et deux mètres. Cela dépendait de la place qu’il lui fallait pour avoir de l’aisance dans ses mouvements. Certes, l’ovale pouvait n’être pas dessiné pour la plus grande longueur de l’autochtone, comme pour le bipède Phssthpok. Mais l’astronef était petit : il ne contiendrait pas quelque chose de beaucoup plus gros que Phssthpok.

Du premier regard, il le saurait. S’il ne s’agissait pas d’un Pak, il serait obligé de lui poser des questions. S’il s’agissait d’un Pak…

Il resterait beaucoup de points d’interrogation. Mais ses recherches seraient terminées. Quelques jours de navigation pour atteindre Objectif GO n° 1-3, un peu de temps pour apprendre la langue qu’on y parlait et pour expliquer l’emploi de ce qu’il avait apporté, et il pourrait cesser de manger.

L’autochtone ne semblait pas se rendre compte de la présence de l’astronef de Phssthpok qui, dans quelques minutes, serait pourtant à sa hauteur. Il cachait son jeu : non ! Il avait coupé sa propulsion. Phssthpok était invité à partager sa route.

Phssthpok ne se le fit pas dire deux fois. Il ne gaspilla ni combustible ni mouvements ; pour cette manœuvre unique, il agit comme s’il s’y était entraîné toute sa vie. La capsule où se trouvait son système de survie rattrapa sur sa vitesse acquise le vaisseau de la Zone, et s’arrêta.

Il était vêtu de son scaphandre spatial, mais il ne bougea pas. Phssthpok n’osait pas risquer sa propre vie alors qu’il était si près de la victoire. Si seulement l’autochtone voulait bien sortir sur la coque…

Brennan regarda le vaisseau approcher.

Trois compartiments, séparés par une distance de douze kilomètres. Il ne vit pas de câble de liaison : à cette distance, il pouvait être d’une minceur invisible. Le compartiment le plus gros, le plus massif, devait être le propulseur : un cylindre avec trois petits cônes faisant saillie à la queue. Malgré sa taille, le cylindre était sans doute trop petit pour contenir le combustible nécessaire à un voyage interstellaire. Ou bien l’intrus s’était délesté en route de ses réservoirs vides, ou bien… ne s’agissait-il pas d’un statoréacteur-robot habité ?

Le deuxième compartiment était une sphère d’une vingtaine de mètres de diamètre. Lorsque l’astronef s’arrêta enfin, ce tronçon se trouva exactement à la hauteur de Brennan. Une grande fenêtre ronde ressemblait à l’iris d’un œil gigantesque. Lorsque la sphère avait dépassé Brennan, cet œil avait tourné pour le suivre d’un regard que Brennan jugea d’une étrangeté inquiétante et qu’il se garda bien de payer de retour.

Il commençait à avoir des regrets. Le gouvernement de la Zone aurait certainement pu organiser un meilleur rendez-vous que celui-ci…

La capsule arrière – qu’il avait eu tout loisir de voir quand elle avait ralenti – avait la forme d’un œuf de vingt mètres de long et de douze mètres dans son plus grand diamètre. Le gros bout, tourné en sens contraire au propulseur, était si uniformément criblé de grains de poussière qu’il avait l’air décapé. Le petit bout était pointu et lisse, presque luisant.

L’œuf ne présentait aucune trace de solution de continuité.

À l’intérieur de l’iris globuleux du compartiment central, Brennan discerna du mouvement. Il essaya d’en voir davantage, mais en vain.

Il se dit que cet astronef avait été construit d’une manière très particulière. Le compartiment central devait être le système de survie puisqu’il possédait un hublot et que le compartiment arrière n’en était pas pourvu. Et le jet d’échappement était dangereusement radioactif ; sinon, pourquoi avoir ainsi espacé les compartiments ? Mais cela signifiait aussi que le système de survie était placé de façon à protéger la capsule arrière des radiations du jet. Ce qui se trouvait dans cette capsule arrière devait être par conséquent plus important que le pilote, de l’avis même du pilote.

Sinon, le pilote et le constructeur étaient des idiots ou des fous.

Le vaisseau d’Ailleurs était à présent immobile ; le propulseur se refroidissait la capsule du système de survie se situait à une centaine de mètres. Brennan attendit.

Je suis trop chauvin, se dit-il. Comment jugerais-je le bon sens d’un étranger d’après les normes de la Zone ?

Ses lèvres se retroussèrent. Bien sûr que je le peux. Ce vaisseau est mal conçu.

L’étranger sortit sur sa coque.

Tous les muscles de Brennan tressaillirent quand il le vit. L’étranger était un bipède ; de loin il avait l’air d’un homme. Mais il était sorti à travers le hublot. Il restait debout sur sa coque, sans bouger, attentif.

Il avait deux bras, une tête, deux jambes. Il était vêtu d’une combinaison pressurisée. Il portait une arme – ou un pistolet à réaction, impossible à dire. Mais Brennan ne vit pas de réacteur dorsal autonome. Un pistolet à réaction requiert beaucoup plus d’adresse qu’un réacteur dorsal. Qui s’en servirait en plein espace ?