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Tout l’attroupement prêta l’oreille.

La voix du crieur devint tonnante. Il dit:

– «… Lantenac, brigand.»

– C’est monseigneur, murmura un paysan.

Et l’on entendit dans la foule ce chuchotement:

– C’est monseigneur.

Le crieur reprit:

«… Lantenac, ci-devant marquis, brigand. L’Imânus, brigand…»

Deux paysans se regardèrent de côté.

– C’est Gouge-le-Bruant.

– Oui, c’est Brise-Bleu.

Le crieur continuait de lire la liste:

– «… Grand-Francœur, brigand…»

Le rassemblement murmura:

– C’est un prêtre.

– Oui, monsieur l’abbé Turmeau.

– Oui, quelque part, du côté du bois de la Chapelle, il est curé.

– Et brigand, dit un homme à bonnet.

Le crieur lut:

– «… Boisnouveau, brigand. – Les deux frères Pique-en-bois, brigands. – Houzard, brigand…»

– C’est monsieur de Quélen, dit un paysan.

– «Panier, brigand…»

– C’est monsieur Sepher.

– «… Place-nette, brigand…»

– C’est monsieur Jamois.

Le crieur poursuivait sa lecture sans s’occuper de ces commentaires.

– «… Guinoiseau, brigand. – Chatenay, dit Robi, brigand…»

Un paysan chuchota:

– Guinoiseau est le même que le Blond, Chatenay est de Saint-Ouen.

– «… Hoisnard, brigand», reprit le crieur.

Et l’on entendit dans la foule:

– Il est de Ruillé.

– Oui, c’est Branche-d’Or.

– Il a eu son frère tué à l’attaque de Pontorson.

– Oui, Hoisnard-Malonnière.

– Un beau jeune homme de dix-neuf ans.

– Attention, dit le crieur. Voici la fin de la liste:

– «… Belle-Vigne, brigand. – La Musette, brigand. – Sabre-tout, brigand. – Brin-d’Amour, brigand…»

Un garçon poussa le coude d’une fille. La fille sourit.

Le crieur continua:

– «… Chante-en-hiver, brigand. – Le Chat, brigand…»

Un paysan dit:

– C’est Moulard.

– «… Tabouze, brigand…»

Un paysan dit:

– C’est Gauffre.

– Ils sont deux, les Gauffre, ajouta une femme.

– Tous des bons, grommela un gars.

Le crieur secoua l’affiche et le tambour battit un ban.

Le crieur reprit sa lecture:

– «… Les susnommés, en quelque lieu qu’ils soient saisis, et après l’identité constatée, seront immédiatement mis à mort.»

Il y eut un mouvement.

Le crieur poursuivit:

– «… Quiconque leur donnera asile ou aidera à leur évasion sera traduit en cour martiale, et mis à mort. Signé…»

Le silence devint profond.

– «… Signé: le délégué du Comité de salut public, CIMOURDAIN.»

– Un prêtre, dit un paysan.

– L’ancien curé de Parigné, dit un autre.

Un bourgeois ajouta:

– Turmeau et Cimourdain. Un prêtre blanc et un prêtre bleu.

– Tous deux noirs, dit un autre bourgeois.

Le maire, qui était sur le balcon, souleva son chapeau, et cria:

– Vive la république!

Un roulement de tambour annonça que le crieur n’avait pas fini. En effet il fit un signe de la main.

– Attention, dit-il. Voici les quatre dernières lignes de l’affiche du gouvernement. Elles sont signées du chef de la colonne d’expédition des Côtes-du-Nord, qui est le commandant Gauvain.

– Écoutez! dirent les voix de la foule.

Et le crieur lut:

– «Sous peine de mort…»

Tous se turent.

– «… Défense est faite, en exécution de l’ordre ci-dessus, de porter aide et secours aux dix-neuf rebelles susnommés qui sont à cette heure investis et cernés dans la Tourgue.»

– Hein? dit une voix.

C’était une voix de femme. C’était la voix de la mère.

III BOURDONNEMENT DE PAYSANS

Michelle Fléchard était mêlée à la foule. Elle n’avait rien écouté, mais ce qu’on n’écoute pas, on l’entend. Elle avait entendu ce mot, la Tourgue. Elle dressait la tête.

– Hein? répéta-t-elle, la Tourgue?

On la regarda. Elle avait l’air égaré. Elle était en haillons. Des voix murmurèrent: – Ça a l’air d’une brigande.

Une paysanne qui portait des galettes de sarrasin dans un panier s’approcha et lui dit tout bas:

– Taisez-vous.

Michelle Fléchard considéra cette femme avec stupeur. De nouveau, elle ne comprenait plus. Ce nom, la Tourgue, avait passé comme un éclair, et la nuit se refaisait. Est-ce qu’elle n’avait pas le droit de s’informer? Qu’est-ce qu’on avait donc à la regarder ainsi?

Cependant le tambour avait battu un dernier ban, l’afficheur avait collé l’affiche, le maire était rentré dans la mairie, le crieur était parti pour quelque autre village, et l’attroupement se dispersait.

Un groupe était resté devant l’affiche. Michelle Fléchard alla à ce groupe.

On commentait les noms des hommes mis hors la loi.

Il y avait là des paysans et des bourgeois; c’est-à-dire des blancs et des bleus.

Un paysan disait:

– C’est égal, ils ne tiennent pas tout le monde. Dix-neuf, ça n’est que dix-neuf. Ils ne tiennent pas Priou, ils ne tiennent pas Benjamin Moulins, ils ne tiennent pas Goupil, de la paroisse d’Andouillé.

– Ni Lorieul, de Monjean, dit un autre.

D’autres ajoutèrent:

– Ni Brice-Denys.

– Ni François Dudouet.

– Oui, celui de Laval.

– Ni Huet, de Launey-Villiers.

– Ni Grégis.

– Ni Pilon.

– Ni Filleul.

– Ni Ménicent.

– Ni Guéharrée.

– Ni les trois frères Logerais.

– Ni M. Lechandelier de Pierreville.

– Imbéciles! dit un vieux sévère à cheveux blancs. Ils ont tout, s’ils ont Lantenac.

– Ils ne l’ont pas encore, murmura un des jeunes.

Le vieillard répliqua:

– Lantenac pris, l’âme est prise. Lantenac mort, la Vendée est tuée.

– Qu’est-ce que c’est donc que ce Lantenac? demanda un bourgeois.

Un bourgeois répondit:

– C’est un ci-devant.

Et un autre reprit:

– C’est un de ceux qui fusillent les femmes.

Michelle Fléchard entendit, et dit:

– C’est vrai.

On se retourna.