Выбрать главу

Sur ces mots, il fit encore arrêter sa litière devant la boutique du joaillier Idomène et, dès qu’il en eut terminé avec l’affaire des gemmes, il se fit porter directement à la maison d’Aulus.

– Chemin faisant, et comme exemple d’amour-propre chez un auteur, je te conterai l’histoire de Rufin, – dit Pétrone.

Mais il n’avait pas eu le temps de commencer son récit que, tournant sur le Vicus Patricius, ils se trouvèrent devant la maison d’Aulus. Un jeune et robuste janitor leur ouvrit la porte qui donnait accès dans l’ostium et au-dessus de laquelle une pie en cage les accueillit d’un retentissant «Salve».

En passant de l’ostium, ou second vestibule, à l’atrium, Vinicius observa:

– As-tu remarqué que le portier n’a pas de chaîne?

– Étrange maison, – répondit Pétrone à mi-voix. – Sans doute tu as ouï dire que Pomponia Græcina est soupçonnée de croire à une superstition orientale en faveur d’un certain Chrestos. Il est probable que ce service lui a été rendu par Crispinilla, qui ne peut pardonner à Pomponia de s’être, toute sa vie, contentée d’un seul mari. Univira!… Il serait aujourd’hui plus aisé de trouver à Rome un plat de champignon du Norique. Elle a été jugée par un conseil de famille…

– C’est, en effet, une singulière maison. Plus tard, je te dirai ce que j’y ai vu et entendu.

Ils avaient gagné l’atrium. L’atriensis, ou préposé à sa garde, envoya le nomenclator annoncer les hôtes, tandis que d’autres domestiques leur avancèrent des sièges et placèrent des petits bancs sous leurs pieds. Pétrone, persuadé qu’un éternel ennui devait régner dans cette maison austère où il ne venait jamais, regardait autour de lui avec quelque étonnement, et légèrement désappointé, car de l’atrium se dégageait une impression plutôt gaie. D’en haut, par une baie spacieuse, tombait un faisceau de vive lumière qui venait se briser sur un jet d’eau en milliers d’étincelles. Une fontaine, érigée au centre d’un bassin carré destiné à recueillir la pluie tombant par l’orifice supérieur et appelé l’impluvium, était entourée d’anémones et de lis. Il était visible que, dans cette maison, les lis étaient en grande faveur, car on en voyait, de blancs et de rouges, par massifs entiers, ainsi que des iris saphir aux pétales délicats et comme argentés de poussière liquéfiée. Les vases qui les contenaient étaient cachés parmi les mousses humides, et des feuillages émergeaient des statuettes de bronze représentant des enfants et des oiseaux aquatiques. Dans un angle, une biche, de bronze aussi, penchait au-dessus de l’eau, comme pour y boire, sa tête rongée et verdie par l’humidité. Le sol de l’atrium était fait de mosaïque et les murailles revêtues, partie de marbre rouge, partie de fresques où étaient figurés des arbres, des poissons, des oiseaux, des griffons, qui enchantaient le regard par le jeu des couleurs. Les portes qui ouvraient sur les chambres latérales étaient ornementées d’écaille de tortue et même d’ivoire; entre les portes, et adossées aux murs, se dressaient les statues des ancêtres d’Aulus. Partout on sentait la solide aisance, exempte de faste, mais belle et sûre d’elle-même.

Pétrone, dont la demeure était de beaucoup plus luxueuse et élégante, ne pouvait cependant rien trouver ici qui offusquât son goût; et précisément il allait faire part à Vinicius de cette remarque, quand un esclave, le velarius, souleva la draperie qui séparait l’atrium du tablinum, pour livrer passage à Aulus, qui du fond de la maison arrivait d’un pas rapide.

C’était un homme déjà au déclin de la vie: la tête grisonnante, mais forte; la face énergique, un peu courte, mais, en revanche, rappelant assez une tête d’aigle. Pour l’instant, elle exprimait quelque étonnement, voire même de l’inquiétude, causée par la venue inopinée de l’ami, du compagnon, du confident de Néron.

Pétrone était trop homme du monde, trop fin, pour ne pas s’en rendre compte; aussi, après les salutations préliminaires, exposa-t-il avec toute l’éloquence et toute la courtoisie qui lui étaient coutumières, qu’il apportait ses remerciements pour l’hospitalité reçue dans cette maison par le fils de sa sœur et que, seule, la reconnaissance motivait cette visite, facilitée d’ailleurs par ses anciennes relations avec Aulus.

Celui-ci, de son côté, l’assura qu’il lui était agréable de l’avoir pour hôte, et quant à ce qui était de la reconnaissance, il s’en trouvait redevable lui-même, encore que Pétrone n’en soupçonnât pas la raison. En effet, il ne la pouvait deviner. Vainement il levait en l’air ses prunelles noisette, et s’efforçait de se remémorer le plus mince service rendu soit à Aulus, soit à quiconque; il ne se souvenait d’aucun, sinon de celui qu’il désirait pour l’instant rendre à Vinicius. Si quelque chose de ce genre était arrivé, et c’était possible, à coup sûr c’était à son insu.

– J’aime et j’apprécie fort Vespasien, – reprit Aulus, – à qui tu sauvas la vie le jour où, par malheur, il s’était endormi à écouter les vers de César.

– Bonheur pour lui plutôt, – repartit Pétrone, – car il ne les entendit pas; je conviens cependant que ce bonheur eût pu finir en malheur. Barbe-d’Airain voulait à tout prix lui mander par un centurion le conseil amical de s’ouvrir les veines.

– Et toi, Pétrone, tu l’en as raillé.

– En effet, ou plutôt le contraire: je lui ai dit que si Orphée endormait par son chant les bêtes sauvages, son triomphe à lui n’était pas moins complet d’avoir su endormir Vespasien. La critique est possible avec Ahénobarbe, pourvu qu’il s’y mêle beaucoup de flatterie. Notre gracieuse Augusta Poppée s’en rend merveilleusement compte.

– Ce sont les temps, hélas! – poursuivit Aulus. Une pierre lancée par la main d’un Breton m’a brisé deux dents et le son de ma voix en est devenu sifflant; n’empêche que ce soit en Bretagne que j’aie passé le temps le plus heureux de ma vie.

– Parce qu’il était celui de tes victoires, – se hâta de dire Vinicius.

Mais, dans la crainte que le vieux chef entreprît le récit de ses campagnes, Pétrone fit dévier la conversation. Il dit qu’aux environs de Praeneste des paysans avaient découvert le cadavre d’un louveteau à deux têtes; que pendant l’orage de l’avant-veille, la foudre avait arraché une pierre du temple de Luna, chose inouïe aussi tard dans l’automne; il le tenait d’un certain Cotta, lequel lui avait fait part de la prédiction des prêtres de ce temple, à savoir que ce phénomène annonçait la ruine de la Ville, ou tout au moins la ruine d’une grande maison, catastrophe que de grands sacrifices pourraient seuls conjurer.

Aulus fut alors d’avis qu’on ne pouvait, en effet, négliger de tels présages. L’irritation des dieux n’avait rien de surprenant, quand les crimes dépassaient toute mesure; en ce cas, des offrandes propitiatoires devenaient indispensables.

Pétrone repartit:

– Ta maison, Plautius, n’est pas trop grande, bien qu’un grand homme l’habite; la mienne, à dire vrai, est trop vaste pour un si humble propriétaire, n’empêche qu’elle soit petite aussi. Et, s’il s’agit, par exemple, d’une aussi grande maison que la domus transitoria, crois-tu qu’il vaille la peine de faire des offrandes pour conjurer cette ruine?