Выбрать главу

Je me dissimule de mon mieux et je réfléchis. Ma matière grise se met en mouvement. Tout à coup je torche ma flûte et je prends dans la mienne la main que Jeannine laisse traîner sur la nappe.

— Dites-moi franchement, petite, avez-vous les nerfs solides ?

— Mon Dieu, jusqu’ici, ça n’a pas trop mal marché.

— Vous sentez-vous capable de vous maîtriser ?

— Oui.

— Alors, penchez-vous un peu, apercevez-vous, à la table qui se trouve sous le projecteur, ce bel éphèbe brun aux côtés d’une femme rousse ?

— Je le vois très bien.

— C’est l’assassin de Gaétan.

Elle porte les mains à sa bouche et devient livide. Je lui colle vite son verre dans les doigts et lui conseille de le vider.

Ça se passe très bien.

— Voilà, exposé-je, il y a plusieurs façons de jouer cette partie. Le plus simple serait que j’aille carrément à la table de ces fumelards et que je leur foute mon feu sous le blair en leur conseillant d’attraper les lustres ; la seconde consisterait à prévenir la police ; mais à ces deux, je préfère ma technique personnelle. Si je faisais arrêter Bruno, je vous parie les faux seins de Marlène Dietrich contre une botte de radis qu’il s’en tirerait because Else a dû lui préparer un alibi en béton armé.

— Quelle est donc votre méthode ?

Au lieu de lui répondre, j’appelle un fakir qui, à son air important et à la distinction qu’il met dans l’art délicat de ne rien faire, doit être le gérant de la boîte.

Il s’approche, digne comme un croque-mort lorsqu’il n’est pas brin-de-zinc.

— Vous parlez français ?

— Si, parlo un poco, ma non molto bene.

— Qu’est-ce qu’il bave ce grand veau ? questionné-je.

Jeannine sourit.

— Il vous dit qu’il ne parle pas très bien. Comme il vous le dit en italien, je suis certaine qu’il ne connaît pas un traître mot de français.

— Alors, servez-nous d’interprète. Demandez-lui s’il n’a pas de salon particulier.

Elle s’exécute. Le fakir-gérant écoute doctement et incline la tête affirmativement.

— Bon, dis-je, demandez-lui s’il veut en mettre un à ma disposition. Dites-lui qu’il ne s’agit pas d’une partie de jambes en l’air mais d’une discussion d’affaires. Je paierai ce qu’il faut à condition qu’on nous fiche la paix.

Elle répète mes paroles en italomuche.

Le type est toujours d’accord, pourvu qu’on lui lâche du flouze, il se moque bien qu’on utilise son local pour fabriquer de la dentelle, jouer au bilboquet ou organiser une conférence de Garry Davis.

Je paie d’avance et dis au bonhomme de m’attendre un instant.

— Maintenant, ma chère amie, c’est à vous de grimper sur le plateau. La réussite de mon plan repose sur vous. Vous allez vous transformer en vamp, et, en ondulant des hanches, vous approcher de lui. Vous vous assoirez sans façon à sa table et lui demanderez s’il n’a pas dix mille lires à mettre dans le sac à main d’une pépée à même de lui refiler des tuyaux sur un flic français et sur l’enveloppe qu’il trimbale dans sa blague à tabac. Surtout, ayez l’air cupide, ça le mettra en confiance. Lorsqu’il commencera à marcher, dites-lui que vous seriez mieux dans un des petits salons pour discutailler, car vous avez la pétoche. À ce moment, vous me l’amenez. Compris ?

Je la regarde, elle est frémissante.

— Compris.

J’allume une cigarette et la regarde s’éloigner. Quelle ligne, quelles jambes ! Je me tourne enfin vers le gérant.

— Avanti, dis-je.

Il me conduit dans un vestibule qui fait le tour de l’établissement. Une kyrielle de portes s’ouvrent dans ce couloir. Il en pousse une.

— Favorisca di qua.

J’entre et inspecte les lieux. C’est un petit coin peinard qui ressemble à tous les petits salons du monde. Enfin les petits salons de ces sortes de boîtes, c’est-à-dire des pièces discrètes, avec des divans moelleux comme du monbazillac et un cabinet de toilette attenant.

— Ça colle, mon gros, tu peux évacuer tes os.

Le faux fakir s’incline bien bas et va voir dans la salle si j’y suis. Je repousse la porte et tire un fauteuil juste derrière de façon qu’en pénétrant dans le salon, on ne puisse me voir tout de suite.

Je jette ma cigarette et j’en allume une autre.

Pourvu que Jeannine soit assez persuasive !

Je sors le rigolo que m’a envoyé Sorrenti. C’est une arme d’une fabrication qui m’est inconnue, peut-être italienne ? En tout cas, elle n’a pas l’air mauvaise. J’étudie son fonctionnement, je glisse un chargeur dans la crosse et lève le cran de sûreté. À ce moment, j’entends un bruit de pas dans le couloir. Je suis prêt. La porte s’ouvre. Jeannine pénètre dans le salon suivie de Bruno. Ce dernier, une fois entré, repousse la porte sans se retourner, ce qui fait qu’il ne m’aperçoit pas encore.

La surprise n’en est que meilleure.

— Coucou, beau brun ! dis-je.

Il se retourne d’une pièce et porte la main à sa poche.

— Pas de ça, ordonné-je, lève bien haut tes pattes pour que je puisse admirer tes manchettes amidonnées. Jeannine, voulez-vous enlever le feu de ce dandy, il déforme sa poche droite.

Elle m’obéit.

— Garce, grogne-t-il.

Je lui file un taquet qui lui fait enfler la pommette illico.

— Déguste ça pour t’apprendre la politesse.

Il marmonne.

— Flic, sale flic, ça se revaudra.

— Ça m’étonnerait parce que, écoute, trésor, lorsque j’en aurai fini avec ta petite personne, ta mère elle-même ne voudra pas se servir de toi comme paillasson. Va t’asseoir sur cette chaise là-bas et tâche de ne pas faire le mariole parce que je me sens nerveux ce soir.

« Maintenant, ouvre grandes tes manches à air. Sur ton bateau du diable, tandis que j’étais fixé au mât, tu m’as posé deux questions, c’étaient les suivantes : qui nous a rencardés sur la fuite de votre gang en Italie et qu’est devenu Tacaba. Pour la première, je dois t’avouer que mes chefs, malgré qu’ils m’aient à la bonne, ne me disent pas tout, j’ai reçu simplement l’indication, à moi de l’utiliser. Quant à la seconde, je vais te répondre : Tacaba est, pour l’heure, aussi mort que du cervelas truffé, et je le sais parce que c’est moi qui lui ai fait avaler son extrait de naissance. Si tu en doutes, souviens-toi des deux mammouths que j’ai allongés l’autre nuit dans la cabine d’Else. Réfléchis et comprends enfin que je ne suis pas un plaisantin. Tu as peu de chances de te vanter un jour d’être sorti vivant d’entre mes mains, mais si tu es optimiste, réponds à mes questions.

Il n’en mène pas large.

— Que voulez-vous savoir ?

— Enfin, tu deviens raisonnable en grandissant. J’aimerais que tu me parles de la question du code. Je sais que vous ne l’avez pas, mais j’aimerais savoir qui vous l’a barboté.

Il garde le silence.

Je ne me fâche pas.

— Fais bien attention, préviens-je, j’ai connu un type auquel je posais certaines questions, comme à toi. Il la bouclait lui aussi et quand il a voulu ouvrir sa grande gueule, il n’a pas pu parce qu’il avait un morceau de ferraille dans la carcasse qui lui faisait mal lorsqu’il riait. Et ce type, tu l’as peut-être deviné, s’appelait Tacaba. Il s’est tortillé pendant un bout de temps et il me promettait de m’instituer son légataire universel à condition que je lui en mette une seconde à l’endroit où son coiffeur s’arrêtait ordinairement de lui tailler les crins pour lui demander s’il les aimait bien dégagés. Tu vois ? C’est d’une simplicité extraordinaire. Si tu ne réponds pas, d’ici dix secondes, tu racleras le tapis avec tes ongles, parce que c’est la coutume chez ceux qui en prennent une ou deux bien chaudes dans le ventre.