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CHAPITRE VIII

À votre santé

Quand je reviens à moi, je suis dans le salon.

Ma tête repose sur les pédales d’un piano et, entre mes cils, j’aperçois ces quatre salopards penchés sur moi.

Batavia m’administre des verres d’eau sur la figure. Moi qui n’aime pas la flotte, ça me contrarie. Je m’ébroue et j’éternue violemment.

— T’enrhume pas, fait-il, je vais te donner du Gomenol, tu vas voir, mon joli. Allez, lève-toi ! Et ne tâte pas tes poches parce que ton soufflant n’y est plus.

Le mieux que je puisse faire c’est d’obéir. Je me lève tout en me maudissant pour n’avoir pas administré la forte dose à ce Tom de malheur.

On est toujours trop doux avec ces crapules-là !

Batavia me met un joli Luger dans les côtes et m’intime l’ordre de sortir. Nous voilà devant la baraque. Le nègre se dirige vers un petit garage et sort une 402 noire. Je la reconnais ; c’est de ce toboggan que les crapules nous ont canardés, le Chinois et moi. J’ai pigé. Ils vont me balader une dernière fois, et puis ils vont m’adosser à la falaise et m’envoyer un peu de plomb dans les tripes. La chose est connue. Je me dis que c’est un peu toquard de finir comme ça et que Félicie va faire une drôle de tête en recevant un petit communiqué du chef.

Sûrement qu’ils me ficheront une médaille à titre posthume, mais une médaille n’a jamais réveillé un mort et pour l’instant je m’en balance.

Ils me font grimper dans la bagnole. Le nègre conduit. Batavia s’assied à côté de lui. Tom et son collègue m’encadrent sur la banquette arrière. Chacun d’eux me tient par un bras. Inutile de jouer au petit soldat, la voiture tape le cent dix. Nous suivons la côte, et je m’aperçois que nous nous dirigeons vers un petit bled que j’ai connu autrefois. J’étais allé y manger une bouillabaisse avec une poupée tout ce qu’il y a de chouïa. Un vieux pêcheur nous avait indiqué le coin.

C’était le bon temps ! Maintenant, on m’y emmène pour me buter…

La roue tourne, hein ?

*

Soudain, le nègre stoppe.

— Ça boume, fait Batavia. Le coin est pépère.

Ils me font descendre et je regarde la nuit mélancoliquement. Une rude nuit, moi je vous le dis, avec des étoiles en veux-tu en voilà et une lune pareille à celle qu’on voit sur le fanion des bataillons algériens. J’examine la géographie de la région. Nous sommes au sommet d’une sorte de falaise surplombant la mer.

Ils m’entraînent, à coups de pied, à l’extrémité de la falaise, je suis adossé à l’infini, les tifs au vent. Je dois ressembler à Chateaubriand sur son rocher, mais ces affreux-là se moquent du romantisme comme de leur premier fric-frac. Ils vont m’administrer une livre de plomb dans le buffet, après quoi ils me balanceront au bouillon. Alors, j’en ai gros sur la patate, n’est-ce pas ?

Ça n’est pas le fait de mourir qui me turlupine — encore que ça ne m’emballe pas tellement.

Non, ce qui me met en crosse c’est de m’être laissé avoir par un Batavia à la flan. Si au moins je n’avais pas renvoyé Baudron ! Je me rebelle ! Je ne veux pas que ce soit dit de me faire descendre bêtement comme un sourd-muet qui aurait pas entendu les sommations de la sentinelle.

— Alors, dit Batavia, tu es plus calme, mon flic… Tu ne pensais pas donner à manger aux poissons ce soir, hein ? Ils vont se casser les dents sur ta sacrée carcasse de poulet, ces pauvres requins.

Il se tient les côtes. Il caracole devant moi. Ça me plaît. Les cabots sont plus faciles à avoir que les durs. Un vrai gangster ne perd pas son temps à vous raconter la vie de sa petite sœur avant de vous descendre. Il vous envoie un échantillon de son Luger par-dessous la table ou dans les reins, et vous êtes mort avant d’avoir compris ce qui vous arrive. Je décide de jouer ma dernière partie, bien que je ne la juge pas fameuse.

— Bande de rigolos ! Alors vous croyez que San Antonio se laisse fabriquer comme un collégien. Non mais, vous perdez la boussole, espèces de foies blancs !

— De quoi ? fait Batavia, un peu inquiet.

— De quoi ? je lui réponds, eh bien, regarde donc derrière toi, pauvre cloche !

Tous se retournent, à l’exception du gros Tom qui connaît déjà le truc. Tant pis, je risque le paquet. Je prends mon élan et je pique une tête par-dessus la falaise. Le gros Tom vide son magasin de quincaillerie et je bloque une balle dans le gras du bras gauche. Maintenant reste à savoir si je vais tomber à la flotte ou sur les rochers. Tout mon corps est contracté par l’effroi de l’attente. La chute me paraît interminable. Et puis c’est un plongeon délicieux. Malgré que je n’aime pas l’eau, je boirais la Méditerranée tant est grande ma gratitude… Je me mets à nager sans bruit, en rasant les rochers afin d’éviter la pluie de balles qui crépite autour de moi ; car il pleut du plomb. Et, comme radée, ça se pose là…

J’entends la voix de Batavia qui hurle :

— Descendez au bord de la flotte ! Maniez-vous, il ne faut pas qu’il s’échappe, sans quoi nous sommes tous bons pour le poteau.

J’aborde sur une petite plage sableuse et je cours silencieusement. Là-bas, c’est une vraie cavalcade. Les gens du métèque descendent jusqu’à la plage afin de chercher ma carcasse. C’est alors que ma belle étoile se met à briller formidablement, comme si l’ange de service venait de la fourbir au Miralex. Je déniche un bath petit sentier qui rejoint la route. Je l’escalade et je me trouve dans un fossé, à cent mètres de la bagnole. Aubaine inespérée.

Batavia est tout seul sur la falaise. Penché au-dessus du gouffre, il exhorte ses copains. Le bandit est loin de me croire derrière lui. Je m’approche en rampant. J’ai bougrement envie de lui envoyer une bourrade afin de me rendre compte s’il sait nager. Mais San Antonio fait passer le service avant ses rancunes personnelles.

Je me dresse derrière Batavia. Le grondement des flots et ses hurlements couvrent le bruit de mes pas. Brusquement, je passe mon bras autour de son cou et je l’attire en arrière. Il perd l’équilibre et s’allonge sur le dos. La surprise lui a fait lâcher son soufflant. Alors je lui mets un de ces coups de talon dans l’estomac comme je ne vous souhaite pas d’en recevoir, même en rêve. Il a le souffle coupé net, il hoquette puis s’immobilise. Je le traîne jusqu’à l’auto. De mon bras valide, je le hisse dans la 402. Pour plus de sûreté, je lui passe les bracelets. Ceci fait, je m’installe au volant et je démarre sec en direction de Marseille.

On peut dire que je reviens de loin !

*

Quarante minutes plus tard, nous stoppons devant la Sûreté. J’ai dû perdre un demi-litre de sang, mais je me sens rudement joyeux et je n’échangerais pas ma place contre celle du mikado. J’ameute le poste de garde. Je dis qu’on mette Batavia sous clef et qu’on me conduise à l’infirmerie car je ne tiens pas à me saigner tout à fait ; et puis je demande à voir Baudron. Celui-ci rapplique au moment où le toubib extrait la balle de ma blessure. Il demande ce qui se passe et je lui raconte tout. Ce brave garçon en bave des ronds de chapeau. Il me prend pour le père Noël et ses yeux brillent comme du silex au soleil. Ça me réjouit le cœur. Un Marseillais qui s’épate à ce point, ça ne se voit pas toutes les années bissextiles. Lorsque mon pansement est achevé, nous allons prendre des nouvelles de Batavia. Le métèque est allongé sur une table, il est vert comme un sapin et n’a pas encore repris connaissance. Je réclame une bouteille de rhum ; un agent m’en sort une d’un placard et je m’en administre une bonne dose, après quoi, avec un coupe-papier, j’entrouvre les dents de ma victime et je fais couler un filet du précieux liquide dans sa bouche. Ça me fait mal aux seins de donner du nanan pareil à ce nez plat, mais faut ce qu’il faut, comme dit mon pote Bourvil. Au bout de quelques secondes, il ouvre les yeux et se met à geindre.