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Borzov poursuivit son tour de la salle, en disant :

— Il est inconcevable qu’un seul d’entre vous puisse oublier, ne serait-ce qu’un instant, que vous avez été désignés pour mener à bien ce qui sera peut-être l’expédition la plus importante de tous les temps. Et les résultats de cette série de simulations m’inquiètent.

« Certains s’imaginent que ce Rama sera la copie conforme du précédent et ne s’intéressera pas aux créatures insignifiantes venues l’explorer. Les données étudiées depuis trois ans laissent supposer que le deuxième Rama est identique au premier, mais même si c’est un autre appareil robotisé construit par une race extraterrestre éteinte voici des millénaires notre rôle sera capital. Et j’estime que nous devons faire tout notre possible pour assurer la réussite de cette mission.

Le général soviétique prit le temps d’ordonner ses pensées. Janos Tabori allait pour poser une question mais Borzov reprit son monologue :

— Les résultats obtenus lors de ces derniers exercices sont lamentables. Je n’ai aucun reproche à faire à certains d’entre vous, mais d’autres semblent avoir oublié la finalité de notre expédition, ou ne pas avoir pris connaissance des procédures à suivre. Je vous accorde que ces préparatifs ne sont guère exaltants, mais en acceptant cette affectation il y a dix mois vous vous êtes engagés à apprendre et à respecter les protocoles et les buts du projet. Même ceux qui n’avaient aucune expérience de l’espace.

Borzov venait de s’arrêter devant une des grandes cartes murales : une vue d’un secteur de la cité de « New York » prise à l’intérieur du premier vaisseau raméen. L’îlot de la mer cylindrique où se dressaient ces hauts bâtiments étroits qui ressemblaient aux gratte-ciel de Manhattan avait été en partie cartographie lors de la précédente expédition.

— Dans six semaines, nous aborderons un véhicule spatial où nous trouverons peut-être une ville identique à celle-ci, et nous serons alors les représentants de toute l’espèce humaine. Nous ignorons ce que nous découvrirons. Quelle que soit notre préparation, elle sera insuffisante. Notre connaissance des procédures prévues doit être parfaite et machinale, afin que nos esprits n’aient à traiter que les cas imprévus.

Il s’assit en bout de table.

— L’exercice d’aujourd’hui a failli tourner au désastre. Nous aurions pu perdre trois hommes et un des hélicoptères les plus coûteux jamais construits. Je vous rappellerai, une fois de plus, quelles priorités ont été données à cette mission par l’Agence spatiale internationale et le Conseil des gouvernements. La sécurité des membres de l’expédition doit passer avant tout. Viennent ensuite l’analyse et la détermination d’une éventuelle menace pour la population de la Terre.

Il fixa Brown, qui lui retourna un regard glacial.

— Ce n’est qu’après avoir obtenu l’assurance que le vaisseau raméen est sans danger que nous capturerons un ou plusieurs biotes.

— Je souhaite rappeler au général Borzov que le respect des priorités selon un ordre sériel ne fait pas l’unanimité, rétorqua David Brown d’une voix forte. Ramener des biotes sur Terre est d’une importance capitale pour la communauté scientifique. Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le préciser lors de précédentes réunions et d’interviews accordées aux médias, si ce Rama est semblable au premier – autrement dit s’il ne fait aucun cas de notre présence – et si nous ne capturons pas un seul biote avant de revenir sur Terre, la science aura été privée d’une opportunité unique d’élargir ses connaissances dans le seul but d’apaiser les inquiétudes de quelques politiciens timorés.

Borzov allait pour répondre mais Brown se leva et gesticula.

— Non, non, écoutez-moi jusqu’au bout. Vous m’avez accusé d’incompétence et je compte exercer mon droit de réponse.

Il prit un listing qu’il agita sous le nez du militaire.

— Voici les conditions définies par vos techs pour la simulation d’aujourd’hui. Laissez-moi vous rappeler des points essentiels que vous semblez avoir oubliés. Condition de situation numéro 1 : cette opération se déroule à la fin de la mission, après qu’il a été établi que Rama II ne représente une menace ni pour nous ni pour la Terre. Condition de situation numéro 2 : nous n’avons pour l’instant vu des biotes que de façon sporadique et toujours isolés.

L’attitude des autres membres de l’équipe lui indiquait qu’il marquait des points. Il inspira à pleins poumons et continua sur sa lancée :

— J’en ai déduit que cet exercice représentait pour nous la dernière possibilité de nous emparer d’un biote et qu’un échec serait lourd de conséquences. Dans toute l’histoire de l’humanité, l’unique contact avec une culture extraterrestre s’est produit en 2130, quand nos cosmonautes ont abordé le premier vaisseau spatial raméen.

« Mais la science n’en a guère bénéficié. Il est vrai que nous disposons d’une multitude de données recueillies lors de cette exploration, dont le rapport d’autopsie d’un biote-araignée que nous devons au Dr Laura Ernst. Mais un seul artefact a été ramené, ce fragment de fleur biomécanique dont les caractéristiques se sont altérées avant même qu’un seul de ses mystères n’ait été percé à jour. Nous n’avons pas d’autre souvenir de cette expédition. Pas un cendrier, un verre ou même un transistor qui nous aurait renseignés sur la technologie raméenne. Une deuxième chance nous est offerte. Il leva les yeux vers le plafond de la salle.

— Si nous trouvons et ramenons deux ou trois biotes à des fins d’analyse, notre mission deviendra la plus importante de tous les temps. Car c’est seulement en assimilant la logique des Raméens qu’il est possible d’établir, au sens véritable du terme, un contact avec eux.

Même Borzov en fut impressionné. David Brown utilisait souvent son éloquence pour retourner une situation défavorable. Le général soviétique décida de changer de tactique.

— Nous ne devons pas oublier les dangers et compromettre notre sécurité, rétorqua-t-il d’une voix douce. Je désire autant que vous ramener sur Terre des biotes et d’autres échantillons de Rama II, mais rien ne démontre de façon irréfutable que ce vaisseau est identique au premier. Avons-nous des preuves que les Raméens ne sont pas animés de mauvaises intentions ? Aucune. Il serait très risqué de s’emparer prématurément d’un biote.

— Nous n’avons jamais de certitudes en ce domaine, commandant, intervint Richard Wakefield. Même si cet appareil est la copie conforme de l’autre, nous ne pourrons prévoir ce qui se passera lors d’une telle intervention. Admettons que le Dr Brown ait raison et que les deux vaisseaux soient des appareils automatisés très perfectionnés fabriqués il y a des millions d’années par une race aujourd’hui éteinte. Nous ignorons quelles sous-routines de comportement ont été programmées dans ces biotes en cas d’agression. S’ils sont essentiels au bon fonctionnement de Rama, selon des critères qui nous échappent, ils devraient avoir les moyens de se protéger. Et il n’est pas à exclure que l’enlèvement de l’un d’eux modifie le fonctionnement de tout le vaisseau. Je me souviens avoir lu un article sur la sonde automatique qui s’est écrasée dans la mer de méthane de Titan en 2012. Elle avait dans ses mémoires une panoplie d’instructions différentes en prévision de…

— Un instant, l’interrompit Janos Tabori en souriant. Les problèmes qui se sont posés à l’aube de l’exploration robotisée du système solaire ne sont pas à l’ordre du jour.

Il regarda Borzov, à l’autre bout de la table.