— Non, dit Ryan.
— Non, assurément. Une bande de voyous s’attaque aux amis de Skorzeny. Skorzeny est inquiet, il implique le gouvernement dans l’affaire, et voilà que vous débarquez. Au beau milieu de tout ça.
— Et qu’est-ce que vous attendez de moi ?
— La même chose que votre ami le ministre de la Justice. Qu’il soit mis fin à cette histoire. »
24
Célestin Lainé savait que Hakon Foss était courageux, mais tout de même, il fut stupéfait devant la résistance du Norvégien.
Dans la grange, les gardes avaient assis Foss contre une vieille table en bois, percée de trous pour permettre le passage des lanières en cuir qui immobilisaient ses poignets, mains à plat. Skorzeny, prenant place en face, lui parla de sa voix la plus douce et la plus calme pendant que Lainé préparait la lampe à souder.
« Soyez honnête, je vous en prie », dit Skorzeny. Il articulait lentement, clairement. « Ce serait préférable pour tout le monde, mais surtout pour vous. Nous pouvons éviter certains désagréments si vous me répondez en toute sincérité. »
Les doigts de Foss tressaillirent sur la table. Il regarda Lainé allumer l’essence contenue dans le petit réservoir.
« Qu’est-ce que vous voulez ? » demanda-t-il.
Lainé laissa la lampe chauffer et commença à disposer ses outils sur la table. Un gros canif, un sécateur aiguisé, un scalpel, des pinces de dentiste.
Les pinces servaient surtout à produire un effet, pour effrayer le sujet pendant l’interrogatoire. Lainé ne les avait utilisées qu’en de rares occasions sur les dents de ses victimes. Il était trop difficile d’immobiliser la tête, en même temps que de maintenir la bouche ouverte, et seules des circonstances extrêmes justifiaient d’avoir recours à une extraction.
Souvent, pour la plus grande déception de Lainé, le sujet donnait l’information demandée dès qu’il voyait les outils et la lampe à souder. L’anticipation de la douleur est une torture bien plus grande que la douleur elle-même. Tous les interrogateurs de talent le savent.
Skorzeny dit : « Je veux savoir à qui vous avez parlé. »
Foss secoua la tête. « Je ne parle à personne. Qui a dit que je parle ? »
Lainé ouvrit la valve de la lampe. La flamme bleue jaillit avec un sifflement puissant. Foss sursauta sur sa chaise et laissa échapper un petit cri aigu. Lainé prit le canif, sortit la lame et l’approcha de la flamme.
« Combien de temps ? demanda Skorzeny.
— Une minute, pas plus », répondit Lainé.
Skorzeny reporta son attention sur Foss. « Une minute. C’est le temps dont vous disposez pour me dire la vérité, Hakon. À qui avez-vous parlé de moi ? »
La peur tordait les traits du Norvégien. « Personne. Je ne parle à personne. Pourquoi vous demandez ça ?
— Parce que je sais que quelqu’un qui est proche de moi m’a trahi. A fait passer des informations à d’autres. Des informations sur moi, sur mes associés. Sur mes amis, Hakon. Vos amis.
— Pas moi, dit Hakon. Je ne parle à personne.
— Si vous n’avez parlé à personne, pourquoi vous êtes-vous enfui alors ? »
À court de réponse, Foss resta la bouche ouverte, les yeux humides de larmes, clignant rapidement des paupières.
« Je vous pose la question une dernière fois. Si vous ne répondez pas en toute sincérité, Célestin vous fera beaucoup souffrir.
— Je ne parle à…
— À qui avez-vous parlé de moi ?
— Personne. Je ne parle à personne. »
Obéissant au signe de tête affirmatif de Skorzeny, Lainé saisit le pouce de Foss. Il écarta la lame rougeoyante de la flamme et se mit au travail.
25
Weiss tendit deux photos à Ryan. La première, granuleuse, était une image en buste d’un homme âgé de vingt-cinq à trente ans, coiffé d’un béret, le col de son uniforme ouvert. Il crispait les mâchoires comme quelqu’un qui est mal à l’aise devant l’objectif. Ryan regarda le deuxième cliché. Une photo de groupe, une douzaine d’hommes en uniforme, l’un d’eux entouré d’un cercle : la même image, agrandie.
« Qui est-ce ? demanda Ryan.
— Le capitaine John Carter, répondit Weiss. Il n’avait pas encore le grade à l’époque où la photo a été prise, mais il était capitaine quand il a quitté l’armée britannique. »
Ryan examina la photo de groupe. Les hommes alignés contre un mur grossier, en manches courtes et pantalon, certains ayant coincé un mouchoir sous leur chapeau pour se protéger le cou du soleil. Leurs bottes étaient couvertes de poussière.
« Special Air Service, dit Weiss, devançant Ryan dans ses pensées. Afrique du Nord. Opérations secrètes, derrière les lignes ennemies. Le sale boulot. »
Ryan contempla à nouveau la photo agrandie de Carter, les traits durs, le regard froid.
« Est-ce qu’il… »
Weiss hocha la tête. « Oui. C’est le chef de la bande de joyeux drilles qui veulent régler le problème nazi en Irlande.
— D’où tenez-vous ça ?
— Un agent d’information sud-africain. Il m’a appris qu’un capitaine du nom de John Carter manifestait une certaine curiosité à l’endroit d’Otto Skorzeny. Carter s’est procuré des armes par le biais d’une source commune en Hollande et a fait savoir qu’il avait un poste à pourvoir dans une petite équipe d’anciens camarades. Il n’a pas précisé la nature du travail, sinon que ce serait hautement intéressant. »
Ryan laissa courir son doigt sur l’image. « C’est sûrement lui.
— Évidemment. Je ne peux pas mettre ma propre mission en péril en sollicitant le Renseignement britannique ou irlandais. D’où la stratégie pour le moins complexe qui a été appliquée pour vous amener ici.
— Vous avez réussi, je suis là. Et maintenant ?
— Maintenant, vous et moi allons chercher le capitaine Carter et ses hommes. Nous continuerons à vous surveiller. Si vous voulez entrer en contact, posez un exemplaire de l’Irish Times sur le tableau de bord de votre voiture quand vous vous garez. Je vous saurais gré de partager vos découvertes. Je ferai de même. Mais juste une chose.
— Quoi ?
— Ne parlez pas de moi à Skorzeny, ni de ce que je vous ai dit. Ne mentionnez pas Carter. Il voudra savoir comment vous avez été informé. S’il soupçonne que vous lui cachez quelque chose, alors, croyez-moi, la conversation que vous aurez avec lui ne sera pas aussi cordiale que celle-ci.
— Et si je refuse de coopérer ? Si je raconte tout à Skorzeny ? »
Weiss se pencha en avant, souriant à nouveau de toutes ses dents. « Alors je vous tuerai, vous et tous ceux que vous aimez. »
26
Foss ne craquait pas.
Même après qu’un deuxième ongle lui fut arraché, il résistait. Il pleurait et gémissait dans sa langue maternelle, les chiens dans la cour lui répondaient par des hurlements. Il se tordait et se débattait au point que les gardes durent le maintenir. Mais il niait toujours.
Deux ongles sautèrent encore. Cris, contorsions, et toujours pas d’aveux.
« Ça ne marche pas, dit Skorzeny. Coupez un doigt. »
Réprimant un sourire, Lainé posa le canif sur la table. Il attrapa le sécateur, coinça l’auriculaire de Foss entre les lames, juste sous la dernière phalange, et serra.