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« Je vous ai raconté, à Paris, le peintre qui m’a demandé de poser pour lui. J’ai fait semblant d’être offensée quand j’ai refusé, mais en rentrant dans le petit appartement que je partageais avec d’autres filles, je me suis regardée dans la glace et j’ai dit tout haut : “Est-ce que je suis jolie ?”

« Cette même semaine, un homme est venu me voir au consulat et m’a proposé une mission très particulière. Je devais me rendre à une soirée et engager la conversation avec un monsieur, un conseiller à l’ambassade de Grande-Bretagne. Et essayer de me faire inviter à dîner. C’est ce qui s’est produit. Le dîner était affreusement rasoir, le conseiller a parlé de prospection commerciale, de politique, d’investissements plus ou moins prometteurs, et j’ai failli m’endormir sur mon assiette.

« Mais l’homme est revenu au consulat. Mr. Waugh, il s’appelait. Je lui ai rapporté la conversation, il était très content et j’ai eu droit à un week-end dans un hôtel chic à Nice et à une prime extrêmement généreuse. Les choses ont continué ainsi. Un employé de bureau, un diplomate, un homme d’affaires. Parfois même un Irlandais. Ça ne nuisait à personne, les messieurs passaient un bon moment et j’étais incroyablement bien payée. Mr. Waugh y veillait. »

Celia se mit sur son séant et posa une main sur l’épaule de Ryan.

« J’essaie juste de vous dire… Voilà, j’ai cru que ce serait pareil avec vous. Une soirée agréable que je raconterais à Skorzeny. Je n’ai jamais imaginé que cela pouvait être autre chose. Quelque chose de… mal. »

Ryan savait qu’il aurait dû être en colère contre elle. La fatigue l’en empêchait, ou bien était-ce cette chaleur diffuse dans son abdomen. Son esprit, au lieu de réagir à la trahison, se laissait emporter par le contact des doigts qui lui pressaient l’épaule.

« Qui vous a demandé de faire ça ? dit-il.

— Charlie Haughey, par l’intermédiaire de Mr. Waugh.

— Vous devriez contacter Mr. Waugh dès que possible. Dites-lui que vous ne pouvez pas continuer. C’est trop dangereux. »

Elle eut un regard dur qui interdisait à Ryan de mentir. « Dangereux comment ?

— Dangereux, répondit Ryan. Six hommes sont morts ce soir. »

Skorzeny s’était rué entre les arbres, la voix fissurée par la colère. Ryan partit derrière lui, laissant Lainé dans la lumière blafarde de la lampe halogène.

Les jurons le guidaient dans l’obscurité. Il butait sur des racines, les branches des buissons s’accrochaient à ses jambes.

« Ici ! »

L’appel de Skorzeny troua la nuit. Ryan bifurqua dans cette direction.

Il trouva l’Autrichien au milieu d’une clairière, accroupi, abritant d’une main la flamme de son briquet. Un homme gisait dans la mousse et les feuilles décomposées, un AK-47 à ses côtés. Son visage éclairé par la lueur tremblante semblait s’animer, passant alternativement de la surprise à la terreur.

Skorzeny se releva pesamment et reprit sa battue. Ryan le talonnait, suivant le bruit de ses foulées entre les arbres. Ils firent le tour de la maison, ratissèrent des clairières et des bosquets. Le temps s’étirait, rythmé par le souffle de Skorzeny qui avançait, comme un métronome dans le noir.

Ryan trébucha sur une masse lourde et molle. L’humus froid et humide le reçut dans sa chute, tandis que ses pieds restaient prisonniers de quelque chose qu’il savait humain.

« Par ici ! » cria-t-il.

Réponse, une quinzaine de mètres plus loin : « Où ? Parlez. J’arrive. »

Seul dans la nuit, Ryan prononça des mots dénués de sens, des sons pour guider Skorzeny.

Skorzeny s’agenouilla près de lui et alluma le briquet. La flamme vacilla. Le mort avait les yeux grands ouverts, un morceau de joue arraché.

Ils débouchèrent à l’aveugle sur l’allée qui menait au portail et à la route. Quelques minutes plus tard, ils découvrirent les corps qu’on avait traînés à l’écart, dans l’obscurité derrière le mur.

Skorzeny haletait comme un chien battu. Il semblait avoir rapetissé.

« Qu’est-ce qu’ils veulent ? » demanda-t-il.

Ryan savait que la question ne lui était pas adressée. Il répondit néanmoins. « Vous. »

Skorzeny le saisit par le devant de sa chemise, ravivant la douleur de la plaie infligée par la pointe de l’épée. « Alors, pourquoi ne viennent-ils pas me chercher ? Pourquoi tout ceci ?

— Parce qu’ils veulent que vous ayez peur. »

Skorzeny retira sa main. « Jamais. »

Ryan pensa à Weiss et à sa mission. Il ne put s’empêcher d’énoncer la seule idée logique qui se présentait à son esprit, sachant que Weiss le tuerait s’il l’apprenait.

« Vous devriez partir, dit-il.

— Quoi ?

— Vous avez des amis en Espagne. Là-bas, vous serez en sécurité. »

Le rire de Skorzeny se répercuta entre les arbres. « M’enfuir ?

— Je ne vois pas d’autre choix.

— Jamais. » D’une violente poussée, Skorzeny envoya Ryan à terre. « Je n’ai jamais fui devant personne. Vous me prenez pour un lâche ? »

Ryan se releva, épousseta son pantalon en ménageant la blessure de sa cuisse. « Non. »

Skorzeny s’approcha. Ryan sentit le brandy dans son haleine. « Vous vous enfuiriez, vous ? La queue entre les jambes ? »

Ryan recula. « Je ne sais pas.

— Vous êtes un lâche ?

— Non.

— Alors pourquoi parlez-vous comme si vous l’étiez ? Vous proposez de fuir. Comme une femme. Comme un enfant. Où sont vos couilles ?

— Je…

— Et pourquoi vous n’avez pas baisé la rouquine ? »

Ryan lui tourna le dos et regagna l’allée de gravier, ignorant ses railleries.

« Hein, pourquoi ? On vous l’offre sur un plateau. Et vous n’avez pas les couilles de la prendre. C’est digne d’un homme, ça ? »

Ryan le laissa fulminer dans le noir.

Celia effleura le cou de Ryan à l’endroit où la plaie formait déjà une mince croûte.

« C’est douloureux ? demanda-t-elle.

— Non. »

Elle posa le menton sur son épaule. Un souffle sur sa peau.

« Vous êtes un homme étrange, Albert Ryan. » Elle lui caressa la joue du dessus des doigts, puis suivit la courbe de sa mâchoire. « Un visage tellement affaissé, tellement triste. Si je vous croisais dans la rue, je me dirais, voilà un homme qui a l’air gentil. Un homme tranquille. Il travaille dans une banque, ou peut-être dans un grand magasin, et il rentre chez lui pour embrasser sa femme et jouer avec ses enfants. »

Ses paroles firent à Ryan l’effet d’épines.

« Et vous êtes là, blessé, à me raconter tous ces morts et la manière dont ils sont morts. »

Ryan se tourna vers elle, bien décidé à parler, mais elle le fit taire avec sa bouche.

Ses lèvres étaient douces et chaudes sur les siennes, ses doigts glissés dans ses cheveux, son corps alangui contre son épaule. Hors d’haleine, il la repoussa, prit une inspiration, se jeta sur elle avec des mains affamées.

Elle écarta les caresses qui se portaient sur ses seins, dit : « Non. » Il obéit. Le lit semblait trop étroit pour leurs deux corps. Elle passa sous lui, une cuisse entre ses jambes, intimidée par la dureté qu’elle y découvrait. De ses dents, elle lui mordillait les lèvres.