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Quand les portes se furent refermées derrière lui, Weiss demanda : « Pourquoi vous n’avez pas fait ça, vous ? La main dans l’eau et le signe de croix.

— Je ne suis pas catholique, répondit Ryan.

— Ah. Alors ni vous ni moi n’avons notre place ici, n’est-ce pas ? »

Un bref instant, Ryan se demanda si Weiss voulait parler de l’église, ou d’autre chose. « Nous ne devrions pas rester là, dit-il. C’est trop près de Merrion Street.

— Les bureaux du gouvernement ? Quoi, vous croyez que Mr. Haughey va venir faire une petite prière pour Skorzeny ? À votre avis, c’est un homme qui aime se mettre à genoux ?

— Non. »

Pour la première fois, même si ce ne fut qu’une lueur à peine visible, le sourire de Weiss gagna ses yeux. « Bon, alors pourquoi Carter et ses hommes n’ont-ils pas tué Skorzeny hier soir ?

— Parce qu’ils veulent lui faire peur, répondit Ryan.

— Et il a peur ?

— En apparence, non, mais au fond, je crois que oui.

— Suffisamment pour courir chez Franco ?

— Non, il refuse de s’enfuir. Il est trop fier.

— Tant mieux. Mais ça ne répond pas à la question. L’inquiéter n’est pas leur objectif. Que veulent-ils réellement ? Tant que nous ne l’aurons pas compris, nous ne pourrons pas espérer coincer ces salopards.

— J’ai un tuyau, dit Ryan. Du solide. »

Weiss inclina la tête et le fixa d’un air dur. « De quoi s’agit-il ?

— Vous le saurez si ça marche.

— Dites-le-moi maintenant. » Weiss se pencha en avant, les traits assombris. « Ne me cachez rien, Albert. Vous provoqueriez ma colère.

— J’ai l’intention de suivre la piste, mais je ne peux rien faire si vous êtes constamment accroché à mes basques. Rappelez tous ceux qui me surveillent. Quand j’aurai besoin de vous parler, je garerai ma voiture devant l’hôtel avec le journal sur le tableau de bord. Je vous préviendrai si je trouve quelque chose. »

Weiss se mordit la lèvre. « Bon sang, Albert, vous me mettez dans une position difficile.

— Si vous voulez que je coopère, laissez-moi me débrouiller seul. Vous n’avez pas d’autre possibilité. »

Weiss serra les poings et fit un tour sur lui-même, le regard perdu dans le vague. « D’accord », dit-il enfin. Il brandit un doigt menaçant. « Mais écoutez-moi bien, Albert. Si je ne suis pas content… »

La menace resta en suspens dans l’air humide de l’église.

Ryan se détourna. « Je vous contacterai. »

39

Ryan explora les rues autour de Fitzroy Avenue, remonta Jones’s Road sur toute sa longueur et redescendit, fit le tour du stade de Croke Park, passa sous la voie de chemin de fer, puis rebroussa chemin. Des voitures étaient garées çà et là au long des trottoirs, devant les alignements de maisons identiques en briques rouges.

La description de Lainé, bien que manquant de précision, lui permettait de se repérer. La première fois, le Breton avait pris un train jusqu’à Amiens Street Station, où Carter et un autre homme l’attendaient. Ils l’embarquèrent à l’arrière d’une camionnette dépourvue de fenêtres. Après un trajet de quelques minutes à peine, la camionnette s’arrêta. Ils lui mirent une taie d’oreiller sur la tête pour le faire descendre, verrouillèrent leur véhicule et le poussèrent contre un mur. Un train passa au-dessus. Dans le vacarme puissant des roues, il sentit le sol trembler sous ses pieds, la brique vibrer au contact de son épaule.

Un homme le tira par le bras. Ils franchirent un portail et entrèrent dans une maison. Une fois à l’intérieur, ils ôtèrent la taie d’oreiller, l’interrogèrent pendant deux heures, puis l’aveuglèrent à nouveau et le ramenèrent à la camionnette.

À sa troisième visite, Lainé aperçut les gradins délabrés du stade entre les portières mal jointes de la camionnette. Il entendit la rumeur caractéristique d’un match. Après l’interrogatoire, ils le firent attendre une heure. Le temps que la foule se disperse, avait dit l’autre homme.

Par la suite, Lainé avait consulté un plan, assemblé les divers morceaux du puzzle et déduit que la maison se trouvait dans la partie est de Fitzroy Avenue, en bordure de la ligne de chemin de fer. Il n’aurait pu la désigner, mais il la situait plutôt à proximité du stade.

Ryan se gara au nord de la voie de chemin de fer, sous les arbres de Holy Cross Avenue. De grosses pousses d’un vert printanier jaillissaient entre les branches alors que les feuilles mortes de l’hiver jonchaient encore les caniveaux.

Il marcha vers le sud, dépassa le croisement avec Clonliffe Road et continua en direction du pont de chemin de fer, puis s’attarda sous les voies pour scruter Fitzroy Avenue un peu plus loin. Pas de piétons, aucun bruit hormis le gazouillis des oiseaux et quelques chiens qui aboyaient.

De l’autre côté du pont, il passa devant le débouché de la venelle desservant l’arrière du pâté de maisons où Lainé pensait avoir été emmené. Il jeta un rapide coup d’œil sans s’arrêter, aperçut une camionnette Bedford et fila tout droit jusqu’à l’épicerie au coin de Fitzroy Avenue.

Il tourna à gauche, marchant d’un air détaché, longeant une rangée de maisons aux fenêtres toutes garnies de voilages. On entrevoyait l’éclat d’un miroir, le rougeoiement d’un âtre.

Toutes sauf une.

Ryan ne ralentit pas l’allure quand il remarqua la couverture tendue en travers de la fenêtre, en plus du voilage. Il compta les maisons jusqu’au bout de l’avenue, tourna encore à gauche et gagna l’autre extrémité de la venelle.

Il distinguait de loin l’arrière de la maison. Des fenêtres obstruées avec des journaux. Un jardin clos de murs, fermé par un portail, face aux arcades en brique qui supportaient la voie ferrée. Une bonne planque, pensa Ryan.

Il se colla au mur afin de ne pas être vu depuis les fenêtres et réfléchit. Un train arrivait, annoncé par le grondement de son moteur diesel, puis répandant une odeur de graisse tandis que les wagons défilaient. Ryan s’enfonça dans la ruelle, dépassa plusieurs jardins et portails, et s’approcha de la camionnette. Quelques mètres plus loin, il remarqua que la voie ferrée s’élargissait en une sorte de balcon aménagé au-dessus du mur de soutènement, plus haut que les toits des maisons, envahi par les mauvaises herbes et les broussailles.

La camionnette était rouge sombre, mangée par la rouille et cabossée. Achetée sans doute dans une casse, pas chez un concessionnaire. Ryan remonta le véhicule du côté opposé à la maison. Des mégots de cigarette jonchaient le plancher devant le siège du passager. La cabine contenait seulement une bouteille thermos et un journal plié qui datait de plusieurs semaines. Une ruse, pour faire croire que la camionnette appartenait à des ouvriers.

Parvenu au bout de la ruelle, il s’engagea dans un tunnel sous la voie ferrée et, une fois de l’autre côté, escalada le talus herbeux qui bordait les rails. Il dut se garder d’un autre train qui filait en sens inverse, puis traversa les voies et gagna le balcon en surplomb au sommet du mur de soutènement. Là, couché parmi le lierre et le feuillage dense, il avait une vue dégagée sur la ruelle en dessous et sur la camionnette Bedford. L’entrée principale de la maison échappait à sa surveillance, mais il pouvait observer le croisement de Fitzroy Avenue et de Jones’s Road, par où l’on arrivait après avoir dépassé le stade. De toute façon, s’ils amenaient leur camionnette dans la ruelle plutôt que dans une avenue offrant quantité de places où se garer, cela signifiait qu’ils entraient et sortaient par l’arrière de la maison. Échappant aux regards des voisins tandis qu’ils se livraient à leurs activités.