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Du reste, il ne s’en plaignait pas. Il n’appréciait pas Célestin Lainé, mais le Breton était utile, aussi tolérait-il sa présence dans la maison. Frau Tiernan, elle, le supportait assez mal, et avait plusieurs fois exprimé son mécontentement. Skorzeny lui répondait que Lainé ne resterait pas longtemps, et l’assurait qu’elle n’aurait plus à nettoyer derrière lui et sa fichue bestiole.

Skorzeny avait passé les dernières trente-six heures à réfléchir, considérant diverses options, entretenant des soupçons. Bien sûr, Ryan avait raison, il ferait mieux de sauter dans un avion pour Madrid et d’attendre au soleil que cette histoire absurde se termine. Mais s’il avait été le genre d’homme qui bat en retraite, qui s’enfuit à l’approche du danger, il ne serait pas Otto Skorzeny. Il n’aurait jamais goûté à la gloire, aux femmes, au pouvoir ou aux richesses qui lui étaient offertes. Il serait resté un ingénieur, vissé derrière un bureau à Vienne, attendant le versement d’une pension ou une crise cardiaque, selon ce qui se produirait en premier.

Qui que soient ces terroristes — oui, terroristes était le mot exact —, et quoi qu’ils veulent, il ne bougerait pas d’ici, personne ne le chasserait de cette terre, ni par la menace ni par des actes. S’ils voulaient s’attaquer à lui, qu’ils se préparent à livrer combat.

Otto Skorzeny n’en avait jamais perdu un seul.

D’ailleurs, on ne lui réserverait peut-être pas un accueil des plus chaleureux à Madrid, compte tenu des récents événements.

À Tarragone, Luca Impelliteri s’était assis à table en face de Skorzeny, huit heures après avoir exprimé sa demande, souriant de son air entendu pendant que les autres invités de Franco bavardaient tout autour. Une jeune Espagnole l’accompagnait, et de la main effleurait constamment son bras bronzé.

De temps en temps, quand Impelliteri lui parlait à l’oreille, elle souriait et rougissait. L’Italien posait alors les yeux sur Skorzeny, lui rappelant d’un regard acéré la récompense qu’il s’imaginait déjà avoir gagnée.

Mais il n’avait rien gagné, sinon le sort qu’il méritait.

Cette nuit-là, un peu avant l’aube, Skorzeny fut réveillé par le téléphone dans sa chambre d’hôtel.

« SS-Obersturmbannführer Skorzeny ? »

Une voix de femme.

« Qui est à l’appareil ? demanda-t-il, bien qu’il connût la réponse.

— Je suis envoyée par votre vieil ami.

— Parfait, dit Skorzeny. Où êtes-vous ?

— Dans un hôtel au bout de la Rambla Nova.

— Vous savez ce que j’attends de vous ?

— Je sais de quoi il s’agit, mais pas de qui. »

La Méditerranée léchait les rochers sous la fenêtre de Skorzeny. Il avait donné le nom.

Il regagna la maison, nettoya ses bottes devant la porte de la cuisine et entra.

Frau Tiernan, debout devant l’évier, faisait la vaisselle du petit déjeuner.

« J’aimerais une tasse de café dans mon bureau, dit-il en allemand. Demandez à Esteban de me l’apporter quand il sera prêt. »

Elle leva les yeux. « Bien, monsieur. Vous trouverez le courrier sur votre table. »

Dans son bureau, Skorzeny s’assit à sa table de travail et alluma une cigarette. Il examina la provenance des cinq enveloppes. Pieter Menten en Hollande, un évêque au Portugal, deux vieux Kameraden en Argentine.

La cinquième enveloppe portait le cachet de Dublin. L’intitulé avait été tapé à la machine : SS-Obersturbannführer Otto Skorzeny.

Il se sentit brusquement la bouche sèche. Il tira fort sur sa cigarette, la posa dans le cendrier et ouvrit l’enveloppe.

Une page, dactylographiée.

Il lut. La colère lui nouait les tripes. Il serra le poing, relut la lettre.

Puis il rit.

41

Ryan relut ses notes de la veille, bien qu’il ne se soit pas passé grand-chose durant ces heures qui s’écoulaient lentement. Un bébé avait pleuré plusieurs fois au cours de la nuit, réclamant d’être nourri. Un couple s’était engagé dans une violente dispute qui avait duré jusqu’à plus de minuit. Un chien aboyait de temps en temps. Dans la maison la plus proche, dont la fenêtre de la chambre était ouverte, il entendit le lit grincer, les grognements d’un homme atteignant l’orgasme, une porte qui se fermait, les pleurs d’une femme.

Ryan s’écarta d’un ou deux mètres lorsqu’il eut besoin de soulager sa vessie, rampant sans bruit entre les tiges de lierre.

Plus tard dans la nuit, il lutta contre le sommeil en buvant du café. Mais il finit par succomber et s’éveilla d’un cauchemar où des murs s’effondraient sur lui et l’ensevelissaient, tandis que le vacarme du premier train lui emplissait les oreilles. Quand il eut retrouvé ses esprits, il regarda sa montre. Pas tout à fait six heures et demie.

La vie reprenait tout autour. Le bébé pleurait, des chiens aboyaient, des mères houspillaient leurs enfants. Bientôt, les hommes partirent au travail, le pas lourd, frissonnant dans le froid du matin, une cigarette aux lèvres, portant sous le bras leur déjeuner enveloppé dans du papier journal.

La camionnette du laitier tourna dans l’avenue. Ryan la perdit de vue derrière les maisons, mais il entendit le tintement des bouteilles et le laitier qui sifflotait.

L’épicerie au coin de la rue, tout près de l’observatoire de Ryan, ouvrit aux alentours de sept heures et demie. Le propriétaire essuya la devanture et balaya par terre.

L’attention de Ryan fut attirée par un mouvement du côté de la maison. Il jeta un coup d’œil à sa montre : à peine un peu plus de huit heures. Un homme petit et trapu franchit le portail du jardin et avança dans la ruelle, en direction de Ryan. Un soldat, ça ne faisait aucun doute, avec cette coupe de cheveux et la démarche assortie. Quelqu’un qui avait vu de l’action. Ryan lui donna une trentaine d’années. Trop jeune pour avoir participé à la Seconde Guerre mondiale, mais très probablement envoyé en Corée.

L’homme entra dans l’épicerie. À travers la vitre, Ryan le vit saluer le propriétaire d’un signe de tête et lui adresser un message laconique. Il ressortit avec un paquet de cigarettes et une boîte d’allumettes, fourra la monnaie dans sa poche et repartit vers la maison en courant à petites foulées.

Ryan avait deviné juste : les allées et venues se faisaient par l’arrière de la maison, pas du côté de l’avenue.

Dix minutes plus tard, deux autres hommes apparurent. Ryan regarda dans ses jumelles. Il reconnut le capitaine John Carter. Les joues plus pleines, les cheveux dégarnis sur le haut du crâne, mais c’était bien lui. Son compagnon le dépassait d’une bonne dizaine de centimètres et l’écoutait en hochant respectueusement la tête. Son visage aussi s’était inscrit dans la mémoire de Ryan : il se tenait à côté de Carter sur la photo donnée par Weiss. Carter ouvrit la portière de la camionnette et s’assit au volant. Il se pencha pour déverrouiller la portière du passager. L’autre homme termina sa cigarette avant de monter.

Le bruit du moteur emplit l’espace, renvoyé par les arches de la voie ferrée. Carter démarra en gardant un œil sur ses rétroviseurs latéraux. La ruelle était à peine assez large pour laisser passer la camionnette.

Ryan s’aplatit dans le lierre. À travers le feuillage, il distingua les traits de Carter et de son coéquipier. Les deux hommes semblaient avoir le même âge, quarante-cinq ans environ.