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— En face de vous, colonel.

— Je vous demande pardon ?

— Nous n’avons aucun ennemi, dit Haughey. Cette lettre vous était adressée, à vous et à personne d’autre. Vos ennemis ne sont que les vôtres.

— Croyez-moi, monsieur le ministre, il vaut mieux que vous ne comptiez pas parmi eux.

— La réciproque est vraie aussi, colonel. Réfléchissez bien avant de me menacer. Je peux faire de l’Irlande une maison très froide pour vous et vos semblables. Mais il est encore trop tôt pour nous engager dans cette voie. Ne nous disputons pas à cause du lieutenant Ryan. Je suis certain qu’il ressurgira d’ici peu. »

Skorzeny posa le combiné sur son support et agita la sonnette.

Esteban entra. Il allait se retirer en emportant le téléphone quand Skorzeny le retint. « Attendez. »

Après un silence, le temps de prendre sa décision, Skorzeny ordonna : « Apportez-moi mon manteau, Esteban. Je dois me rendre en ville. »

À la porte, la femme demanda : « Celia vous attend ?

— Non, chère madame », répondit Skorzeny.

Elle sourit en réponse à cet excès de politesse. « Venez. Vous pouvez attendre à l’intérieur. »

Il lui emboîta le pas pour traverser le vestibule.

« J’en ai pour une minute », dit-elle après l’avoir fait entrer au salon.

Elle revint deux minutes plus tard. « La voilà. »

Celia entra. Elle s’arrêta net en voyant Skorzeny.

« Miss Hume », dit-il.

Celia ne répondit pas.

« Eh bien, je vous laisse, dit la logeuse.

— Non, dit Celia. Restez. »

La logeuse hésita.

« C’est une affaire privée », dit Skorzeny.

Celia sourit poliment. « Peu importe, je préfère que Mrs. Highland assiste à notre conversation. Asseyez-vous, je vous en prie. »

Elle prit place dans l’un des deux fauteuils, Mrs. Highland dans l’autre. Skorzeny resta debout.

Après un silence, Mrs. Highland demanda : « Désirez-vous une tasse de thé, monsieur… Pardonnez-moi, je n’ai pas compris votre nom.

— Non, merci, dit Celia. Le colonel Skorzeny ne veut rien.

— Oh ! » Mrs. Highland croisa les mains sur ses genoux. Voyant que personne ne prenait la parole, elle dit : « Le temps est vraiment instable, n’est-ce pas ? »

Aucune réaction.

« Pourquoi souhaitiez-vous me voir, colonel Skorzeny ?

— C’est à propos de notre ami, répondit-il en s’asseyant sur le canapé. Le lieutenant Ryan. Je dois absolument lui parler, mais je ne parviens pas à le joindre. J’espérais que vous seriez informée de ses déplacements.

— Non, je ne sais pas où il est. Désolée. »

Skorzeny la dévisagea fixement. « Je me permets d’insister, miss Hume. Il s’agit d’une affaire de la plus haute importance.

— Je vous le répète, je ne sais pas où il est. Je regrette de ne pas pouvoir vous répondre. »

Il ne la lâchait pas des yeux. Elle regarda le tapis. « Miss Hume, je ne ménagerai pas mes efforts — tous mes efforts — pour retrouver le lieutenant Ryan. Vous me comprenez ? »

Il vit qu’elle déglutissait avec peine, les mains tremblantes.

« J’ai parlé avec Albert hier. Il m’a dit qu’il devait partir pendant un jour ou deux. À cause de son travail. Il n’a pas voulu me dire où, ni pourquoi. C’est tout ce que je sais. »

Mrs. Highland remarqua que la jeune femme se tordait nerveusement les doigts.

Skorzeny se pencha en avant. « Miss Hume, si vous avez omis de mentionner quelque chose, je serai extrêmement déçu. »

Mrs. Highland se leva. Elle parla avec un trémolo dans la voix. « Monsieur… Pardon, je n’ai pas retenu votre nom ?

— Skorzeny, dit-il en se levant aussi. Colonel Otto Skorzeny.

— Monsieur Skorzeny. Je n’aime pas beaucoup votre ton. J’ignore de quoi il est question exactement, mais miss Hume a été confiée à mes bons soins et il me déplaît de voir que vous la troublez considérablement. Vous n’êtes pas le bienvenu chez moi. Je vous saurais gré de bien vouloir partir maintenant. »

Skorzeny ne put retenir le sourire qui lui étirait les lèvres.

« Mais bien sûr, chère madame. Veuillez excuser mon intrusion. Ne me raccompagnez pas, je vous en prie. »

À la porte, il se retourna sur le seuil pour s’adresser à Celia. « Miss Hume, appelez-moi si la destination du lieutenant Ryan vous revient. Je vous en serai infiniment reconnaissant. »

Celia regardait droit devant elle, silencieuse et immobile. Seule sa poitrine se soulevait et s’abaissait à un rythme rapide.

Skorzeny ressortit dans la rue. Il consulta sa montre et décida d’aller dîner dans un des meilleurs hôtels de la ville.

Le Shelbourne peut-être, ou le Royal Hibernian. On y servait des repas pour le moins acceptables.

L’appétit le gagnait déjà.

43

La camionnette repartit un peu avant sept heures du soir, cette fois emportant les trois hommes, Carter toujours au volant. Ils revinrent à la nuit tombée, dans la faible lueur des lampadaires.

Ryan les observa avec les jumelles.

Les hommes riaient, l’air détendu. Carter aussi. Wallace parlait avec animation, le visage fendu d’un large sourire, les mains volubiles.

Samedi soir. Ils étaient sans doute allés dîner et avaient bu quelques bières. Même en pleine zone de combat, les hommes devaient parfois se délasser. La sortie calmerait peut-être les nerfs de Wallace. Mais Ryan savait bien que Carter ne lâcherait pas davantage de lest. Après cette petite récréation, il resserrerait aussitôt la bride.

Le trio réintégra ses quartiers et les lumières s’allumèrent derrière les fenêtres opacifiées avec du papier journal. Quinze minutes plus tard, tous les feux étaient éteints. Une obscurité totale régnait dans la maison.

Ryan regarda sa montre.

Onze heures.

Plus rien ne bougerait à présent. Il s’installa confortablement pour la nuit, s’emmitoufla dans sa veste et se fit un oreiller avec son sac à dos. Le bruit des rues tout autour était réconfortant, les aboiements des chiens, les cris lointains des hommes ivres, les ébats amoureux contraints dans la maison la plus proche.

Ryan ferma les yeux.

Le vrombissement du premier train l’éveilla, pareil à un tentacule visqueux qui l’arrachait à ses rêves puis le rejetait dans le lierre, désorienté et comme en apesanteur, le temps qu’il retrouve ses esprits.

Il vérifia d’abord que la camionnette était toujours là, garée dans la ruelle, puis s’écarta en rampant pour faire ses besoins. Une fois soulagé, il sortit le reste du pain et le morceau de fromage du sac à dos et prit son petit déjeuner. Il grimaça en buvant le café qui était froid depuis longtemps. La barbe rugueuse sur son menton lui piquait le bout des doigts.

Dimanche. La matinée avançait lentement. De rares habitants s’aventuraient dans la rue, rompant la monotonie de sa surveillance. Il bâilla, remua les doigts et les orteils, inventa des jeux pour passer le temps. Nommer les oiseaux tout autour, parier sur la couleur des voitures qu’il entendait approcher.

Personne n’entra dans la maison ni n’en sortit.

Midi sonna. Bientôt une heure. Il avait épuisé ses maigres provisions et son estomac se mit à gargouiller. Il supportait depuis des heures l’odeur du bacon frit, des œufs et du pain grillé qui émanait des maisons. Si l’épicerie du coin avait ouvert, il se serait peut-être risqué à quitter son poste pour s’acheter quelque chose, mais le magasin demeurait obstinément fermé, et le resterait sans doute toute la journée.