— Je… je ne… »
Weiss leva une main pour le faire taire. « C’est bon. Ne gaspillez pas votre énergie. »
Carter rejoignit Weiss et parla à voix basse. « Qu’est-ce que vous faites ? Finissons-le et fichons le camp.
— Non, dit Weiss. Un instant. Laissez-moi lui parler. »
Carter considéra tour à tour Weiss et Ryan. « D’accord. Cinq minutes. Après je mets fin à ses souffrances. »
Carter partit s’asseoir sur le rebord de la fenêtre, avec l’air réjoui d’un enfant volontaire qui pense avoir obtenu ce qu’il voulait.
Les paupières de Ryan retombaient comme de lourds rideaux qu’il avait du mal à garder ouverts. « Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-il.
Weiss posa une main sur son épaule. « Ce n’est rien, Albert. Je veux juste vous parler. Prenez votre temps. Revenez à vous. Ces messieurs attendront. »
Ryan ferma les yeux. Weiss alla chercher une chaise à l’autre bout de la pièce et revint s’asseoir face à lui, le journal posé sur ses genoux.
« On dirait que nous avons déjà joué cette scène, dit Weiss. Mais ce n’était pas aussi éprouvant la dernière fois, vous ne trouvez pas ?
— Qu’est-ce qui se passe ? répéta Ryan.
— Le capitaine Carter a insisté pour vous interroger selon ses propres méthodes. Je regrette de lui avoir donné champ libre, Albert, mais il fallait que je sache si vous me trahiriez ou non. Je vous prie d’accepter mes excuses.
— Que faites-vous ici ?
— Je veille à ce que les choses n’aillent pas trop loin. J’aurais dû intervenir plus tôt probablement. Mais vous vous êtes très bien comporté, Albert, je suis impressionné.
— Dites-moi ce qui se passe, par pitié. »
Weiss acquiesça. « Bon. Vous comprenez maintenant de quoi il s’agit. C’est une opération financière. Otto Skorzeny a mis un paquet d’argent à gauche et nous voulons toucher une part du gâteau. Pas tout, même pas le plus gros morceau. Juste une bouchée. »
Ryan secoua la tête encore une fois. « Mais vous avez dit… votre mission.
— Ma mission tient toujours, répliqua Weiss. Ceci n’est qu’une petite affaire annexe. Je travaille ici pour mon compte, si vous voulez. Le projet a été initié par le capitaine Carter. C’est lui qui a recruté son équipe, et je l’ai rejoint ensuite. Je contrôle toujours les réseaux d’exfiltration de Skorzeny, et j’ajoute un peu de beurre dans mes épinards. Où est le mal ?
— Mais ces gens… Ils sont morts pour ça ? »
Weiss sourit. « C’étaient de sales nazis, Albert. Ils ne méritaient pas de continuer à marcher et à respirer parmi les êtres humains.
— Catherine Beauchamp. Elle ne méritait pas de mourir. »
Weiss haussa les épaules pour marquer un vague assentiment. « Peut-être pas, mais elle s’est tuée elle-même. Si vous n’aviez pas débarqué chez elle, elle serait toujours en vie. Vous ne pouvez pas me faire porter le poids de cette faute.
— Tout ça. Pour de l’argent.
— Évidemment. Quelle autre raison vous faudrait-il ? »
Ryan ne répondit pas à la question. Il demanda seulement : « Pourquoi m’avez-vous entraîné là-dedans ?
— Je ne vous ai pas entraîné. C’est Charles Haughey qui vous a engagé.
— Mais vous m’avez contacté. Dans le pub… Vous êtes venu me trouver.
— Exact. Quand je me suis aperçu que vous commenciez à remonter la piste, j’ai cherché à prendre la mesure de l’adversaire. Puis j’ai pensé, pourquoi ne pas m’en faire un allié ? Vous avez été mon infiltré. Le meilleur élément qu’on puisse imaginer, Albert, parce qu’il ne le sait même pas. J’ai donc semé des petits cailloux pour vous montrer le chemin. Nous avions déjà tiré le maximum de Célestin Lainé. Vous auriez fini par découvrir qu’il était l’indic et je voulais voir si cela vous conduirait jusqu’à Carter. Je voulais voir si vous présentiez un risque potentiel pour l’opération. Il s’avère que oui et je suis content de vous avoir mis au pas avant que vous ne causiez trop de dégâts. D’autant que vous pourriez encore me servir. »
Weiss se pencha en avant et montra le journal à Ryan. Celui-ci fixa la page, la vue trouble, bouche béante.
Weiss se redressa. « Très bien, je vais vous le lire. » Il prit une inspiration et se lança : « Au Traqueur assidu — c’est nous, au fait. Je n’accepte pas vos conditions. En revanche, je veux bien accorder un tiers du montant à celui d’entre vous qui me prouvera qu’il est le seul survivant. »
Weiss leva les yeux du journal. « Vous comprenez ce que ça signifie ?
— Non, dit Ryan.
— Ça veut dire que le colonel Skorzeny est malin, mais peut-être pas aussi malin qu’il le pense. En d’autres termes, il donnera un demi-million de dollars à celui qui est prêt à trahir les autres, à les tuer et à lui en fournir la preuve. »
Ryan laissa flotter son regard sur chacun des hommes présents dans la pièce.
Weiss lui tapota le genou pour regagner son attention. « Mais bien sûr, je l’avais prévu. Nous nous sommes concertés et nous avons éliminé la possibilité d’une telle trahison. »
Ryan rit. La douleur ravivée dans ses muscles le fit grimacer. « Vous croyez vraiment que vous pouvez faire confiance à ces hommes ?
— La confiance n’a rien à voir là-dedans. C’est une question de logique. Imaginons que je tue tous les autres dans cette pièce et que j’apporte leurs têtes à Skorzeny. Vous croyez qu’il honorera sa promesse ? Ou plutôt qu’il me coupera les couilles et me les enfoncera dans la gorge ? Moi, j’opte pour la deuxième proposition. Non, la stratégie gagnante consiste à rester ensemble. Un groupe uni peut le faire craquer. Tandis qu’un cavalier seul, Skorzeny le détruira. Vous n’êtes pas d’accord avec moi ?
— C’est de la folie. Vous êtes dingues.
— Peut-être. Mais si je n’obéissais qu’à des impératifs purement rationnels, je serais encore en train de gérer la comptabilité de la pharmacie de mon père à Brooklyn au lieu de me battre pour Israël.
— Vous ne vous battez pas pour Israël. Vous essayez de gagner de l’argent.
— Laissons ce désaccord de côté pour l’instant. Nous avons une question plus urgente à régler. »
Ryan attendit.
« Vous ne me demandez pas laquelle ?
— Je m’en moque », dit Ryan.
Weiss inclina le buste en avant. « Cela devrait vous intéresser, pourtant. Car la question est la suivante : qu’allons-nous faire du lieutenant Ryan ? »
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Ryan savait que Weiss attendait une réponse, une manifestation de peur ou de colère. Il garda le silence.
« Évidemment, reprit Weiss, le plus judicieux, ce serait de vous tuer et de balancer votre cadavre devant la porte de Skorzeny. Pour lui faire comprendre qu’il ne peut pas marchander avec nous. »
Wallace sourit de toutes ses dents. Carter et Gracey restaient impassibles.
« Alors qu’est-ce que vous attendez ? demanda Ryan.
— C’est le plan qui était prévu », dit Weiss.
Carter se détacha de la fenêtre. « C’est toujours le plan. »
Weiss leva une main pour lui intimer le silence. « J’ai des doutes, maintenant.
— Foutaises, dit Carter en rejoignant Weiss. On s’était mis d’accord. Une balle dans la tête, un message dans la poche. Bon sang, on en a discuté pendant deux jours. »
Ryan vit la colère incendier le visage de Carter, le calme tranquille sur celui de Weiss. Lequel de ces deux hommes était le chef ?