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Quand il était revenu un peu plus chaudement habillé, son visage s'était fendu d'un sourire qui pouvait faire fondre n'importe quelle femme injustement soupçonnée de meurtre. Elle n'avait pas pu s'empêcher de lui rendre son sourire et elle l'avait écouté lui confier quel allait être leur premier coup. Il allait envoyer un mail à la police et lui fournir un alibi pour la nuit dernière. Elle avait hésité et lui avait demandé de ne pas révéler où ils se trouvaient et surtout pas qui il était. Il l'avait alors regardée, avec son air je-suis-quand-même-pas-débile-à-ce-point-là. Et il lui avait expliqué que, s'il voulait qu'ils sachent qui il était, il n'avait qu'à faire ça depuis chez lui. Pour préserver son identité, il suffisait qu'il utilise l'ordinateur de la bibliothèque du quartier.

Elle était donc assise sur un banc, dans le jardin public, en train de l'attendre. Sur Medborgarplatsen, les gens flânaient comme ils le font volontiers le samedi, mais, heureusement, elle ne vit pas de visage connu sur les autres bancs.

Au bout de dix minutes, il fut de retour.

- Qu'est-ce que tu leur as dit?

- Que Sibylla Forsenström est en train de les attendre à Medborgarplatsen mais qu'elle est innocente.

Elle se laissa prendre une seconde, puis soupira:

- C'est même pas drôle, Patrik.

- Non, j'ai dit que je voulais pas révéler qui j'étais mais que j'étais sûr à cent pour cent que t'étais pas coupable.

Une idée lui vint à l'esprit.

- Comment le sais-tu? J'aurais très bien pu tuer tous les autres. Mis à part celui de cette nuit.

- Oh, la vache! Tu sais que t'as l'air super dangereuse!

Elle n'en démordit pas.

- Sérieusement? Tu crois que c'est moi?

Il la regarda en fronçant les sourcils.

- C'est toi?

Elle attendit une seconde avant de répondre. Puis elle eut un sourire.

- Non. Mais tu vois: tu n'en es même pas sûr.

- Si je le suis, c'est toi qui dis des conneries.

Il avait l'air vexé et elle l'était également. Elle n'avait pas l'intention d'être un petit joujou passionnant avec lequel il pourrait se distraire pendant un certain temps.

- Je veux seulement te mettre en garde: ne gobe pas tout ce qu'on te dit.

Son froncement de sourcils ne fit que s'accentuer. Il ne comprenait vraiment pas ce qu'elle voulait dire.

Parfait. Cela lui permettrait de conserver la maîtrise de la situation.

Il s'assit près d'elle et ils gardèrent le silence un instant. Les gens passaient près d'eux et ils les suivaient du regard, mais personne ne semblait attacher d'importance à ce couple un peu étrange assis sur un banc.

Soudain, deux voitures de police descendirent la côte de Götaland à toute allure et vinrent se ranger sur la place. Elles n'actionnaient pas leurs sirènes, mais leurs feux rotatifs bleus suffisaient à faire le vide devant elles. Dès qu'elles furent arrêtées, les portières s'ouvrirent et deux agents descendirent et pénétrèrent dans la bibliothèque au pas de course.

Il valait mieux ne pas faire de vieux os à cet endroit.

Ils se regardèrent et se levèrent. Ils pressèrent le pas le long de Tjärhovsgatan et tournèrent pour monter en direction de la place de Mosebacke. Toujours en silence, ils s'assirent sur un banc. Ce jour-là, le soleil avait enfin réussi à percer la masse nuageuse compacte qui avait recouvert Stockholm au cours de ces dernières semaines. Sibylla posa son sac à dos près d'elle, se rejeta en arrière et ferma les yeux. Ah, pouvoir partir à l'étranger, vers un pays où le soleil brillait en permanence et où personne ne serait à ses trousses. Elle n'était encore jamais sortie de Suède. Ses parents, eux, étaient allés à Majorque une ou deux fois, quand elle était petite, mais pas elle. Et maintenant, elle n'avait pas de passeport.

Après un quart d'heure de silence, au moins, il se tourna vers elle.

- Je vais aller voir sur l'ordinateur de ma mère, à son boulot.

Pas plus compliqué que ça.

- Tu n'as pas le droit.

- Je sais bien, mais je vais le faire quand même.

- Je te l'interdis. Je ne veux pas que tu sois mêlé à cette affaire.

Il pouffa.

- Je le suis déjà, non?

Il était difficile de le nier. Mais si elle avait pu se douter à l'avance de ce qu'il allait entreprendre, ou même de la moitié, elle aurait laissé tomber. À l'âge de Patrik, elle restait toujours muette comme une carpe et écoutait poliment ce que les adultes avaient à dire.

Mais quand on connaissait le résultat...

- Tu peux vraiment le faire sans risque?

- Il suffit que je dise que je vais voir ma mère et ensuite de demander à l'attendre dans son bureau.

- Mais tu m'as dit qu'elle était en stage.

- Ils le savent pas, à la réception.

- Mais s'ils le savaient?

Il commençait à se lasser d'un pareil manque d'enthousiasme.

- Je trouverai un autre moyen, alors.

Il était trop fort pour elle. Comment faire?

- Et s'ils te surprennent?

- C'est pas possible.

- J'ai dit si...

Il ne semblait pas avoir l'intention de répondre à cela. Il se tapa sur les cuisses et se leva.

- On y va?

- Où ça?

Il eut l'air de se demander pourquoi il fallait tout lui expliquer deux fois.

- Là où bosse ma mère!

Elle le regarda en silence. Il était ou bien son ange gardien ou bien celui qui allait la précipiter dans le gouffre. Mais ce genre de chose, on ne le savait qu'après coup.

- T'as pas d'objection à ce que je ne t'accompagne pas pour cette tentative d'effraction dans un local de police?

Il eut un petit sourire.

- Où est-ce qu'on se retrouve?

Elle ne l'entendit pas arriver. Elle l'attendait, assise sur un banc, sur le quai de l'Hôtel-de-Ville. Lorsque l'aiguille des minutes de l'horloge du clocher de l'église de Riddarholm eut fait un tour complet sur elle-même, elle avait commencé à songer sérieusement à partir.

Mais elle était restée.

Une demi-heure plus tard, une feuille de papier se mit à danser juste devant son nez.

Il était arrivé sans faire de bruit et, quand elle se retourna, elle vit la fierté luire dans ses yeux, derrière ses lunettes cerclées de métal.

Elle prit la feuille et se mit à lire. Le premier nom était celui de Jörgen Grundberg. Il était suivi de trois autres. Un homme et deux femmes. Quatre inconnus que la police l'accusait d'avoir tués.

- La liste des victimes. Avec leur adresse et leur numéro national d'identification.

Il se pencha par-dessus son épaule.

- Apparemment, celle de cette nuit vivait à Stocksund. C'est à Stockholm, ça, hein?

Elle opina. Son alibi ne valait donc plus grand-chose. Elle aurait parfaitement pu y aller et en revenir pendant que Patrik dormait du sommeil du juste dans le grenier de l'école. Elle le regarda. Il ne semblait pas s'être fait cette réflexion. Pas encore. Il était tout à son exploit.

Elle baissa la feuille de papier et regarda Riddarfjärden. L'eau étincelait sous les rayons du soleil. Quelques canards passèrent devant eux en flottant sur l'eau.

- Bon. Qu'est-ce que tu crois qu'il faut qu'on fasse, maintenant?

Il plongea la main dans sa poche et en tira une nouvelle liasse de papiers.

- J'ai imprimé ce que j'ai trouvé.

- Personne ne t'a vu?

- Non. J'ai pas pu me mettre à l'ordinateur de ma mère, mais celui de Kenta était branché, dans le bureau d'à côté. J'ai profité qu'il allait aux chiottes.

Sibylla secoua la tête.

- T'es vraiment dingue, tu sais.

- Il est resté longtemps, ajouta-t-il avec un sourire en coin. Je crois que ni lui ni ma mère ne s'occupent de cette enquête. J'ai seulement trouvé des renseignements d'ordre général, sur son courrier électronique.

Il déplia les feuilles de papier et lui montra la première.

- Regarde ça. C'est le genre de trucs que l'assassin laisse derrière lui sur le lieu du crime.