Le comte Fornicato, qui est dans le fond un romantique, bien qu’il se fasse miser comme le zéro à la roulette et te pompe un escadron de bersagliers en deux temps trois mouvements (de langue), le comte, disais-je donc, fut ravi par cette découverte. Il y vit l’aventure, telle qu’on la trouvait dans les récits anciens. Ce coffre englouti devait, selon lui, receler un trésor fabuleux, et il se perdait en conjectures sur la nature de son contenu.
Il manda des spécialistes pour procéder à l’ouverture du coffiot, mais vite dut déchanter. Onc ne parvint à violer ce coffre de fabrication extrêmement « sophistiquée » comme ils diraient, ces cons. Véritable chambre forte, il est considéré comme pratiquement inexpugnable. Fabriqué dans un métal spécial, composé d’acier trempé, de fonte renforcée, d’harmonium survasté, de plantagenet injecté et de camouflard, il se rit des chalumeaux oxhydriques, se gausse des scies à métaux les plus mordantes et pouffe dès qu’on essaie de lui bricoler la combinaison. Attends, bouge pas, je t’explique mieux : cette merveille de résistance n’a été tirée qu’à un nombre très restreint d’exemplaires because son fabuleux prix de revient. Elle date du début du siècle et a été bien entendu inventée par des Allemands, ces cons. Les serrures sont au nombre de quatre. Deux s’actionnent avec des clés (et ici, elles sont absentes, tu penses !), deux autres sont à combinaison. Les pênes sont à hérisson, c’est-à-dire qu’en pénétrant dans leurs gâches, ils s’ouvrent comme se déboule un hérisson et chaque pointe d’acier jaillie du pêne pénètre dans des alvéoles destinées à les héberger. En outre, côté des gonds, des ergots énormes s’enfoncent dans le chambranle quand la porte est fermée. Tout ça pour te bien faire comprendre qu’il n’y a rien à faire.
Le comte Fornicato, lui, il devient dingue près de son monument arraché aux abysses. Il veut l’ouvrir. Ne pense plus qu’à ça. A quoi sert de vivre au siècle des voyages cosmiques si on n’est pas foutu de craquer une lourde, nom de Bleu ! Alors, depuis des mois, il bat le rappel des techniciens. Il paie à prix d’or des malfrats que des gens de la pègre lui ont indiqués. Tout ça en vain. Personne ne parvient à ouvrir ce damné coffre. Et puis, récemment, une nouvelle lui parvient. Selon la petite histoire du crime, un seul homme, entre les deux guerres, a pu délourder un « Flagenstaub » (c’est le nom de la marque). Et cet homme, c’est Carlo Spontinini. Il opéra dans une banque de Berlin en 1928. Il était alors aux débuts de sa carrière. Avec le produit de son vol, il gagna les U.S.A. où il fit la brillante carrière que l’on sait. Fin de citation. Tu commences à entraver le topo, Loulou ?
Apprenant la chose, Fornicato s’est mis en quête du vieux malfrat retiré du circuit. Il lui écrivit pour lui proposer une collaboration. Fifty-fifty s’il arrivait à ouvrir le coffre, et un gros dédommagement acquis de toute manière pour le cas où ce dernier ne recèlerait aucune valeur. Corrèque, non ?
Le vieux Spontinini, sa première réac ç’a été de l’envoyer chez Plume, le perruquier des bersagliers, le jeune comte. Paralysé à demi, bourré d’osier, il en avait que tchi à branlocher du coffre mystérieux. Qu’il contienne des lingots ou des pois cassés, ça lui faisait une guibolle grande comme ça, Spontinini.
Mais Fornicato est un obstiné dans son genre, malgré qu’il prenne des paratonnerres à moustache tout plein l’oigne.
Il a récrit, et récrit encore. Trouvé des arguments formides. Causé de la chère Italie. Lancé un défi aux capacités du vieux forban. Eh quoi, il avait donc une mentalité de retraité désormais ? Ne pensait plus qu’à ses bouillottes et à ses toasts de saumon fumé ? Y avait plus que les cours de la Bourse qui l’intéressaient, le fameux gredin qui avait défrayé les chroniques ? C’était donc ainsi une fin de carrière ? La retraite du Parrain, Pont-aux-Dames ? Le Rondon ? Ils étaient donc devenus pattemouille, ces julots terribles dont l’Italie se chuchotait encore les américains exploits ? Finito, le goût de l’aventure ? Pépé gâteau ? Papa gâteux ? Merci bien.
Il lui en a tellement bonni, à Spontinini, que le vieux a eu le sursaut escompté. Il a biché sa bouffée d’orgueil. O.K., j’arrive, merdeux ! Et tu vas voir ce que je vais en faire de ta tirelire, hé, freluque !
Et voilà l’histoire.
Alors Spontinini est ici. Depuis qu’il s’est pointé, il a juste pris un bain, bouffé des plates-côtes à la polenta et il est prostré auprès du coffre, dans la crypte. Quelle crypte ? Celle qui, jadis, servait de chapelle au palais, avant que l’eau de la lagune n’ait monté. Mais à présent, y a juste le chœur qui soit hors d’eau car il est surélevé. Et c’est là qu’on a déposé le « Flagenstaub ».
Moi, j’sais pas si tu partages mon sentiment, mais je la trouve passionnante, cette histoire de coffre repêché. Et la venue de l’autre continent de ce rentier du crime piqué au jeu. Ouvrira, ouvrira pas ?
Maintenant Caramella, elle aimerait être payée de retour. Savoir, mine de rien, en quoi le haut clergé se mêle de cette affaire.
Comme j’ai un peu plus d’imagination qu’une tortue naturalisée (même si elle est naturalisée française) je lui déballe de quoi éteindre sa curiosité.
Le cardinal a su l’histoire du coffre. Par ces chaleurs, tout transpire, n’est-il pas ? Or, l’un de ses péones, vieux rat de bibliothèque, s’est souvenu que le palais voisin a été, au début de ce siècle, habitué par un cardinal allemand retiré à Venise. Caramella m’assure qu’elle n’a jamais entendu causer de la chose, je lui rétorque que pas étonnant vu que personne ne l’a jamais sue. Et bon, je lui continue de cardinal chleuh, cousin par alliance du kaiser, lequel cardinal détenait des documents archi-et-pisse-copeaux terribles concernant le Vatican, comme quoi le pape de l’époque était en réalité franc-maçon, et que tu te rends compte, même avec le recul si on apprenait une chose pareille, au moment de la poussée rouge en Italie, le désastre de Pavie que ça représenterait pour les Démocrates Chrétiens ? Or, un gangster, même retiré des affaires, n’a pas de scrupules, et s’il déverrouille le coffiot, Spontinini va exercer un terrible chantage sur la Sainte Eglise Catholique Romaine. Il faut absolument empêcher cela.
La vieille est déjà à genoux avant la fin de mon exposé et prie en larmoyant. Puis, calmée par ce bain spirituel, elle reprend contact avec moi pour me dire que notre démarche auprès du comte Fornicato sera stérile. Rien ne saurait le fléchir. Il veut ouvrir ce coffre, n’importe les conséquences, et il finira par l’ouvrir.
Je réveille Bérurier, ses ronflements risquant d’attirer l’attention.
— A quelle heure rentre le comte, madame ? Elle branle son sous-chef (car elle est voûtée).
— Oh, mon bon père, guère avant l’aube. Il doit être au Verre Filé cette maudite boîte de la calte Edonie où il passe le plus sombre de ses nuits et le plus clair de son temps.
Je lui file une nouvelle bénédiction express, de soutien moral, car faut toujours porter aide et assistance à son prochain, quand bien même il n’est pas en danger de mort.
Elle me remercie en se signant une fois de plus, comme on signe un bordereau de dépôt.
— Il est évident, dis-je, que nous ne saurions attendre votre pauvre petit comte jusqu’aux autores, ma bien chère fille. Aussi, voilà ce que je vous propose : montrez-moi l’endroit où se trouve le coffre et j’irai réciter sur sa porte si réticente les actions de grâce et de rainier à l’adresse de saint Nicodème-le-meloneux, case postale 813-91, Rome, afin que ces vilaines gens ne puissent l’ouvrir. Pendant que je dirai mes prières, préparez donc un café au père Beruzzi qui a grand mal à rester éveillé.