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Elle est d’accord sur tout. Sa seule objection c’est que Spontinini doit probablement être au chevet du « Flagenstaub ». Qu’à cela ne tienne, dis-je, je réciterai mes oraisons depuis la pièce voisine.

Et d’accord, elle m’entraîne dans les arcanes souricières du palais Fornicato. On longe des couloirs dégoulinants de limon et de salpêtre. De la lumière filtre sous une vieille, très vieille porte démantelée. Il n’est point difficile de voir, non au travers, bien sûr, mais entre ses planches vétustes. Et qu’aperçois-je ? Ne me le donne pas en cent, c’est moi qui te le donne en mille : le père Spontinini dans sa chaise roulante, avec un stéthoscope dans les manettes, penché sur une sorte de mausolée géométrique, de couleur verdâtre, dont il actionne avec minutie les systèmes de sécurité. Il écoute sa serrure comme un praticien ausculte son malade. Près de lui, son secrétaire à tête de névropathe, habillé d’une combinaison blanche, manipule des instruments impressionnants, parce que bizarres, car rien n’intimide autant que ce dont on ne comprend pas l’usage.

La môme Marika est là aussi, assise jambes croisées sur un siège pliant pareil à ceux qui portent le nom du metteur en scène et de Jean Gabin sur les plateaux de cinématographe.

— Eloignez-vous, ma chère fille, recommandé-je à la vieillarde si merveilleusement crédule.

Là-dessus, je tombe à genoux, les bras en croix, éperdu d’une ferveur à la graisse de cheval mécanique que même à Fatima, quand le soleil s’est mis à jouer au con, t’aurais pas pu trouver la pareille.

Caramella se barre. Lorsque ses pas ont décru, sans perdre un instant, je m’élance dans les escaliers.

Négligeant le rez-de-chaussée consacré aux pièces d’apparat, je continue à trajecter jusqu’au premier, mais dans ces palais à la mords-moi le nœud (mais pas trop fort) tu sais ce que c’est ? Y a rien d’assez majestueux, aussi le premier est-il une réplique de l’étage inférieur, avec d’immenses salles aux fenêtres comme les portes de la gare de Lyon, des cheminées où tu pourrais loger une famille calabraise et encore des statues, toutes plus équestres et grandeur nature l’une que les autres, merde, ce qu’ils pouvaient être bêcheurs en ce temps-là !

Alors, l’infatigable Sana poursuit son investigation au deuxième. Enfin, voici les chambres. Je déboucle les lourdes. Par veine, je tombe d’emblée sur celle à la môme Foumela, reconnaissable aux mille conneries féminines qu’une gonzesse se doit d’emporter dans ses bagages. Le Santonio, tu pourras dire de lui ce que tu voudras (et tu ne t’en prives pas) mais tu ne peux pas lui enlever son flair. Il a le nez creux, cézigue. Un sens inné des planques. Quel bon goret-chercheur-de-truffes j’eusse fait !

Si je te disais qu’à peine un coup d’œil circulaire me suffit. Je retapisse une Samsonite carrée sur le fronton d’une armoire. Je me hisse à l’aide d’une chaise, la descends, l’ouvre, constate qu’elle est vide, mais n’en glisse pas moins quatre doigts et un pouce préhensiles dans la pochette de soie à soufflet fixée à l’intérieur de son couvercle. J’en ramène mon passeport et ma brème de royco. Merci saint Antoine, on voit que Padoue est toute proche ! On a beau dire que la langouste est aussi chère en Bretagne qu’à Paris, il n’en reste pas moins (pas davantage non plus) que les saints sont plus efficaces quand tu les mobilises sur leur propre terrain de manœuvre plutôt qu’à dache. Et ça se comprend. Moi, je serais saint, si tu me fais appel à Saint-Cloud, je te serai plus profitable que si tu me carillonnes depuis Tokyo.

Avec une joie indescriptible — alors pourquoi te perdre mon temps à te la raconter ? — j’enfouille mes petits trésors. Ensuite de quoi je remets la valoche en place.

Maintenant, du temps que j’y suis, je cherche la turne à Spontinini. Une mignonne inspection s’impose. Pourquoi ? Pour dire. Comme ça. S’il fallait toujours apporter des arguments d’airain pour justifier ses moindres faits et gestes, on décyclerait de la gamberge.

Sa turne est contiguë à celle de Marika. Me v’là à l’explorer minutieusement. Ses valises sont vides, à l’exception de l’une d’elles qui est pourvue d’un double fond. Dans la cache se trouvent deux revolvers extra-plats, identiques comme jadis une paire de pistolets d’arçon. Ils offrent une particularité par rapport aux autres armes de cette nature, c’est qu’un fil du diamètre de celui d’un rasoir électrique sort de sa crosse et plonge au bout d’un mètre cinquante de tortillon dans une boîte grise en plastique grosse elle aussi comme un rasoir électrique (tu vas dire que j’y tiens, hein ?). Moi qu’ai la passion des gadgets, je me dis que Spontinini peut bien m’offrir un de ses deux feux, en dédommagement des tracas qu’il m’a infligés et je cramponne l’une des armes (si arme il y a, car enfin t’as des pistolets qui font briquet, porte-cigarettes ou taille-crayon).

Non content de ça, tout comme les trois orfèvres après que s’étant rendus chez un bon bourgeois et ayant baisé toute la famille, ils crurent bon de monter sur le toit pour infliger au chat l’aiguillon de leur luxure, je continue d’explorer, sans rien négliger. Ouvrant penderie et tiroirs, examinant tout : les effets comme les objets. Et tombant enfin sur quelque chose que tout autre que moi n’aurait pas remarqué, seulement, dis, Santonio, pousse pas : c’est quelqu’un ! Et ce quelque chose m’ouvre des perspectives, ce qui est toujours très bon pour la santé morale d’un grand policier. Ce dont il s’agit, tu peux toujours aller te faire mettre par les Grecs : je ne te le dirai pas encore. Je suis romancier à suce-pince, et si les romanciers à suce-pince se ménagent pas des coups de théâtre, dis, y n’ont plus qu’à aller vendre des esquimaux au pôle Nord. C’est comme un chasseur qui ferait macérer ses cartouches dans son lavabo avant de débouler dans les halliers solognots. Sache seulement que ma découverte est des plus simples, innocente, quoi. Pas de quoi fouetter une chatte avec un chat à neuf queues ! Une bricole. Mais qu’a des répercussions quand tu y penses bien. Car enfin… Hein ? Bon.

Cette fois, je pars.

La cuisine. Béru qui a un regain d’appétit mange de la mortadelle en lichetrognant du vino rosso.

— Voilà, dis-je à Caramella, mes actions de coordination sont dites. Ce brigand ne pourra pas ouvrir le coffre du cardinal allemand et donc notre Sainte Eglise continuera de rayonner extra. Ne parlez pas de notre visite au comte, surtout. Il est sous la coupe de ces vilaines gens et il risquerait de perdre son salut éternel connement par une réaction inconsidérée auprès de l’évêché. Ah ! qu’il a donc de la chance, madame, d’avoir pour le protéger un ange gardien tel que vous. Je vais vous donner la grande bénédiction sérénitissime, celle qu’on n’accorde généralement qu’aux hommes d’Etat et aux vainqueurs du Giro.

Elle pleure de bonheur.

* * *

La bouille du gondolier, tu la verrais au clair de lune, quand un curé soutané lui demande de le conduire, lui et son compagnon, au Verre Filé, la boîte de pédoques la plus olé olé de Venise.

Il me fait répéter.

— Vous avez dit « au Verre Filé », padre ?

— Oui, mon ami. Nous entreprenons l’action Rédemption destinée à sauver les âmes en perdition dans les lieux de débauche.

Le gondolier soupire en touillant la merde du Grand Canal de son immense cuiller à pot (de chambre) :

— Vous allez avoir du travail, padre !

On débarque derrière la place Saint-Marc, à un ponton de pierre où d’autres gondoles piaffent. Notre homme nous indique le chemin pour gagner le Verre Filé et nous souhaite bonne chance.

Moi, je vais te dire une chose : à partir de très vite, on va en avoir singulièrement besoin.