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— Entre autres. Il avait dû quitter New York à la suite de coups un peu trop fumants et vivait au Canada où nos bons amis de la C.I.A. le gardaient à l’œil. Hier, il a retenu trois places d’avion sur un vol Montréal-Paris : une pour lui, une pour sa maîtresse, une pour son secrétaire…

Chouette époque où les gangsters ont des secrétaires.

— Oui, patron, je suis.

— En ce moment, l’avion où ils ont pris place survole les côtes d’Irlande et il va se poser dans une heure à Orly.

J’ai déjà pigé ce qu’on attend de moi, mais, déférent, j’attends que le Big Taulier me l’expose.

— Un gars de la C.I.A. a pris place à bord du 747. Mais figurez-vous qu’il a été saisi d’un malaise juste avant le décollage, si bien qu’on a différé l’envol de quelques minutes afin de pouvoir le débarquer. La C.I.A. me demande d’attacher mon meilleur collaborateur aux pas de ce gangster notoire et de ne plus le quitter, ce pour un jour environ, le temps que ces messieurs adoptent un dispositif de remplacement et envoient quelqu’un d’autre.

— Merci de me considérer comme votre meilleur collaborateur, m’entends-je roucouler, car un petit coup de lèche n’a jamais fait de mal à personne, ni compromis une carrière, bien au contraire. Donc, je dois filer votre Spontinini jusqu’à demain environ ?

— Non.

Il a toussoté, le vieux bougre. Et cette toux, je la connais bien, elle accompagne toujours ses petites arnaques. C’est le pot d’échappement de sa conscience. Sa manière d’expulser les brimborions de respect humain qui s’accrochent encore à sa belle âme de flic-Dieu.

— Cet étrange oiseau, mon bon, qui intéresse si fort la C.I.A. éveille également notre intérêt. C’est pourquoi j’aimerais, une fois la relève opérée par votre homologue américain, que vous continuiez à observer tout cela. D’un peu plus loin peut-être, mais avec attention, je me fais comprendre ?

— Admirablement, monsieur le directeur.

— Alors faites vite car les voies donnant accès à Orly sont aussi inextricables que celles de la Providence.

Voilà, commak.

Moi j’ai sifflé Béru qui était en train de faire quatre doigts de cour à Claudette, notre « escrétaire » (elle a une forte capacité réceptive), et poum : en route !

— Mince, ronchonne l’Immense, y z’ont sorti les rédacteurs, ces nœuds, allumé le dernier étage de la fusée pour qu’on parvient pas à les recoller, leur ambulance…

— Nos chignoles doivent être sensiblement de même force, mon gros loup, et comme ils possèdent quelques minutes d’avance, ils les conservent.

On est arrivés à Orly juste comme la gentille roucouleuse annonçait le vol de Montréal. Grâce à nos brèmouses toujours valides, on s’est coulés à la salle de débarquement. Et là, tu sais quoi ? Au mitan du petit burlingue de l’hôtesse en service, y avait un écriteau écrit blanc sur noir portant seulement ce nom : « Spontinini », précédé des deux lettres Mr.

Alors mézigue, gracieux comme des pétales de pêcher dans le vent fou du matin, j’aborde la préposée, toute croquignolette sous son petit tambourin Air-France, et je lui montre confidentiellement ma carte de police comme s’il s’agissait d’une photo cochonne représentant Mme Gold Amer en train de se faire fourrer par un dalmatien. Et, dans un souffle si ténu qu’il aurait pas fait frémir la toile d’une araignée pucelle, je murmure :

— Quoi, Spontinini ?

Elle me regarde, la chérie. Et comme on la comprend ! Moi, si comme je suis, et même encore mieux sur les bords ; et elle, la pauvre, toute chétive, noirpiote, avec des dents pour rentrer le fourrage que si ça continue, l’image qu’ils vont avoir de la France, les touristes, ça sera quasi celle d’une pissotière qui déborde, merde, comme tout se perd, et pourtant c’est pas les jolies filles qui manquent, non ? Oui, elle me regarde, écarte ses deux râteaux à foin, manière de se composer un sourire, mais ça ressemble plutôt à un piège à loup, et elle me dit :

— Un avion-taxi lui est commandé par câble.

— Destination ?

— Genève.

Là-bas, sur le bitume scintillant comme une brisure de métal, un monumental zinc blanc se pose, avec sa feuille d’érable rouge au fion, bien montrer qu’il est canadoche en plein.

— Ordre du ministère de l’Intérieur, je dis, demandez un second coucou pour Genève, et ce second zoziau devra se poser chez les calvinistes avant celui de Mister Spontinini. Dropez, mon petit cœur, y a comme de l’urgence dans l’air.

Elle veut dire « mais », je lui réponds non. Alors tout marche comme sur des roulettes, y compris le sieur Spontinini que nous avons l’occasion d’entre-asperger un peu plus tard et qu’on déplace sur un fauteuil de paralytique.

Les gangsters, le populo les imagine toujours en troisième coutelas, avec des mines patibulaires et des vestimentures impossibles. C’est vrai de certains, mais le grand truand de haute lignée, tu penses qu’il va chiquer les traîtres pour mélo d’avant quatorze, toi !

Je te biche le Spontinini par exemple, y a rien de plus impressionnant dans le bon sens du terme, rien de plus racé, même, que ce sexagénaire à cheveux blancs bien coiffés, portant une limouille blanc Persil, un costar dans les bleus fonçaga, à très fines rayures bleu clair, et qui tient sur ses jambes inertes un attaché-case de croco signé Hermès. Il a ce regard bleu intense de certains Italiens, surmonté d’épais sourcils gris qu’il doit brosser ; et sa moustache du même gris, taillée minutieusement, complète son côté De Sica mélancolique.

Un garçon bouffi, qui fait pédé mal convaincu, sapé d’un complet en tissu trop léger pour son embonpoint, drive le fauteuil d’un air soucieux. Une ravissantissime blonde marche à côté de l’attelage. Cette maman va sûrement bientôt faire philippine avec ses vingt berges, mais faut voir comme elle te coltine ça, la dadame ! Oh ! pardon : la classe ! De loin, tu lui donnes vingt-cinq piges, et de près, de très près, vingt-six. Elle porte un Chanel dans les tons très clairs, un peu bis, avec par-dessous un chemisier de soie noire qui fait cracher l’ensemble. Bon, d’accord, la description des fringues de mes protagonistes ne fait pas évoluer l’action, mais j’estime qu’un auteur de ma hauteur se doit d’aligner des personnages en ordre de marche, auxquels ne manque pas un bouton de guêtre (ou alors il doit le signaler).

Ayant retapissé mon trio, je gagne la piste d’envol des avions-taxis.

* * *

Là-bas, l’autostrada escalade une rampe. Et on aperçoit une tache blanche en équilibre sur la ligne de flottaison de l’horizon. La tache plonge et s’engloutit.

— Va, benêt ! approuve Sa Majesté, qui sait quelques locutions de la langue du Dante, on les recolle, mec. Tu crois qu’ils vont jusque z’à où, de la sorte ?

— Que veux-tu que je te dise, Enflure ?

Il renifle profondément, pour un fort nettoiement de son hémisphère nord, puis baisse la vitre afin de confier à l’Italie ces humbles particules de lui-même.

— Mouais, toi, c’qui s’agit d’la converse, hein ? Autant s’réciter un monogramme. Mais à quoi qu’tu penses, des heures sans moufter, nom d’ Dieu ? D’puis Genève t’as pas glapi quat’ syllabes, merde ! Si j’serais tout seul, j’chanterais au moins !

— Chante !

— Av’c une bouille de croque-mort pareille, merci bien. Ou alors c’serait la Marche Funèb’ à Chopine ! Hein, à quoi qu’tu penses ?

Au fait, c’est vrai, ça : à quoi pensé-je ? A la suite de l’affaire, lorsque, débarqués à Genève, le trio Spontinini a grimpé dans une ambulance : pas celle qui nous précède, une autre. On les a filochés en bahut. Le taxi-man, un aimable Vaudois transplanté à l’ombre du jet d’eau le plus dru du monde, nous a raconté Mai 68, vu de Genève. La manière que le Françouze radinait, lesté de petites valises qu’on pouvait pas décoller de par terre, tellement qu’elles étaient lourdingues de lingots.