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Le vieillard impotent murmure à Marika :

— Ma chère, je crois que vous avez forcé la charge de votre sarbacane ; entendez-vous brailler ce gros ahuri ?

— Dois-je aller le calmer, monsieur ? demande le secrétaire.

— Laissez, une chanson met toujours de la joie dans l’air, même lorsque c’est un homme qui doit mourir qui la chante.

Brrr, je frissonne.

Mourir ! Tu parles d’un client, ce Spontinini. Jusque-là il a seulement voulu nous mettre hors de circuit, d’abord en nous faisant accuser de trafic de drogue, ensuite, comme le coup avait foiré, en nous collant un double meurtre sur la coloquinte. Mais depuis qu’il sait que nous avons expérimenté son arme absolue, nous avons cessé d’être « viables » à ses yeux.

Là-dessus, impressionné par ma rogne, le Gros se tait.

— Vous n’avez pas répondu à ma question, fait observer le barbu ; quelle contrepartie proposez-vous ?

Spontinini toussote. Puis :

— Voyez-vous, mes amis, je suis vieux et riche et j’ai toujours aimé le poker ; ce coffre inexpugnable, si vous êtes d’accord, je vous l’achète.

La jeunesse conditionne généralement la vivacité.

— Nous l’acheter ! s’écrie Fornicato.

— C’est fou, n’est-ce pas ? dit le vieillard en souriant. Nous ignorons s’il contient quoi que ce soit. Je doute de parvenir à l’ouvrir, et pourtant je vous propose de l’acquérir. Et savez-vous pourquoi j’agis de façon aussi déraisonnable ? Par goût du jeu, mes bons amis. Ce que j’achète, c’est un mystère, en somme. Le plus coriace de tous les mots croisés. Surtout ne venez pas insinuer que j’ai une idée de derrière la tête. C’est vous qui m’avez contacté, harcelé, même, alors que je ne demandais rien à personne. Mais votre insistance m’a déclenché la curiosité. Mon goût des problèmes insolubles s’est exaspéré. Depuis mon arrivée, j’ai étudié ce coffre et mon diagnostic, vous le connaissez ? Impossible de l’ouvrir ailleurs que dans une aciérie à l’outillage formidable.

Le barbu va pour l’interrompre, mais Spontinini lui jugule l’objection d’un salut romain péremptoire.

— Je continue !

Oh, cette voix sans réplique ! Comment qu’il a dû flanquer les mouillettes à ses collaborateurs, le truand, au temps où il régnait sur la pègre. Un regard de lui, et on se bousculait devant les trous de souris pour se sauver de devant cézigue !

— Messieurs, vous pensez bien qu’avant de me décider à accepter votre offre, j’ai fait procéder à une étude approfondie de l’affaire. Une chose en effet m’intriguait : pourquoi aller chercher le vieux gangster que je suis au fond de sa retraite canadienne pour lui proposer cette opération fumeuse, alors que le comte pouvait, après les échecs des techniciens normaux, remettre le coffre à une usine pour l’application des grands moyens ? Hmmm, pourquoi ? Eh bien je vais vous le dire, messieurs, c’est parce que vous avez une idée de son contenu et que, pour rien au monde, vous ne voudriez que celui-ci soit divulgué.

Il rit. Puis à Marika :

— Mon cœur, donnez-moi donc une petite pilule, parler aussi longuement m’épuise. J’ai tellement pris l’habitude de me taire que le verbe est devenu pour moi un exercice physique.

La môme Sarbacane s’empresse. Par la fente de la porte où je plaque mon œil, je mate ses faits et gestes et je pige qu’elle a un béguin terrible pour le Vieux. Elle est sous sa coupe, ou, ce qui est pire : sous son charme. On essaie de se délivrer de « la coupe » de quelqu’un, alors qu’on ne se fatigue pas d’être sous son charme.

Il gobe une minuscule pilule blanche, sans avoir besoin de liquide pour la faire « passer ».

— Messieurs, le comte Fornicato, père de notre jeune ami, fut un grand dignitaire du fascisme. Bras gauche (au moins) de Mussolini, il mena bien des tractations secrètes pour le Duce. A l’écroulement de la dictature, il parvint à passer en Suisse, mais quelques partisans vindicatifs l’y poursuivirent, et on le trouva « suicidé » dans une chambre d’hôtel au bord du Léman. Mon sentiment est qu’avant de fuir, le comte fit immerger son coffre. Et je sais que telle est aussi votre conviction. Ce coffre contient donc des documents politiques. Vous tenez à ce que ceux-ci restent secrets, exact ?

Ni le barbu, ni Dino ne mouftent, ce qui constitue une sorte d’espèce d’assentiment tacite.

— Moi, mes amis, si je suis italien de sang, je suis devenu américain de cœur et je me fous autant de la politique de ce pays qui fut celui de mes aïeux que du premier type que j’ai refroidi, voici bien longtemps, près du pont de Brooklyn, à l’aide d’une bouteille brisée. Donc, quels que puissent être les documents en question, je m’en moque et suis d’accord pour vous les remettre. Aussi, voilà ce que je vous propose : je vais embarquer ce coffre contre une somme d’argent importante. Si je parviens à l’ouvrir et que j’y trouve des valeurs : bijoux, devises, or, etc. je garderai pour moi son contenu. Si j’y trouve des documents, je vous remettrai ceux-ci en échange de l’argent que je vous aurai versé. Réfléchissez bien à ma proposition : elle est correcte.

Il actionne sa chaise roulante, comme on marche pour se dérouiller les jambes. Il y a quelque chose de guilleret dans son attitude, visiblement, il a du mal à réprimer sa jubilation.

Et moi, je me demande ce que mijote ce vieux truandissime. Il avait la possibilité d’ouvrir immédiatement le coffiot grâce à ses pistolets désintégreurs. Il était seul avec Marika et son secrétaire quand je l’ai vu dans la crypte de la chapelle. Qui l’empêchait d’opérer ? Pourquoi ces tractations ?

— Et vous proposez combien ? demande l’homme au chapeau à grand bord.

Ça part sec :

— Cent mille dollars. Au cours actuel de la lire, c’est une jolie somme pour payer un point d’interrogation, non ? J’ai des caprices dispendieux.

Il soupire :

— Les méfaits de l’âge, sans doute. Qui m’aurait dit qu’un jour j’en arriverais à articuler des propositions pareilles, moi qui, d’un battement de cils, ordonnais la mort de six personnes !

L’homme au grand bitos et le comte se regardent, indécis. Ils paraissent manquer d’enthousiasme. Ils sont un peu désenchantés, malgré l’offre de Spontinini.

— Et si vous ne parveniez pas à ouvrir le coffre ? questionne Fornicato.

— Eh bien, lorsque je m’avouerai vaincu, je vous le rendrai et vous garderez les cent mille dollars. Je ne veux pas finir mes jours en Italie, malgré que j’y sois né. Par ailleurs, lorsque je regagnerai l’Amérique, je ne pourrai guère emmener une chose aussi encombrante. Vous me voyez, devant les douaniers, avec un coffre clos dont je ne pourrais préciser le contenu ? Curieuse situation, n’est-ce pas ?

L’homme qui ressemble à Fernand Legros gratte sa barbe comme si des poux l’occupaient, qu’il ne voudrait pas déranger. Il a des gestes mesurés, réfléchis. Ce mec possède du chou.

— J’aimerais avoir une conversation privée avec le comte, déclare-t-il, vous permettez ?

— Faites !

Fornicato et lui quittent la pièce.

Spontinini adresse un clin d’œil à Marika. Puis il soupire :

— Alors ces deux fâcheux se sont servis d’un de nos Double zéro ?

— Oui, répond le secrétaire aux affaires étranges.

— Contre qui ?

— Nous l’ignorons, mais comptez sur moi pour le leur faire dire.

— Voilà qui est grave, dit le truand. Très grave. Il va falloir agir vite. Mais auparavant, ils me le payeront.

Il caresse sa main gauche de sa main droite, comme s’il la massait pour prévenir un début d’engourdissement.

— Savez-vous que ça fait très longtemps que je n’ai pas eu à châtier quelqu’un, Marika ? A le châtier comme j’avais l’habitude de le faire au temps où je régnais sur le Milieu new-yorkais, c’est-à-dire de façon particulière. J’étais également célèbre pour mes vengeances. Elles ne ressemblaient jamais à celles de mes rivaux. La rafale de mitraillette, quelle pauvreté ! J’ai toujours voulu que mes ennemis, lorsque je les faisais disparaître, se rendissent bien compte du vilain tour que je leur jouais.